Colombo, 13 janvier 2015 (Apic) Dès son arrivée au Sri Lanka, mardi 13 janvier, le pape François a mis l’accent sur «le processus de guérison» dont a besoin le pays, après une guerre civile qui l’a ravagé de 1983 à 2009, et fait près de 100’000 victimes.
A 9 heures, heure locale, le 13 janvier, le pape François est arrivé au Sri Lanka pour une visite apostolique de deux jours, la troisième d’un pape dans ce pays d’Asie du Sud, et le deuxième voyage apostolique du pape argentin dans la région, en moins de six mois, après la Corée du Sud au mois d’août dernier.
Le pape a été accueilli à l’aéroport international de Colombo par le président tout nouvellement élu Maithripala Sirisena, entouré de son gouvernement formé la veille. Si le pape a déclaré que sa visite était d’abord «pastorale», il a immédiatement abordé la nécessité pour ce pays de dépasser «l’héritage amer d’injustices, d’hostilités et de défiance laissé par le conflit», qui a vu la minorité tamoule et la majorité cinghalaise se livrer «aux horreurs de la guerre civile», rapporte «Eglises d’Asie» (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.
Centrant son propos sur la notion de «guérison» et citant l’épître aux Romains 12,21 («Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien», le pape a affirmé que le pays ne connaîtra la paix qu’en «faisant vaincre le mal par le bien».
Retransmise en direct par la télévision nationale ainsi qu’à la radio, la cérémonie d’accueil du pape s’est déroulé à l’aéroport sans que rien ne transparaisse de ce qui occupe la Une de la presse locale, à savoir les suites de l’élection présidentielle du 8 janvier dernier et le fait que le président sortant, Mahinda Rajapaksa, a très sérieusement tenté de mener un coup d’Etat le 8 au soir.
Alors que sa défaite dans les urnes devenait évidente, Mahinda Rajapaksa a en effet envisagé d’obtenir des chefs de l’armée et de la police qu’ils bloquent le processus électoral. La tentative de coup d’Etat a rapidement avorté lorsque ces derniers ont signifié qu’ils ne sortiraient pas de la légalité constitutionnelle.
C’est donc devant ce gouvernement tout juste formé et ce président fraîchement élu, porteurs d’un important espoir de changement et de retour à l’Etat de droit, que le pape s’est exprimé en réponse au court mot de bienvenue du président Sirisena.
Le pape a commencé son allocution en disant qu’il a «longtemps attendu cette visite au Sri Lanka», manière sans doute de souligner qu’en aucune façon, il n’a envisagé de l’annuler ou de la reporter en dépit du contexte post-électoral dans lequel elle se déroule. Cette visite est en effet, a souligné le souverain pontife, une visite «pastorale», pour «rencontrer et encourager les catholiques de cette île». Ces derniers sont au nombre de 1,35 million, soit environ 7% des 20,4 millions d’habitants du pays, qui sont majoritairement bouddhistes (70%), avec 13% d’hindous et 10% de musulmans.
Le point d’orgue de ces deux jours de visite sera la canonisation du bienheureux Joseph Vaz, béatifié par le pape Jean Paul II lors de sa visite dans le pays en 1995. Il est, dixit le pape François, un «exemple de charité chrétienne et de respect pour toute personne, sans distinction d’ethnie ou de religion». Joseph Vaz (1651-1711), connu comme «l’apôtre du Sri Lanka», est un exemple qui «continue, aujourd’hui encore, de nous inspirer et de nous enseigner».
Evoquant ensuite la guerre civile qui a déchiré le Sri Lanka durant près de trente ans, le pape a élargi la portée de son propos à la nécessité pour le monde de «réconcilier les diversités et les désaccords». «C’est une continuelle tragédie de notre monde que beaucoup de communautés soient en guerre entre elles», a souligné le pape. Il a poursuivi en expliquant que c’est «l’incapacité à réconcilier les diversités et les désaccords, qu’ils soient anciens ou nouveaux, [qui] fait apparaître des tensions ethniques et religieuses, souvent accompagnées d’accès de violence».
Revenant au cas sri-lankais, pays où la rébellion séparatiste tamoule a été vaincue militairement au printemps 2009, le pape a noté que «dépasser l’héritage amer d’injustices, d’hostilités et de défiance laissé par le conflit» n’est pas chose facile. «Cela ne peut être réalisé qu’en faisant vaincre le mal par le bien (Rm, 12,21) et en cultivant les vertus qui promeuvent la réconciliation, la solidarité et la paix», a affirmé le pape.
Sans citer directement l’actualité sri-lankaise, le pape a évoqué la voie à suivre pour parvenir à «la guérison». Alors que, ces dernières années, la communauté internationale a fait pression sur le président Rajapaksa pour que celui-ci ouvre son pays à une commission d’enquête indépendante sur les crimes de guerre commis dans la dernière phase du conflit militaire contre les Tigres tamouls du LTTE, le pape a spécifié que «le processus de guérison demande d’inclure la recherche de la vérité», non pas dans le but «d’ouvrir de vieilles blessures», mais plutôt «comme moyen nécessaire pour promouvoir la justice, la guérison et l’unité».
Insistant sur le caractère «délicat» du processus de réconciliation et de reconstruction, le pape François a dit sa conviction que «tous [devaient] avoir la parole» pour que celui-ci puisse se faire. Il a souligné le rôle essentiel que les personnes appartenant à des traditions religieuses différentes ont à jouer à cet égard. La liberté de parole de tous est nécessaire, tout comme l’acceptation mutuelle «des diversités légitimes». Ce sont les conditions pour faire apparaître les aspirations communes. Alors, «la diversité ne sera plus vue comme une menace, mais comme une source d’enrichissement», a poursuivi le pape.
Sur ces bases, la grande œuvre de reconstruction que les Sri Lankais attendent doit certes inclure les infrastructures et les besoins matériels, mais, «c’est encore plus important, elle doit promouvoir la dignité humaine, le respect des droits de l’homme et la pleine inclusion de tous les membres de la société», a appelé le pape. Il a alors formulé le vœu que les responsables politiques, religieux et culturels du Sri Lanka y contribuent par chacune de leurs paroles et de leurs actes.
Dans le programme de la visite papale, tel qu’il était fixé depuis des semaines, le pape devait adresser ce discours au président Rajapaksa, celui-ci étant supposé être encore en fonction à la date du 13 janvier.
A ce président, qui a exercé le pouvoir durant deux mandats et près de dix ans de manière très autoritaire en mettant de côté l’Etat de droit et le respect des libertés fondamentales, commente EdA, ce discours, à n’en pas douter, aurait résonné comme une très vive remontrance. Les élections étant passées et ayant donné la victoire à un président qui s’est engagé à restaurer un fonctionnement normal et démocratique des institutions, le discours du pape apparaît comme un appel à la nouvelle équipe dirigeante à effectivement mettre en œuvre «la guérison» matérielle et spirituelle dont a besoin le Sri Lanka. (apic/eda/ra/be)
Jacques Berset
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