Mgr Romero (1917-1980) a versé son sang, au cours de la consécration, sur l’autel de la chapelle de l’hôpital de la Divine Providence, une institution qui soigne les malades du cancer dans la capitale salvadorienne. L’archevêque de San Salvador était assassiné par ceux-là même qui prétendaient lutter pour sauver la civilisation chrétienne du communisme.
Après son assassinat, la guerre civile qui déchirait déjà ce petit pays d’Amérique centrale s’accéléra et plongea le Salvador durant plus d’une décennie dans un bain de sang qui fit près de 100’000 morts, des milliers de «disparus» et 12’000 invalides. Aujourd’hui, déjà canonisé par le petit peuple qui l’appelle affectueusement «San Romero de las Americas», Mgr Romero reste une grande lueur d’espoir pour un peuple souffrant toujours de la misère et de la violence des bandes armées qui saignent le pays.
La décision du pape François n’est pas une surprise. Elle était attendue, puisque le pape argentin avait lui-même débloqué le procès de béatification de l’ancien archevêque, ouvert en 1994 mais au point mort depuis des années, commente Radio Vatican. «Le rayonnement de Mgr Romero dépasse largement les frontières du Salvador et est immense dans toute l’Amérique latine».
Mgr Romero est connu pour avoir dénoncé les injustices sociales dans ce pays aux inégalités abyssales et les atrocités commises pendant le conflit armé au Salvador qui dura plus d’une décennie, de 1980 à 1992. Durant la guerre civile, les chrétiens engagés dans le combat pour la justice sociale étaient classés par les forces de sécurité et le gouvernement dans la rubrique des «subversifs» devant être éliminés. (voir encadré)
L’archevêque, dans le collimateur des milieux d’extrême-droite, a été abattu en pleine messe, le 24 mars 1980. La veille, dans son homélie, il avait lancé une diatribe contre les exactions de l’armée qui ensanglantait le pays. «Au nom de Dieu, au nom de ce peuple souffrant, dont les lamentations montent jusqu’au ciel et sont chaque jour plus fortes, je vous prie, je vous supplie, je vous l’ordonne, au nom de Dieu: arrêtez la répression !» avait-il lancé.
Les funérailles de Mgr Romero, qui rassemblaient pas moins de 350’000 personnes à San Salvador, dont 300 prêtres et une trentaine d’évêques du monde entier, ont été ensanglantées quand les forces de sécurité ont mitraillé la foule, créant la panique. Des dizaines de personnes, dont de nombreux enfants, sont alors mortes piétinées ou sous les balles.
L’an dernier, une délégation de quatre évêques salvadoriens travaillant sur sa cause de béatification a rencontré au Vatican le pape François. L’évêque auxiliaire de San Salvador, Mgr Gregorio Rosa Chavez, avait alors déclaré: «En 2017 nous fêterons les 100 ans de la naissance de Mgr Romero, nous sommes confiants qu’avant cette date nous l’aurons sur les autels!»
Encadré
Mgr José Elias Rauda Gutierrez, évêque franciscain de San Vicente, dans la région Paracentrale, confiait au printemps dernier au reporter de l’Apic qu’à l’époque de la guerre civile des catéchistes en possession d’une photo de Mgr Romero ou d’une bible, arrêtés aux barrages de l’armée, risquaient d’être froidement abattus. «Dans ces temps troublés, pour éviter d’être capturés, ils prétendaient être des ‘protestants’». A l’époque, les groupes pentecôtistes, qui pullulent dans le pays, étaient considérés comme un rempart face aux «subversifs». Les communautés ecclésiales de base étaient, par contre, la cible d’une sévère répression, car en ces temps-là, pour les forces de sécurité salvadoriennes, «catholique équivalait à communiste».
Dans le diocèse de Santiago de Maria, Mgr Rodrigo Orlando Cabrera Cuellar déclarait à l’Apic qu’au Salvador, aujourd’hui comme hier, «parler de justice sociale, de respect des campesinos et des ouvriers, suffit pour se faire épingler comme «communiste», «marxiste» ou «socialiste» par certains milieux … aujourd’hui encore!» Et de rappeler que Mgr Marco René Revelo Contreras, à l’époque évêque de Santa Ana (il est décédé en l’an 2000), avait accusé Mgr Romero d’être un ‘communiste’, et même d’être responsable de la mort de 75’000 personnes! «Il affirmait que c’était de sa faute si le peuple s’était soulevé…»
Certes, soulignait cet évêque qui a joué un rôle important durant le processus de paix au Salvador, «la guérilla critiquait Mgr Romero quand il vivait, avant de s’en emparer après sa mort, alors que lui n’a jamais fait de la politique. C’était un pasteur, qui illuminait la réalité depuis la foi!» Pour Mgr Cabrera, les temps commencent à changer au Salvador: «Je crois fermement que la canonisation de cet évêque martyr contribuera à faire l’unité de l’Eglise salvadorienne. C’est en tout cas ce que veut notre pape François». (apic/radvat/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/rome-mgr-romero-assassine-en-haine-de-la-foi-bientot-beatifie/