Annecy: Ghaleb Bencheick rejette un «idéal religieux» prônant la haine

Annecy, 26 janvier 2015 (Apic) Les exactions commises au nom de l’islam – celles des fanatiques de Boko Haram au Nigeria, d’Abou Sayyaf sur l’île de Jolo, aux Philippines, ou des tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher à Paris – sont une «terrible ignominie qu’il faut dénoncer avec vigueur». Mais au-delà de l’émotion, lance Ghaleb Bencheick, vient le temps de l’analyse.

Pour ce docteur en sciences et physicien franco-algérien, fils du Cheikh Abbas Bencheikh el Hocine, ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris, il est temps de refonder la théologie musulmane. «Cela m’horripile d’entendre de la part de mes coreligionnaires musulmans que tout ce qui est arrivé à Paris n’a rien à voir avec l’islam… Le discours incantatoire ne règle rien et le discours imprécatoire ne fait jamais avancer les choses. Ce n’est plus possible de pérorer que l’islam c’est la paix, c’est l’hospitalité, c’est la générosité… Nous sommes arrivés à cette tragédie suite à une défaite de la pensée, à l’oubli qu’il y avait un humanisme de tradition arabe musulmane», a martelé l’érudit musulman dans son intervention à Annecy, lors des Journées François de Sales organisées par la Fédération des Médias Catholiques (FMC) les 22 et 23 janvier.

«Lettre ouverte aux islamistes»

«Nous scandons jusqu’au ressassement ce que nous avons toujours proclamé: on ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir d’un idéal religieux pour semer la haine… C’est à une refondation de la pensée théologique islamique qu’il faut en appeler», a-t-il lancé. Et de demander d’en finir avec la «raison religieuse» et la «pensée magique», et de se soustraire à l’argument d’autorité. «Déplacer les préoccupations de l’assise de la croyance vers les problématiques de l’objectivité de la connaissance, relèvent d’une nécessité impérieuse et d’un besoin vital».

Ghaleb Bencheick intervenait dans un débat consacré à la liberté d’expression et à la liberté religieuse à la lumière de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique «Charlie Hebdo», en compagnie de Me Thierry Massis, spécialiste du droit de la presse et avocat de la Conférence des évêques de France, et de Salim Bachi, jeune écrivain algérien vivant à Paris, qui, pour «Le Chien d’Ulysse» publié en 2001, avait reçu le Prix Goncourt du premier roman. Il avait fui la guerre civile en Algérie, «car c’était à l’époque invivable tant sur le plan sécuritaire que sur le plan spirituel… «

Contre la «crétinisation des esprits» et une vision du monde «éculée et dépassée»

Connu pour sa vision moderne et réformiste de l’islam, auteur d’une «Lettre ouverte aux islamistes» avec le politologue et écrivain libanais Antoine Sfeir, Ghaleb Bencheick anime l’émission «Islam» le dimanche matin sur France 2. Il est notamment président de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Dénonçant la «crétinisation des esprits» dans certains milieux musulmans, il affirme qu’une partie du patrimoine islamique est «gangrénée».

«Le drame réside dans le discours martial puisé dans la partie ‘belligène’ du patrimoine religieux islamique – conforme à une vision du monde dépassée, propre à un temps éculé – qui n’a pas été déminéralisée ni dévitalisée. Des sermonnaires doctrinaires le profèrent pour ‘défendre’ une religion qu’ils dénaturent et avilissent. Plus que sa caducité ou son obsolescence, il est temps de le déclarer antihumaniste».

«Il y a des facteurs endogènes à l’islamisme»

Auteur entre autres d'»Alors, c’est quoi l’islam?» et de «La laïcité au regard du Coran», Ghaleb Bencheick défend la compatibilité entre islam et laïcité. «Il y a des facteurs endogènes à l’islamisme, soutient-il. Soliman le Magnifique était un immense bâtisseur et créateur. Il a produit un droit législatif séculier, qui n’était pas la charia. On a ensuite assisté à une régression tragique, et on la retrouve au XXIe siècle…» Et de dénoncer la doctrine du wahhabisme – un mouvement politico-religieux saoudien rigoriste, fondé au XVIIIe siècle par Mohammed ben Abdelwahhab – qui a produit «cette monstruosité nommée Daech» (l’Etat islamique EI, ndlr).

«En dépit de tout ce que l’on a pu dire, il y a une école de la raison, dans l’islam!». Mentionnant à titre d’exemple Averroès, ce philosophe, théologien rationaliste islamique, juriste, mathématicien et médecin musulman andalou de langue arabe qui vécut de 1126 à 1198, il constate que ce qui a été possible à un moment de l’histoire doit l’être aujourd’hui». Pour lui, il ne faut plus, au XXIe siècle, de réfléchir avec la seule raison religieuse, regrettant que l’islam en France ait surtout affaire à des «hiérarques falots», «sans densité intellectuelle». Pour Ghaleb Bencheick, la liberté de conscience reste un «point aveugle» chez nombre de musulmans dans le monde, alors que la question de la liberté «ne souffre d’aucune tergiversation».

Il n’y a pas de liberté d’expression absolue

Rappelant les fondements de la liberté d’expression dans la législation française, Me Thierry Massis a relevé pour sa part que l’on en n’a jamais autant parlé que depuis ce funeste 7 janvier. «Nous sommes tous écrasés par la tragédie de l’attentat contre Charlie Hebdo… Cette liberté est fondamentale, elle est au cœur de la condition humaine». Mais en même temps, note l’avocat de la Conférence des évêques, elle est limitée: «il n’y a pas de liberté absolue en la matière en France!».

En effet, les abus de la liberté d’expression sont sanctionnés par la législation, par exemple en matière de droits de la personne, concernant l’injure, la diffamation, l’atteinte à l’honneur, etc. L’article premier de la Constitution française dispose que «la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances».

Me Massis reconnaît cependant qu’en matière de protection de la religion, la notion est très étroite et la législation actuelle ne permet pas de répondre à l’atteinte aux sentiments religieux, ne punissant que l’injure et la diffamation. L’avocat estime que l’atteinte à la croyance peut blesser le principe de la laïcité, et la foi participant de la vie privée, elle devrait être protégée en tant que telle.

L’Eglise intervient pour montrer où est «la ligne rouge»!

Et s’il y a certes un droit à la critique de la religion, il en va tout autrement d’un droit au blasphème. Mais à ses yeux, le concept de blasphème est très dangereux, car il rejette la protection du sentiment religieux dans l’obscurantisme. En France, l’Eglise n’agit pas devant les tribunaux contre des caricatures – des associations de catholiques traditionnelles l’ont fait, mais elles ont été déboutées – mais la Conférence des évêques peut envoyer des lettres de protestation vigoureuses, pour bien montrer où est «la ligne rouge» quand cela va trop loin!

Ghaleb Bencheick affirme ne pas avoir été choqué du tout, à titre personnel, par les caricatures de Mahomet, car par définition, «la caricature grossit le trait». Mais quand il voit les attaques contre les églises au Niger ou la grande manifestation de Grozny, en Tchétchénie, il est pour lui évident que la tradition religieuse est manipulée et domestiquée à des fins partisanes. «Cela ne peut pas nous atteindre… nous n’avons pas de représentation du Prophète», affirme pour sa part Salim Bachi.

Pas d’interdiction de représenter le Prophète dans le Coran et la sunna

Ghaleb Bencheick rappelle tout de même qu’on ne trouve nulle part dans les textes sacrés musulmans l’interdiction de représenter le Prophète. Le Coran tout comme la sunna, qui recueille l’ensemble des paroles et actions de Mahomet, n’interdit pas sa représentation.

De belles miniatures persanes représentant le Prophète existent encore. En Iran, de nombreuses représentations de Mahomet sont en vente libre dans les souks. «La régression a fait que souvent on a gratté cette image ou on l’a recouvert d’une mandorle. C’est cela qui prévaut dans la population». Si tant Salim Bachi que Ghaleb Bencheick défendent le droit à la critique de la religion, ils mettent par contre en garde contre la méfiance, voire la haine de l’islam, qui risquent de se développer au vu des derniers événements. (apic/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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