Zurich: Interview de Simon Spengler, chargé d’information pour la Conférence des évêques suisses
Zurich, 2 août 2013 (Apic) Simon Spengler, 51 ans, chargé d’information auprès de la Conférence des évêques suisses (CES) et ancien journaliste de tabloïd, a fait part à l’agence Apic de ses impressions concernant les obstacles dans la communication au sein de la CES. Il parle également de ce que les évêques peuvent apprendre du journal de boulevard «Blick» et quels sont les messages que doit porter la CES en priorité. Simon Spengler est secrétaire exécutif de la Commission pour la communication et les médias de la CES.
Q: Comment la CES est-elle perçue par le public?
Simon Spengler: Elle est trop peu perçue. Et c’est un gros problème. Les évêques ne sont pas d’accord sur la force que doit dégager la CES, en tant que corps uni, dans sa communication vers l’extérieur. Pour certains, l’autonomie en tant qu’évêque diocésain est primordiale. A leurs yeux, la CES ne devrait être qu’une cellule de coordination, en aucun cas un organe dirigeant. Il y a un écart béant entre la vision interne de la CES et les attentes du public.
Q: Une telle perception rendrait votre travail superflu…
S.S.: En fait, cela ne me facilite pas la tâche. Personnellement, je préfèrerais que la CES ait plus d’importance dans l’espace public. Bien entendu, il faudrait qu’elle se défasse de la prétention de toujours vouloir proclamer la vérité absolue. Lorsqu’un évêque part du principe que toutes ses paroles agissent pour l’éternité, cela devient difficile.
Q: Vous pourriez en fait écrire trois communiqués de presse par semaine. Pourquoi n’est-ce pas le cas?
S.S.: Parce que le mandataire ne le souhaite pas. Ce que je pense personnellement n’est pas important, ce qui prime c’est ce que les évêques veulent. On ne peut pas les forcer à communiquer. Individuellement, l’Abbé Martin Werlen, Mgr Charles Morerod, en Suisse romande, ou Mgr Markus Büchel, de Saint-Gall, sont plutôt actifs. Mais la CES en tant que telle communique très peu.
Q: Le diocèse de Coire fait-il un meilleur travail que la CES?
S.S.: Sur un plan purement professionnel, les personnes qui travaillent pour le diocèse de Coire sont des grands spécialistes des relations publiques. Ils mettent à profit toutes les occasions de diffuser leurs positions dans les médias. Pour cela je peux juste dire: chapeau bas! Le problème c’est que cette communication n’est coordonnée ni avec les autres évêques, ni avec la CES, et qu’elle est souvent même contre eux. Nous ne devrions pas exploiter médiatiquement nos conflits internes, mais offrir aux gens quelque chose qui les aide.
Q: En tant qu’ancien journaliste du «Blick», ne savez-vous pas mieux que les autres ce que les médias et le public attendent?
S.S.: Apparemment pas, sinon le bilan après trois ans ne paraîtrait pas aussi mitigé. Je fais de mon mieux, mais il existe de toute façon un certain nombre d’obstacles personnels et institutionnels que l’on ne peut pas facilement surmonter. Il faut faire avec.
Q: De quels obstacles parlez-vous?
S.S.: Beaucoup de représentants de l’Eglise ont une peur terrible des médias. Ils sont imprégnés de leur communication unilatérale à la chaire: ils prêchent, les autres écoutent. Le fait que les médias puissent les critiquer n’entre pas dans leur vision du monde. Je crois qu’en tant qu’Eglise, nous ne saisissons pas encore assez la fonction d’une opinion publique critique. Les textes de Vatican II «communio et progressio» ne sont toujours pas ancrés dans nos esprits. Nous avons besoin de cette ouverture pour permettre la critique à notre égard. Nous devons voir cette critique comme une chance de nous améliorer. Cette conscience n’est pas encore arrivée à maturation en nous.
Q: Votre collègue francophone Laure-Christine Grandjean a jeté l’éponge à la CES. Elle a récemment affirmé dans une interview qu’il était impossible que les évêques communiquent de façon unie. Et vous, quand arrêtez-vous?
S.S.: Le départ de Laure-Christine Grandjean a été une grosse perte pour nous. Moi, je suis une tête de mule allemande, j’ai l’habitude de ne pas facilement abandonner. La question n’est pas de savoir combien de temps je peux supporter de travailler pour la CES, mais combien de temps la CES peut me supporter. J’étais dès le départ conscient que je devrais faire face à quelques résistances.
Q: En tant qu’ancien journaliste de tabloïd, pouvez-vous nous dire quelle part de «Blick» il y a dans la CES?
S.S.: Trop peu. Le «Blick» doit s’efforcer quotidiennement de présenter ses informations de manière à ce que les gens achètent le journal. C’est ce genre de conscience que la CES doit encore développer.
Q: Quels avantages possède la CES par rapport au «Blick»?
S.S.: L’institution de l’Eglise offre plus de liberté. Les évêques me gratifient d’une très grande confiance. Il n’y a pas de directives strictes venant d’en haut, lorsqu’il s’agit par exemple de restructurer le paysage médiatique catholique suisse. Mon expertise n’est pas remise en cause. Le travail dans une grande entreprise est beaucoup plus autoritaire. C’est le rédacteur en chef qui détermine tout depuis le haut. En comparaison avec le «Blick», la CES est une instance libérale.
Q: Mais une eucharistie commune entre fidèles catholiques et protestants a récemment été interdite par la hiérarchie catholique. N’est-ce là pas un signe d’autoritarisme?
S.S.: Il y a dans l’Eglise des règles bien établies, qu’on doit accepter. C’est la même chose dans chaque banque ou compagnie d’assurance. En ce qui concerne l’eucharistie commune, je n’ai pas abandonné l’espoir que nous allons progresser en ce sens. Bien que cela ne semble pas pour le moment en bonne voie. Je ressens plutôt une forme de stagnation et de découragement.
Q: L’Eglise a perdu, ces dernières années, une grande partie de sa crédibilité. Qu’allez-vous faire pour la rétablir?
S.S.: Il me semble important d’initier un dialogue entre la direction de l’Eglise et l’homme de la rue. L’Eglise devrait beaucoup moins prêcher du haut vers le bas. Elle devrait prendre le temps d’écouter les gens. Elle devrait tenter, à travers son riche héritage, de donner des réponses aux besoins de la population et aux questions de notre époque.
Q: Comment vous représentez-vous concrètement la chose?
S.S.: Les évêques pourraient par exemple reprendre la tradition des moines errants Colomban et Gall, et marcher à travers le pays avec leurs collaborateurs. Ce serait un signe qu’ils veulent entrer en contact avec les gens, au-delà des invitations officielles et des cérémonies. Le contact vers les jeunes devrait aussi être recherché. Pas seulement lors des JMJ au Brésil, mais aussi en Suisse, par exemple lors d’un camp avec les jeunes. J’ai trouvé très bien que l’Abbé Werlen convoque la conférence de presse contre la révision de l’asile dans un centre pour requérants et non dans une salle de conférences. Cela revient à être plus proche de la vie. Et le pape François nous en donne l’exemple.
Q: Comment devraient idéalement être les médias et la CES à l’avenir?
S.S.: J’aimerais que les médias ne s’intéressent pas qu’aux querelles internes de l’Eglise, mais aussi au message qu’elle proclame. Or, la balle est avant tout dans notre camp. Nous devons faire passer notre message en fonction de l’époque actuelle. Nous ne devrions pas porter tant d’importance au fait que la personne est homo- ou hétérosexuelle, si elle est mariée, divorcée ou célibataire. Au centre, il nous faut placer les soucis, les besoins et les espoirs des personnes, les questions auxquelles ils sont confrontés chaque jour, et comment la parole de Jésus peut les aider. Nous nous cachons encore beaucoup derrière nos dogmes, plutôt que de mettre l’être humain au premier plan.
Le théologien Simon Spengler, 51 ans, est secrétaire exécutif de la Commission pour la communication et les médias de la CES, basée à Fribourg. Il est également l’un des trois chargés d’information du service de communication de la CES. Il vit à Schmitten dans le canton de Fribourg.
(apic/ami/job/rz)
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