L’enlèvement des deux évêques d’Alep crée la panique parmi les chrétiens
Einsiedeln, 15 mai 2013 (Apic) «Les combats s’approchent de notre quartier, trois obus sont tombés tout près de notre église le 2 mai». Vraisemblablement venant des quartiers contrôlés par les rebelles… Curé grec-catholique melkite de la paroisse de Saint-Cyrille, dans le quartier de Kassa’a, le Père Georges Aboud vit dans une zone de Damas encore épargnée par les combats.
L’Apic a rencontré ce religieux libanais de l’ordre basilien salvatorien lors du traditionnel pèlerinage annuel de la section suisse de l’oeuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), qui se déroulait le 12 mai à l’Abbaye bénédictine d’Einsiedeln, en Suisse centrale.
Des combats quotidiens se déroulent dans toute la périphérie, à Barzé, un quartier du nord de Damas, dans la Ghouta orientale, une vaste région agricole à l’est de Damas, place forte de la rébellion. Mais le centre de Damas est pour le moment calme. Depuis l’éclatement de la guerre civile il y a deux ans, plus d’un millier de chrétiens ont trouvé la mort et de nombreux chrétiens ont été chassés de leurs quartiers ou de leurs villages. 8% des quelque 22 millions de Syriens sont des chrétiens, dont près du quart ont déjà fui, soit à l’intérieur du pays, soit dans les pays voisins, et l’exode continue.
Selon Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas, Alep, la première ville chrétienne de Syrie, a perdu plus de 65 % de ses fidèles, tandis que Homs, la troisième ville de Syrie, a vu toutes ses paroisses du centre et des banlieues dévastées. A Damas, les paroisses de la couronne urbaine ont dû fermer leurs portes.
A Kassa’a, il n’y a pas encore de combat de rue, assure le Père Aboud. Une voiture piégée a cependant sauté près de son église le 17 mars de l’année dernière, et une bombe a explosé le 9 octobre. Le jeune prêtre de 45 ans n’a pourtant aucune intention de quitter sa paroisse en raison de la situation. «Le berger doit rester au milieu de son troupeau, en particulier si une tempête survient», insiste-t-il.
«Les écoles sont ouvertes dans le quartier de Kassa’a, les gens vont au travail quand leur lieu d’activité n’est pas dans une zone de combat. Dans cette région du centre de Damas, les boulangeries et les magasins sont ouverts. Les gens de la rue sont bien obligés de vivre, leurs sentiments sont mêlés: s’ils veulent tous la fin de la guerre, ils ne veulent pas forcément la fin du régime, car ils ne savent pas de quoi sera fait l’avenir… Ce n’est pas tout noir ou tout blanc!»
Le Père Aboud relève que chrétiens et musulmans vivent ensemble en Syrie depuis des siècles, certains ont même eu des postes à responsabilités sous les califes, comme par exemple le père de saint Jean Damascène. «Les relations sociales entre musulmans et chrétiens n’ont pas été rompues par les événements actuels. Des travailleurs musulmans sont toujours employés dans notre paroisse où vivent en bonne entente 15’000 melkites (des catholiques de rite byzantin unis à Rome), aux côtés de syro-orthodoxes, de syro-catholiques, de chaldéens, de maronites, de protestants et de musulmans».
Malgré cette entente des gens dans la rue, le Père Aboud tient cependant à souligner la peur grandissante des mouvements extrémistes qui prennent de l’ampleur, même si cela ne se sent pas encore beaucoup dans cette zone de Damas. «Les gens se sentent impuissants, ils se sentent utilisés, comme des objets aux mains des grandes puissances. On a l’impression que ce qui se passe échappe désormais tant à la volonté du gouvernement qu’à celle des rebelles… La sécurité n’est plus assurée et la criminalité gagne chaque jour du terrain, les enlèvements sont devenus une vraie industrie».
Certes, relève le curé de Saint-Cyrille, les chrétiens ne sont pas menacés en tant que tels dans l’immédiat, mais ils ont peur du futur, et craignent de subir le sort de leurs frères d’Irak. «A mon sens, les extrémistes, qui sont utilisés par des puissances extérieures et qui sont de fait étrangers à la société syrienne, n’arriveront pas à prendre le pouvoir, mais ils sont capables de causer de graves troubles. Pendant ce temps, les chrétiens, qui étaient environ deux millions sur vingt-deux millions de Syriens, partent. Dans notre paroisse, beaucoup ne sont plus là, même si les églises sont encore pleines aux quatre messes du dimanche».
La disparition de deux prêtres – les Pères Michel Kayyal, arménien catholique, et Maher Mahfouz, grec orthodoxe, enlevés par un groupe de rebelles armés le samedi 9 févier sur la route conduisant d’Alep à Damas – et l’enlèvement le 23 avril dernier dans la région d’Alep de Mgr Gregorios Ibrahim, métropolite de l’Eglise syriaque orthodoxe, et de Mgr Paul Yazigi, métropolite de l’Eglise grecque orthodoxe d’Antioche, ainsi que l’assassinat de leur chauffeur, ont semé la peur et l’angoisse parmi les chrétiens et accéléré le mouvement de fuite.
«Le sentiment de peur n’est pas celui des chrétiens seulement, c’est celui de tous les Syriens. Nous craignons de voir s’installer une situation chaotique semblable à ce qui se passe en Irak, que les groupes extrémistes sèment le désordre et le chaos… La montée des extrémismes effraye tout autant les musulmans que les chrétiens». JB
Originaire de Kfarnabrakh, dans le Chouf, au Mont Liban, Georges Aboud est curé de Saint-Cyrille, à Damas, depuis 2001 ans. Religieux libanais de l’ordre basilien salvatorien, le Père Aboud est également juge au tribunal ecclésiastique patriarcal à Damas. Notons que l’»Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) a fourni en 2012 une aide pour un montant de CHF 570’000 en faveur des réfugiés en Syrie même et dans les pays voisins. Depuis l’éclatement de la guerre civile, AED soutient également des programmes d’aide d’urgence, notamment pour des vivres et des médicaments. Au début de 2013, AED a décidé d’aider les diocèses et les paroisses de Syrie à hauteur de CHF 190’000 pour payer de la nourriture, des médicaments et l’énergie nécessaire pour fonctionner les installations électriques. (apic/be)
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