«Rien ne justifie les violations de la dignité des personnes» perpétrées après le coup d'Etat

Chili: 40 ans après, la Conférence épiscopale condamne les violences du régime Pinochet

Santiago du Chili, 11 septembre 2013 (Apic) 40 ans après le 11 septembre 1973, le sanglant coup d’Etat militaire du général Augusto Pinochet contre le président élu Salvador Allende – qui venait de le nommer commandant en chef de l’armée chilienne – suscite toujours la polémique au Chili. Dans un message à l’occasion du 40e anniversaire du «golpe», le Comité permanent de la Conférence épiscopale du Chili écrit que «rien ne justifie les violations de la dignité des personnes perpétrées à partir du 11 septembre 1973».

Selon Amnesty International et le Rapport de la commission nationale sur l’emprisonnement et la torture publié par la «Commission Valech» en 2004, quelque 40’000 victimes de violations des droits humains et de tortures ont été enregistrées sous la dictature de Pinochet, entre 1973 et 1990. 3’216 personnes ont été officiellement reconnues comme disparues ou assassinées durant cette période.

Dans son court message, le Comité permanent de la Conférence épiscopale du Chili, présidé par l’archevêque de Santiago, Mgr Ricardo Ezzati Andrello, exhorte les Chiliens à persévérer sur la voie de la vérité, de la justice et de la réconciliation. Il rappelle ce «moment douloureux de l’histoire chilienne, dont les blessures n’ont pas fini de se cicatriser».

Les Chiliens invités à suivre «un chemin de vérité, de justice et de réconciliation»

«Au-delà des lectures des faits, différentes et légitimes, en tant que pasteurs de l’Eglise, nous voulons rappeler cette date à partir d’une réflexion sur la dignité de la personne humaine. Motivée précisément par cette valeur fondamentale, l’Eglise catholique, avec les autres Eglises chrétiennes, durent prendre, à un moment où fut abandonné un dialogue raisonnable, un rôle prépondérant en matière de défense des droits humains et de protection de nos compatriotes persécutés. Rien ne justifie la violation de la dignité des personnes perpétrée à partir du 11 septembre 1973».

«Aujourd’hui plus que jamais, écrivent les évêques chiliens, nous continuons à croire en cette voie, malgré les difficultés qui se présentent. C’est le chemin que Jésus offre afin d’atteindre une grande patrie de frères et de soeurs. La réconciliation ne s’impose pas par décret, mais elle naît d’un cœur miséricordieux. C’est notre conviction que de petits gestes personnels et institutionnels peuvent être vitaux pour aider à guérir les blessures et contribuer à une véritable réconciliation».

Le document s’achève en rappelant les récents propos du pape François lors de la prière de l’angélus du 1er septembre: «Ce n’est pas la culture de l’affrontement, la culture du conflit, qui construisent la coexistence au sein des peuples et entre les peuples, mais bien celles-ci: la culture de la rencontre, la culture du dialogue; c’est l’unique voie pour la paix».

«Le coup d’Etat fut une tragédie» dans l’histoire d’un pays démocratique

«Le coup d’Etat fut une tragédie qui a marqué une involution dans la vie d’un pays qui connaissait une longue tradition de liberté, où la démocratie est aujourd’hui enracinée dans la conscience nationale», a déclaré pour sa part le Père Gianpaolo Salvini, expert de la réalité latino-américaine et ancien directeur de la revue jésuite italienne «La Civiltà Cattolica».

Dans une interview accordée à l’agence de presse catholique italienne MISNA, le religieux jésuite relève que l’assaut des militaires putschistes contre le Palais de la Moneda, où résidait le président démocratiquement élu Salvador Allende, fut un véritable «traumatisme». Les Etats-Unis, qui ont appuyé le coup d’Etat militaire, craignaient un changement des équilibres géopolitiques dans ce qu’ils considéraient comme leur «propre arrière-cour». «Washington et une partie du monde occidental avaient une grande peur que la révolution cubaine puisse s’exporter, qu’en somme la présidence d’Allende se teigne de rouge».

Selon le Père Salvini, un contexte international caractérisé par l’appui de Washington à diverses dictatures latino-américanes a fini par renverser au Chili «une longue et authentique tradition démocratique».

Les nostalgiques de la dictature sont encore là

Dans le Chili contemporain, certains secteurs de la population sont restés nostalgiques de l’époque de la dictature, notamment dans les hautes sphères de la société qui ont largement profité du système. Chef de la DINA (Direction nationale du renseignement), la police politique de la dictature, Manuel Contreras affirme dans la presse chilienne de cette semaine que la DINA «n’a jamais torturé». Le général à la retraite a été condamné à plus de 300 ans de prison pour crimes contre l’humanité.

Justifiant le coup d’Etat militaire qui a renversé le régime démocratique, il a déclaré, dans une interview à CNN Chile, que le «peuple du Chili était en train d’être sacrifié, les femmes violées… On a sauvé la patrie, l’empêchant de tomber dans une dictature totalitaire marxiste». Il affirme sans sourciller que tous les détenus qui ont été enregistrés comme disparus sont en fait «morts au combat».

Des institutions qui ont failli

L’Association nationale des magistrats du pouvoir judiciaire du Chili a, par contre, formellement demandé pardon pour ses omissions pendant le régime d’Augusto Pinochet. «Nous estimons qu’il n’est pas possible de nier la responsabilité historique de notre magistrature dans les violations des droits fondamentaux de la personne humaine advenues sous le régime dictatorial», reconnaît l’Association nationale des magistrats. Elle déplore le fait que les magistrats du temps de la dictature ont, sauf quelques exceptions remarquables, refusé de protéger ceux qui avaient réclamé à plusieurs reprises son intervention.

La presse internationale a également publié en avril dernier des documents secrets de l’administration américaine divulgués par Wikileaks montrant que le Vatican, dans les premiers temps de la dictature de Pinochet, minimisait ses crimes, les qualifiant d’histoires «infondées» et de «propagande communiste».

L’Eglise n’a pas été unanime à condamner les exactions de Pinochet

Wikileaks a publié une dépêche de l’ambassade américaine près le Saint-Siège, datée du 18 octobre 1973, qui relate une conversation du substitut de la Secrétairerie d’Etat du Vatican Giovanni Benelli. Le télégramme envoyé à Henry Kissinger, à l’époque chef de la diplomatie américaine, raconte que Mgr Benelli a exprimé «sa grave préoccupation ainsi que celle du pape face à la campagne internationale réussie de la gauche qui présente une vision complètement fausse de la réalité chilienne».

Si certains prélats chiliens, comme le cardinal Jorge Arturo Medina Estevez, n’ont jamais caché leur sympathie et leur appui à Pinochet, d’autres, comme le cardinal Raul Silva Henriquez, archevêque de Santiago du Chili de 1961 à 1983, se sont dès le début opposés à la dictature et aux violations massives des droits de l’homme. Fondateur du «Vicaría de la Solidaridad», qui prêtait assistance aux victimes de la dictature militaire, ardent défenseur de la justice sociale, Mgr Raul Silva Henriquez a notamment reçu le prix des Droits de l’Homme des Nations Unies en 1978 et le prix des Droits de l’Homme Bruno-Kreisky en 1979. (apic/misna/fides/com/be)

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