Les organisateurs ayant insisté, le dominicain a alors organisé une réunion avec ses jeunes confrères dominicains à Oxford pour leur demander ce qu’ils en pensaient. «J’ai aussi pas mal surfé sur la toile web, et j’ai passé beaucoup de temps à arpenter Google. J’ai aussi posé des questions aux enfants de mes amis».
Il a ainsi été particulièrement attentif aux nouvelles générations, à ceux qui ont vingt ans. «Sont-ils notre futur ? Que désirent-ils ? Comment l’Eglise peut-elle comprendre les nouveaux désirs exprimés par les jeunes ? Il me semble que le tout premier désir des jeunes, aujourd’hui, est d’être reconnus et acceptés. De façon générale, la source des mécontentements dans notre monde vient d’une demande de reconnaissance».
Très concerné par l’actualité de ces dernières semaines en France, il relève que certains jeunes musulmans en colère se radicalisent dès lors qu’ils se sentent invisibles. «Ils nous disent: ‘je suis là ! Et je vais faire en sorte que vous me voyiez, même en vous faisant peur!'»
Se demandant quelle est cette nouvelle génération, le dominicain né en 1945 estime qu’il n’est pas facile d’y répondre, notamment parce que les identités sont désormais diluées. «Les générations précédentes relevaient de profils clairs. Pour ce qui me concerne, je suis un enfant du ‘baby-boom'». Il est d’une époque où l’Ordre des dominicains, en Angleterre, était «marqué à gauche» en raison de sa lutte contre la guerre, l’injustice sociale et la course aux armements nucléaires. Lorsqu’il étudiait à Paris, dans les années 70, le slogan était: ‘L’imagination au pouvoir !’
«Nous lisions Sartre et Michel Foucault et nous voulions changer le monde. Puis il y a eu la ‘génération X’, puis la ‘génération Y’, chacune avec ses propres désirs, ses propres héros. Nous en sommes aujourd’hui à la ‘génération du millénaire’, les jeunes qui ont eu 18 ans à partir de l’an 2000».
Qui sont ces jeunes, que veulent-ils ? On les appelle la ‘génération fragmentée’, parce qu’ils choisissent des identités multiples. En effet, sur la toile, chacun peut se créer sa propre identité, à sa guise. Des jeunes adultes peuvent présenter une identité à l’école ou au travail, et en projeter une autre, absolument différente, sur Facebook ou Myspace. D’autres jeunes adultes créent des avatars sur des réseaux en ligne, comme Second Life, qui n’ont que peu de ressemblance, voire sont en totale opposition, avec leurs personnages dans la ‘première vie’. D’autres jeunes adultes sont présents sur de nombreux sites de rencontres, construisant des profils très différents pour chacun d’eux.
Dans ce contexte, «le premier défi pour l’Eglise, souligne le dominicain, est de voir les visages que ces jeunes nous présentent, de les accepter, et de leur sourire. Les gens proposent des identités multiples: ils sont hétéros ou homos, écolos ou gothiques, amoureux ou en recherche… Ils doivent savoir qu’ils sont vus et reconnus comme ils se présentent. Ensuite, nous pouvons les inviter à découvrir une identité plus profonde».
«Pour une génération qui refuse des définitions par trop étroites des identités, l’Evangile offre la libération ultime, la divinisation. Nous ne voulons pas être définis comme les enfants de notre milieu, de notre famille ou de notre ethnie. Nous sommes bien plus, nous sommes les enfants de Dieu». Cependant, pour Frère Timothy, il faut d’abord, changer l’image qu’ont les gens de l’Eglise. «Le mot ‘Eglise’ évoque des vieux messieurs vêtus de drôles d’habits disant aux gens comment ils doivent se comporter au lit. Les gens imaginent une hiérarchie rigide composée ’hommes vêtus de robes et portant de drôles de chapeaux qui sont à côté de la plaque… «
Or, dans les faits, l’Eglise est bien autre chose: «c’est le numéro deux des organismes caritatifs dans le monde. En termes d’éducation à la santé, c’est la première organisation mondiale. La moitié des malades du sida est soignée par des organismes d’Eglise. Les gens s’imaginent l’Eglise opprimant les femmes, mais les femmes catholiques, spécialement les religieuses, travaillent partout en faveur des droits des femmes et de leur dignité. Evidemment, nous avons encore beaucoup de défis à affronter dans l’Eglise, mais aucune organisation n’est autant engagée sur le plan global. Donc, si nous voulons toucher la grande générosité de nos contemporains, nous devons montrer l’Eglise telle qu’elle est, soit quasiment la première organisation caritative dans le monde, présente partout où sévissent la crise et la pauvreté».
L’Eglise ne doit pas craindre d’explorer les nouveaux thèmes de société avec un véritable courage intellectuel, et ne pas se mettre sur la défensive. La tentation est grande de se construire un mur la protégeant de ces nouvelles questions dont elle a peur. «Mais l’Eglise n’est jamais aussi vivante que lorsque nous ne craignons pas de plonger dans les débats, lorsque nous sommes certes impatients de partager notre foi, mais aussi impatients d’apprendre… Ainsi, lorsque saint Dominique a fondé l’Ordre des Prêcheurs au treizième siècle, il a envoyé étudier les nouveaux frères, au sein des nouvelles universités, les textes nouveaux qui parvenaient du monde arabe. Nous devons oser nous confronter à ces nouvelles questions, sans avoir peur de ne pas connaître les réponses. Quelqu’un demandait à Yves Congar, le père de Vatican II, si ses réponses étaient justes. Il a répondu qu’il ne savait pas, mais que les questions étaient les bonnes !»
Un désir fort de ce nouveau monde est de vivre réellement et pas seulement de survivre. Les jeunes d’aujourd’hui, partout, veulent améliorer le monde, ‘faire la différence’. «Sur le plan moral, cette nouvelle génération est bien plus sérieuse que celle qui l’a précédé. Ils ont souvent dépassé les illusions du consumérisme. Ils sont parfaitement conscients des souffrances des pauvres et de la destruction de la planète. Ils ne désespèrent pas de faire quelque chose pour l’humanité et notre petite planète».
Les jeunes n’attendent pas des politiciens qu’ils changent les choses. «La plupart sont profondément déçus par les institutions, qu’elles soient politiques, judiciaires ou religieuses. En Grande-Bretagne je ne vois aucun homme politique qui soit respecté. Beaucoup de cela remonte à l’erreur tragique de la guerre en Irak en 2003. Mais c’est la même chose partout en Occident, en France, en Italie, aux Etats-Unis».
L’Eglise peut cependant offrir des expériences positives aux jeunes: «Les Journées Mondiales de la Jeunesse – les JMJ – sont, sur ce plan, très importantes. Des millions de jeunes partagent un événement extraordinaire. Ils prennent des photos, les mettent sur Facebook, les partagent avec leurs amis. Les pèlerinages sont encore plus importants, qu’il s’agisse de Lourdes, de Saint-Jacques de Compostelle, de Medjugorje. Mais quelle expérience pouvons-nous offrir aux jeunes quand la vie est rude, quand nous traversons une nuit obscure ? Que pouvons-nous offrir quand il semble que rien ne se passe ? C’est malheureusement le cas de la plupart des célébrations eucharistiques !»
Cependant, relève-t-il, la génération du millénaire est prête à se consacrer généreusement à la transformation du monde, à faire des sacrifices. «Il n’est pas juste de dire que ces jeunes ne pensent qu’à bouffer, boire et baiser ! Selon un récent sondage, 14 % des jeunes Britanniques se déclareraient sympathisants de ‘Daech’ (l’Etat islamique, ndlr). Ces jeunes n’approuvent probablement pas l’extrémisme islamique. Mais ils sont attirés par sa demande d’un engagement intégral, d’un sacrifice de soi qui défie le monde. Beaucoup de jeunes aimeraient faire le sacrifice de leur vie, pourvu qu’ils trouvent une cause qui en vaille la peine».
L’Eglise se doit de mobiliser les jeunes et leur montrer qu’elle incarne une telle cause, poursuit Frère Timothy. «Nous ne devons pas craindre d’offrir aux jeunes un christianisme très exigeant. Nous devons oser exprimer, d’une certaine façon, des engagements encore plus radicaux que ceux de Daech ! Nous sommes tentés de ‘vendre’ le christianisme comme une spiritualité inoffensive, sans douleurs… (…) Le christianisme deviendrait ainsi un accessoire de développement personnel, d’hygiène de vie, comme la salle de gym ou l’aromathérapie. Mais qui donnerait sa vie pour l’aromathérapie ? Mais le christianisme est dangereux. Il peut vous coûter la vie! «.
Le christianisme devrait même être assorti d’une «mise en garde du Ministère de la Santé», plaisante le dominicain. «Jésus nous demande de prendre notre croix et de le suivre. Si nous présentons ainsi les exigences radicales du christianisme, elles effraieront peut-être certains, mais au moins ils seront intéressés. Ce meilleur-là, nous le devons aux jeunes! Quelque 100’000 chrétiens sont tués chaque année en raison de leur foi. Il y a peu de chances que cela arrive à aucun d’entre nous. Mais nous devons trouver une manière d’en appeler à la générosité radicale des jeunes. (..) Si nous nous contentons de demander peu aux jeunes, nous ne recevrons que peu. Si nous leur demandons beaucoup, alors, ils nous donneront tout!» (apic/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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