Suisse: Message de la Conférence des Evêques pour la fête nationale du 1er août 2013

La voix de l’Eglise dans la société (texte intégral)

Dans une société pluraliste comme celle de la Suisse, l’Eglise devrait-elle encore prendre position publiquement, ou ne devrait-elle pas plutôt s’en abstenir ? Cette question se pose bien sûr à propos de toute Eglise ou religion, mais nous l’abordons dans notre propre cas, celui de l’Eglise catholique.

Parler de position publique de l’Eglise ne signifie pas seulement une déclaration des évêques. Il s’agit d’abord de tout acte de personnes inspirées par leur foi. En effet être chrétien doit avoir des conséquences, sinon cela ne signifie rien. Puisque le chrétien croit que Dieu aime les hommes, il se sait appelé à faire de même, et le manifeste aussi dans l’attention à ceux que personne ne prend en considération, et dans le pardon jusqu’à l’amour des ennemis. On trouve une inspiration évangélique assez directe dans la Constitution fédérale, dont le Préambule, qui commence par invoquer le « Dieu tout-puissant », affirme que « la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ».

Une attitude évangélique n’a jamais été évidente : la vengeance est plus spontanée que le pardon, et toute société tend à se satisfaire de l’oubli de ses pauvres. Pourtant le pardon et l’intégration des faibles sont essentiels à la possibilité même d’une communauté humaine paisible. Si on étudie l’histoire en prêtant attention à cet aspect, on verra à quel point l’Evangile a façonné notre société. La vie quotidienne des chrétiens de notre pays continue à façonner notre monde. Chaque geste inspiré – consciemment ou non – par l’Evangile a un effet, et est donc une position chrétienne en quelque sorte publique.

Comme le relève une étude nationale récente, une grande partie des Suisses voit l’impact des Eglises (pas seulement de l’Eglise catholique) comme positif au moins pour les marginaux. Toutefois on ne remarque pas toujours que cet apport social dépend d’une foi vivante :

« Si le christianisme bénéficie d’une bonne image, (…) il n’est plus considéré par tous les Suisses comme la religion de base de la société actuelle. Par contre, une majorité considère que les Eglises nationales continuent d’être utiles pour les personnes socialement défavorisées. Un rôle social qui est pourtant menacé, si de plus en plus de personnes se distancient de la religion. » (La religiosité des chrétiens en Suisse et l’importance des Eglises dans la société actuelle, PNR 58, p.5)

Les positions des chrétiens ne sont pas purement individuelles, car l’être humain vit en société et la foi chrétienne intègre cette dimension communautaire. Certes, au plan individuel ou au plan ecclésial, l’impact des chrétiens n’est pas toujours à la hauteur de l’Evangile. Cela affecte la crédibilité de nos positions, et l’Eglise l’a reconnu à plusieurs reprises en demandant pardon (notamment durant le jubilé de l’an 2000). Le Concile Vatican II a été radical à cet égard :

« Dans cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n’est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l’éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d’eux qu’ils voilent l’authentique visage de Dieu et de la religion plus qu’ils ne le révèlent. » (Gaudium et Spes, § 19)

Si la vie des croyants, y compris bien sûr celle du clergé, voile souvent l’Evangile, ce n’est pas une raison de ne pas annoncer cet Evangile. Au contraire, nous l’annonçons à nous-mêmes et aux autres comme source de renouvellement offerte par Dieu à l’accueil de notre liberté. Sans renouvellement constant, notre foi et ses conséquences pratiques s’affaiblissent et finissent par disparaître.

Prenons quelques exemples de ce qu’une vision chrétienne de la vie humaine peut apporter à la société :

L’homme n’est pas purement matériel et une vision purement matérialiste ne suffit pas à rendre heureux. C’est au nom de la dimension spirituelle de l’être humain que des chrétiens ont résisté aux matérialismes communiste et nazi au XXe siècle.

«»¢ Le bien commun du pays et du monde demande que chacun renonce à une partie de ce qu’il pourrait avoir : le christianisme invite à dépasser l’égoïsme, en nous rappelant que la vie présente n’est pas notre seule perspective.

«»¢ Beaucoup de nos concitoyens ont des racines chrétiennes, qui expliquent une partie de leurs positions sociales. La connaissance de ces racines aide à comprendre notre société. Comme le facteur religieux joue un rôle important dans le monde entier, le connaître de l’intérieur favorise aussi notre compréhension du reste du monde (ce qui est utile même au plan économique).

«»¢ La population suisse compte près de 20% d’étrangers, qui tiennent souvent beaucoup à la religion, et à ce niveau nous pouvons avoir un bon dialogue entre Suisses et immigrés. A titre d’exemple : la commune de Renens a donné en 2012 son « Mérite de l’intégration » aux Missions catholiques espagnole, italienne et portugaise.

«»¢ Une vision religieuse aide aussi à dialoguer avec d’autres religions : ce que beaucoup de musulmans craignent, par exemple, ce n’est pas une société chrétienne, c’est surtout une société qui ne laisse pas de place à la religion.

Si les évêques s’expriment parfois publiquement sur des sujets de société, ce n’est donc pas seulement pour éclairer les catholiques à propos de leur foi, mais aussi pour proposer à tous l’apport d’une vision chrétienne. Nous le faisons en écoutant les autres positions, et en espérant pouvoir être aussi écoutés avec la bienveillance présupposée par une société démocratique. Et quoi qu’il arrive nous nous souvenons du cri de l’Apôtre S. Paul : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile! ». (1 Corinthiens 9,16)

Au nom des Evêques suisses : Mgr Charles Morerod, vice-président de la Conférence des Evêques

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