Spécialiste des relations avec l’islam, directeur de la commission «Migratio» de la Conférence des évêques suisses, le théologien Samuel Behloul plaide pour une politique des petits pas, dans une interview de Sermîn Faki, pour la page «Christ und Welt» de la Neue Luzerner Zeitung.
Christ und Welt: La Coordination des organisations islamiques de Suisse demande encore une fois la reconnaissance par l’Etat des communautés musulmanes. Quelle chance de réussite donnez-vous à ce projet?
Samuel Behloul: Du point de vue légal, ces chances existent. Mais elles sont actuellement plutôt faibles.
C & W: Quels sont les plus grands obstacles?
S.B.: Il y a d’abord le fédéralisme. Dans chaque canton, une demande sera soumise à des conditions différentes et il n’y a pour l’instant aucune reconnaissance des communautés religieuses au niveau fédéral.
Il s’agit deuxièmement de se demander qui doit être reconnu. Faut-il une association faîtière, qui est officiellement responsable pour les musulmans et qui fonctionne directement comme instance de dialogue avec les autorités? Ou faut-il reconnaître les associations au niveau local? Pour résoudre ces questions, cela nécessite d’abord une unité de vues entre les musulmans eux-mêmes.
Troisièmement, une véritable volonté politique est nécessaire en Suisse. Et jusqu’à maintenant, la question d’une reconnaissance de l’islam est une patate chaude, dont aucun politicien ne veut vraiment s’occuper.
C & W: Pourrait-il y avoir un autre modèle?
S.B.: Au vu de notre trame fédéraliste et considérant les nombreuses questions non résolues, je plaide pour une politique des petits pas. Au lieu d’accomplir un acte juridique, les communes et les cantons pourraient progressivement donner davantage de droits aux musulmans.
C & W: Par exemple?
S.B.: Il y a des cantons et des communes où les imams ont accès aux aumôneries des hôpitaux et des prisons et où les fidèles musulmans peuvent être inhumés selon leurs rites. C’est à travers les instances locales que l’on peut améliorer le dialogue. Lorsqu’une école rencontre un problème avec une fille musulmane, par exemple lors de la leçon de natation ou au sujet de sa participation à un camp, elle fait souvent appel à l’imam local pour une médiation.
C & W: La population suisse espère qu’une reconnaissance permettrait un meilleur contrôle. Est-ce réaliste?
S.B.: Cet espoir provient d’un besoin de sécurité et il est compréhensible, lorsque l’on est confronté avec des phénomènes totalement inconcevables comme les actions de l’Etat islamique. Mais dans tous les cas, une telle perception échappe aux communautés islamiques. Je ne vois pas dans l’islam une société parallèle, mais je vois des imams fiers d’afficher leur certificat de formation continue établi par des instituts de formation en Suisse.
C & W: Et pourtant, les musulmans radicalisés et parfois prêts à recourir à la violence existent chez nous aussi.
S.B.: Oui, c’est vrai. Néanmoins, imaginer qu’une reconnaissance officielle de l’islam va automatiquement supprimer ce danger est totalement naïf. La radicalisation se trouve de nos jours en premier lieu sur internet, et ceci non pas dans l’étude du Coran. Plutôt dans le visionnement de vidéos dans lesquelles on montre comment des soldats russes violent des femmes tchétchènes. Un reportage sur un prisonnier de Guantanamo et d’autres récits de torture attisent les sentiments de vengeance et amènent à une radicalisation avant tout politique et non seulement religieuse.
(apic/c&w/sf/bb)
Bernard Bovigny
Portail catholique suisse
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