«L'affichage des thèses de Luther n'a pas eu lieu»

Fribourg: Publication d’un ouvrage sur un des mythes fondateurs de la Réforme

Fribourg, 30 octobre 2013 (Apic) Avec son livre «Iserloh – L’affichage des thèses n’a pas eu lieu»(*), l’Institut d’études oecuméniques de l’Université de Fribourg veut contribuer à un rapprochement avec le monde protestant. Le professeur allemand Erwin Iserloh attestait déjà, il y a plus de 50 ans, que les 95 thèses de Luther sur le trafic des indulgences n’avaient pas été placardées sur la porte de l’église de Wittemberg le 31 octobre 1517, comme le veut la tradition. Le moine augustin aurait en fait d’abord cherché à provoquer une réaction pastorale des évêques allemands face au scandale des indulgences; ces derniers n’auraient pas bougé, précipitant ainsi la déchirure de la Réforme.

Ce nouvel ouvrage du théologien luthérien allemand Uwe Wolff, publié dans la collection «Studia Oecumenica Friburgensia», sort de presse aux Editions Friedrich Reinhardt à Bâle alors que se profile le 500e anniversaire de cet événement qui allait déclencher la Réforme en Allemagne et bouleverser le monde chrétien de fond en comble.

En 2017, le monde protestant commémorera solennellement les 500 ans de la première publication des thèses de Luther. Le livre d’Uwe Wolff veut contribuer à emprunter un chemin de réconciliation et de guérison de la mémoire. La biographie du théologien catholique Erwin Iserloh (1915-1996) et la documentation de ses arguments concernant le déclenchement de la Réforme sont complétées et actualisées par une préface de l’évêque luthérien Friedrich Weber, responsable des relations des Eglises protestantes d’Allemagne avec l’Eglise catholique. L’ouvrage comprend également une évaluation des recherches récentes sur le sujet par le professeur protestant Volker Leppin, qui enseigne l’histoire de l’Eglise à Tübingen, ainsi qu’une bibliographie complète d’Erwin Iserloh.

L’Apic a rencontré à cette occasion Barbara Hallensleben, professeure ordinaire de théologie dogmatique et de théologie de l’œcuménisme à l’Université de Fribourg, à l’origine de cet ouvrage. Elle-même a été, de 1978 à 1983, assistante d’Erwin Iserloh, qui était alors professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université de Münster.

Luther, un réformateur «malgré lui» ?

Personne ne met en doute que les thèses de Luther – la Dispute de Martin Luther sur la puissance des indulgences, parue à l’époque sous le titre latin «Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum» – ont été rédigées et publiées en 1517, relève Barbara Hallensleben. Mais il y a un large consensus aujourd’hui pour dire que Luther, un moine augustin, n’a pas placardé ses thèses afin qu’elles soient vues du public. Un tel acte aurait eu sans nul doute un grand retentissement, le 31 octobre 1517 étant la grande fête des reliques de l’église du château de Wittemberg.

«Luther, comme le montrait déjà le professeur Erwin Iserloh en 1962, n’a pas affiché les thèses contre les indulgences, mais il les a envoyées par courrier aux évêques responsables. Il voulait simplement qu’ils mettent un terme à l’usage abusif des indulgences. C’est seulement quand les évêques concernés, dont il reconnaissait l’autorité et faisait appel à leur responsabilité, n’ont pas réagi, qu’il a transmis ses thèses à d’autres personnes. C’est alors qu’elles sont devenues publiques. Au départ, Luther n’avait pas envisagé la rupture… Il est en quelque sorte devenu réformateur malgré lui».

Pour la professeure de l’Université de Fribourg, c’est ainsi que Luther raconte lui-même cet épisode durant toute sa vie, «et il n’y a pas de raison de ne pas le prendre au mot». La thèse du professeur Iserloh n’est certes pas partagée par tous les chercheurs protestants, dont certains réfutent la thèse de la «légende de l’affichage», admet Barbara Hallensleben. Mais ce détail historique est crucial, car il montre qu’avant la rupture définitive, Luther avait recherché la réforme de l’Eglise en passant par la voie hiérarchique. Dans sa recherche, le professeur Iserloh associe ce détail historique et la question de base: «Quel était le but de Luther? La rupture avec la tradition de l’Eglise – ou la réforme de l’unique Eglise du Christ ?»

Au départ de la rupture, la querelle des indulgences

«Etant donné que les évêques interpellés par Luther n’ont pas réagi, ils portent une grande responsabilité sur leurs épaules». Barbara Hallensleben explique que le pape avait accordé des indulgences (du latin indulgere, «accorder», c’est la rémission totale ou partielle devant Dieu de la peine temporelle encourue en raison d’un péché déjà pardonné) à ceux qui verseraient de l’argent pour aider à la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome. Le pape Léon X (1513-1521), manquant de fonds pour les travaux, eut l’idée de vendre ces indulgences au jeune archevêque Albert de Brandebourg (Albrecht IV).

A l’âge de seulement 23 ans, Albert devint archevêque de Magdebourg et (sous le nom d’Albrecht V) administrateur apostolique du diocèse vacant d’Halberstadt. L’année suivante, il fut nommé archevêque de Mayence, devenant ainsi métropolite de la province ecclésiastique de Mayence et prince électeur. En 1518, il fut nommé cardinal.

Une histoire d’argent

Pour payer le pallium (ornement liturgique réservé au pape, aux primats et aux archevêques métropolitains) du siège de Mayence et garantir une compensation à Rome parce qu’il était à la tête de deux évêchés – contrairement au droit ecclésial -, Albert emprunta en 1515 la somme de 24’000 ducats à Jacob Fugger, banquier d’Augsbourg. Pour se rembourser, il chargea le dominicain Johann Tetzel de vendre les indulgences en son nom, intéressé à ce commerce lucratif par une commission de 50 % promise par la curie romaine. On attribue au prédicateur ce slogan: «Aussitôt que l’argent tinte dans la caisse, l’âme s’envole du Purgatoire».

Martin Luther, qui entendait ce que lui disaient les fidèles lors des confessions, était scandalisé par ces pratiques corruptrices qui avaient faussé le vrai sens des indulgences. Il estimait, dans ses lettres aux évêques, qu’il valait mieux faire pénitence que se libérer du péché par l’argent, car on ne peut pas acheter le salut.

L’affichage des thèses appartient aux «grands mythes» de la Réforme, estime Barbara Hallensleben. Il est évident pour elle que Luther n’avait pas envisagé un schisme, mais qu’il est devenu réformateur «malgré lui». Les évêques de son temps, par leur comportement, ont favorisé la rupture, car Luther leur avait donné assez de temps pour réagir aux plans théologique et pastoral. Aujourd’hui, le pape François aurait certainement répondu à cette lettre envoyée par un jeune moine de province, «mais malheureusement, le pape de l’époque était d’abord intéressé à augmenter les revenus provenant des indulgences … «. (apic/be)

(*) Uwe Wolff, ISERLOH. Der Thesenanschlag fand nicht statt (STUDIA OECUMENICA FRIBURGENSIA 61) – Institut d’études oecuméniques de l’Université de Fribourg, Friedrich Reinhardt Verlag, Bâle 2013. L’ouvrage, publié à 1000 exemplaires, était distribué par la prof. Hallensleben aux quatre coins du monde aux membres de la «Gesellschaft zur Herausgabe des Corpus Catholicorum», une association d’étude scientifique de l’histoire de la Réforme. On peut le commander au prix de CHF 30.– CHF (sans frais de port) à l’Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg: iso@unifr.ch

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