Des manifestants très pacifiques… avec des kalachnikovs et des grenades
Lausanne, 21 août 2013 (Apic) «Les gouvernements et les médias en Occident reprochent à la police et à l’armée égyptiennes d’avoir réagi trop violemment contre les islamistes, par ailleurs arrivés au pouvoir grâce à des fraudes électorales flagrantes. Les élections ont été une vaste mascarade, et le peuple égyptien le sait. Les Frères musulmans… des manifestants très pacifiques, avec des kalachnikovs et des grenades, qui brûlent les églises, les écoles, les commerces et les bâtiments publics», lance, avec une ironie amère, le Père Henri Boulad dans une interview accordée à l’agence Apic.
Le Père jésuite égyptien était de passage en Suisse à l’invitation de l’ambassadeur de Suisse au Caire, et il a participé le 19 août 2013 à la Conférence annuelle des ambassadeurs à Berne, où il a donné une conférence sur la liberté d’opinion et d’expression.
Le directeur du Centre culturel jésuite d’Alexandrie, au 298 de la rue Port-Saïd, rentrait du Liban le 3 juillet dernier, jour de la destitution du président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.
«A mon arrivée, j’ai vu les manifestations de joie à Héliopolis, le peuple était en liesse, et pas seulement dans les quartiers huppés. C’était une vraie kermesse, les gens étaient tellement contents d’être débarrassés de Morsi. J’ai vu à quel point il était honni, aussi par les petites gens qui l’insultaient, le chauffeur de taxi, la marchande de légumes sur le trottoir…», témoigne cet ancien supérieur régional des jésuites d’Egypte, qui fut aussi directeur de Caritas-Egypte et vice-président de Caritas-Internationalis pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
«Les gens du peuple se sont sentis trahis, bernés, floués par cet homme qui a déçu tout le monde. On coupait l’électricité au moment des examens, on la vendait au Hamas à Gaza, il y avait des pannes d’essence partout. Les Frères contrôlaient quasiment tout: ils avaient la présidence, le gouvernement, et il était moins cinq qu’ils mettent la main sur la magistrature. Ils auraient alors eu tout le pays sous leur contrôle!»
Le jésuite affirme avoir vu des documents compromettant mettant en cause la souveraineté nationale: «Les Frères étaient prêts à dépecer l’Egypte et avaient reçu beaucoup d’argent des pays du Golfe pour cela: 40 % du Sinaï cédés aux Palestiniens – un deal avec les Etats-Unis et Israël -, un bout à la Libye, à l’ouest de Marsa Matrouh, un autre au Soudan, au sud d’Assouan… L’armée, garante de l’unité du pays, devait réagir!»
Pourquoi cette révolte du peuple égyptien contre la dictature de Moubarak ? «Moubarak et toute sa clique étaient certes corrompus, mais il avait tout de même fait un bon travail de développement: l’Egypte marchait, les infrastructures fonctionnaient, il y avait la sécurité et les investissements étrangers arrivaient. La liberté de presse et d’expression s’était beaucoup élargie au fil du temps, et on pouvait pratiquement tout dire dans les dernières années de son règne. Les gens ont vu la différence quand les Frères sont arrivés au pouvoir! Ils ont réussi à se mettre à dos la population en moins d’un an».
Les Egyptiens, assure le Père Boulad, ont rapidement dû faire face aux pénuries: essence, électricité, manque de pain (»là, chez les Egyptiens, vous touchez le nerf de la guerre!»), raréfaction du tourisme dû à l’insécurité, effondrement de la livre égyptienne…
Les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir grâce à un important travail de réseautage, développé durant des décennies: les couches pauvres, qui se sentaient abandonnées par le pouvoir, étaient prises en charge par les organisations des Frères, qui fournissaient gratuitement des soins médicaux et de la nourriture. Ils ont utilisé ces leviers d’influence, avec l’argent venant en abondance du Golfe, pour acheter les électeurs. «Les femmes qui mettaient le voile recevaient même une allocation mensuelle…»
Pour le Père Henri Boulad, les Frères ont une très grande habileté stratégique, c’est comme «une hydre à cent têtes». Mais ils s’opposent aux salafistes, «aussi dangereux, mais plus frustres, plus primaires». «Les intérêts des Frères, qui instrumentalisent la religion pour des intérêts politiques, ne coïncidaient pas avec la vision des salafistes». Dans un premier temps, du moins, le parti salafiste Al-Nour s’est rallié aux nouvelles autorités égyptiennes.
Avant l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, les chrétiens d’Egypte émigraient déjà, mais le mouvement s’est accéléré ces derniers mois. «L’exode a commencé sous Nasser, mais la montée des Frères musulmans, sous Sadate, a également favorisé ce mouvement: rappelons que c’est sous Sadate que l’article 2 de la Constitution égyptienne stipule, depuis 1980, que l’islam est la religion de l’Etat, l’arabe sa langue officielle et les principes de la charia islamique la source principale de la législation. Mais la situation s’est aggravée sous Morsi. Tous les chrétiens rêvent de partir, pour des questions de sécurité, car ils sentent qu’il n’y a pas d’avenir pour leurs enfants dans cette région du Proche-Orient. Personnellement, j’aimerais que les gens restent, car c’est leur patrie, mais cela ne sert à rien de les en dissuader. Nous les religieux, nous n’avons pas de famille, c’est plus facile!».
En mai dernier, le Père Boulad visitait une paroisse copte orthodoxe de Montréal: «Pour ce seul mois dans ma paroisse, lui a déclaré le prêtre, nous avons accueilli 150 familles venant d’Egypte. C’est le sauve-qui-peut de ceux qui peuvent obtenir un visa! Quand les islamistes marquent votre maison d’une croix noire, pour peut-être l’attaquer dans le futur, quand les chrétiennes sont agressées dans la rue parce qu’elles ne portent pas le foulard islamique, qu’elles sont menacées d’être violées… quel est votre avenir dans un tel pays ? Le 14 août dernier, en l’espace de 24 heures, 52 églises, institutions et centres chrétiens ont été incendiés; dans une rue de Minya, en moins d’une heure, toutes les voitures, les minibus – qu’ils appartiennent tant à des chrétiens qu’à des musulmans – ont été incendiés par les islamistes».
Le religieux jésuite souligne que la majorité des musulmans défendent les chrétiens, car le clivage est entre libéraux – chrétiens et musulmans – et Frères. Ces derniers ne jouissent du respect de la population que dans les villages de la Haute-Egypte, où la plupart des gens sont analphabètes et considèrent encore les Frères comme des «hommes de Dieu», mais d’Alexandrie à Minya, en passant par le Caire, ils n’ont plus la cote, car la population a ouvert les yeux et est contre eux. C’est également le cas dans les régions touristiques, comme à Louxor ou à la Mer Rouge, où les gens ont perdu leur gagne-pain, les étrangers se faisant de plus en plus rares. Depuis leur mise à l’écart, insiste le Père Boulad, les Frères musulmans sont prêts à tout, quitte à «brûler l’Egypte».
Dans son discours devant les ambassadeurs le 19 août 2013 à Berne, le Père Henri Boulad n’y est pas allé par quatre chemins: «au-delà du droit de s’exprimer, il faut revendiquer le devoir de parler, de dénoncer, de combattre tout ce qui est contraire aux droits humains, tels que proclamés par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Accepter que certains articles de cette charte soient refusés par des pays musulmans, c’est ouvrir la porte à toutes les dérives, c’est autoriser les immigrés des sociétés d’accueil à remettre en question certaines lois qu’ils jugent incompatibles avec leur religion».
A force d'»accommodements raisonnables» (notion juridique canadienne: tentative des sociétés laïques de s’accommoder des exigences des différentes minorités religieuses, ndr), estime le jésuite égyptien, «on finit par saper les fondements mêmes des sociétés démocratiques». C’est d’ailleurs, à ses yeux, ce que vise l’islamisme «dans un Occident mou, culpabilisé par son passé colonial, doutant de lui-même, prêt à toutes les concessions pour demeurer ‘politiquement correct'». C’est ainsi, affirme-t-il, que l’islam, par un lent grignotage, est en train d’occuper systématiquement le terrain. «Toute tentative de dénonciation de ce phénomène est immédiatement taxée d»islamophobie'».
Et le Père Boulad d’affirmer devant les ambassadeurs que «l’islam, en tant que négateur d’un certain nombre de valeurs et de principes qui sont à la base de la civilisation occidentale, représente une grave menace pour celle-ci. «Refuser de dénoncer ce danger est carrément suicidaire. En ostracisant ceux qui osent tirer la sonnette d’alarme, on attaque le système immunitaire de la société!»
De nationalité égyptienne et libanaise, le Père Henri Boulad est né le 28 août 1931 à Alexandrie, sur la mer Méditerranée, de parents chrétiens d’origine syrienne, de rite grec-melkite catholique. Son grand-père a émigré en Egypte en venant de Damas, après la vague de massacres de chrétiens qui a fait quelque 20’000 morts en Syrie en 1860. Il étudie chez les Frères des Ecoles Chrétiennes d’Alexandrie. A seize ans et demi, il décide de consacrer sa vie à Dieu et aux autres. Après une expérience de vie professionnelle dans une société de spiritueux, il entre chez les jésuites à l’âge de 19 ans.
Dans les années 50, il fera son noviciat à Bikfaya, au Liban, puis poursuivra ses études à Laval et Chantilly, en France (il y obtiendra une licence en philosophie, un diplôme d’animateur de jeunes et un diplôme de dessin). De 1957 à 1960, il rentre au Caire, où il sera éducateur au Collège des jésuites et au Séminaire copte-catholique. De 1960 à 1964, il est à l’Université jésuite Saint-Joseph, à Beyrouth, pour sa formation théologique. Il est ordonné prêtre en 1963. Il poursuit ses études aux Etats-Unis (A l’Université de Chicago, il obtient un doctorat en psychologie scolaire), puis rentre au Caire, où il travaille comme éducateur au Collège des jésuites.
Après avoir été, de 1975 à 1979, supérieur des jésuites d’Alexandrie, il est élu supérieur régional des jésuites d’Egypte et président de l’Assemblée des supérieurs majeurs d’Egypte, tout en étant professeur de théologie à l’Institut catholique de théologie du Caire. De 1984 à 1995, il est directeur de Caritas-Egypte, et est également, de 1991 à 1995, vice-président de Caritas-Internationalis pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. En 2004, il est nommé recteur du Collège de la Sainte-Famille au Caire Il est actuellement directeur du Centre culturel jésuite d’Alexandrie. Le Père Boulad a publié près de 30 livres, traduits dans une quinzaine de langues. Cf. www.henriboulad.com (apic/be)
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