La crise n’a cessé d’empirer depuis la fin de l’administration française
Lausanne, 19 avril 2013 (Apic) Après plusieurs mois de tergiversations, la date des élections présidentielles à Madagascar a été fixée au 24 juillet 2013. Les partis ont désigné leurs candidats: la mouvance de l’ancien président Marc Ravalomanana a choisi son épouse Lalao Ravalomanana, alors que le parti de l’actuel chef du gouvernement transitoire Andry Rajoelina a porté son choix sur Edgard Razafindravahy, maire de la capitale Antananarivo. «Mais à Madagascar il peut y avoir des rebondissements de dernière minute», affirme Gaelle Mieli, une jeune volontaire de retour en Suisse après 6 mois d’engagement dans la région d’Antsirabé.
Depuis le renversement de Ravalomanana en 2009, le pays est suspendu par l’Union africaine. De ce fait, le gouvernement ne dispose pas d’une totale reconnaissance des autres pays. Les guerres d’influence à l’étranger entravent les relations internationales.
Juriste de formation, Gaelle Mieli a œuvré jusqu’en février dernier à AKANY-RISIKA, un centre de formation professionnelle pour jeunes, dans le cadre de l’association CH-Madagascar. Elle a enseigné le français et réalisé un support de cours de droit, pour enseignants et élèves.
Apic: Quelles sont les conséquences des crises politiques et renversements de pouvoir sur la vie quotidienne des habitants?
Gaelle Mieli: Finalement, ça ne change pas grand-chose, car la crise n’a cessé d’empirer depuis la fin de l’administration française, en 1960. Et ça, c’est la population qui le dit. En particulier, les Malgaches établis à l’étranger le confirment: chaque fois qu’ils rentrent au pays. Il y a une fracture sociale énorme. Les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres toujours plus pauvres
Le SMIC est actuellement de 35 francs suisses par mois. Le chômage atteint 80% de la population, mais la plupart des gens vivent de petits boulots non officiels ou cultivent un coin de terre. Ils sont obligés de pratiquer le système D pour s’en sortir.
Une partie de la population est en situation de malnutrition, surtout à l’intérieur du pays. Les gens ont une nourriture très peu variée. Ils se contentent de riz du matin au soir. Pas de poissons ni de légumes. Sur les côtes, ils peuvent au moins pêcher.
Le kilo de riz coûte 1’300 à 1’400 ariary, soit 60 centimes suisses, et le kilo de pommes de terre 800 ariary, soit 35 centimes suisses environ. Ce qui représente un montant assez considérable compte tenu des maigres revenus.
Apic: Compte tenu de ses terres fertiles et de ses minerais, le pays est riche, mais la population reste très pauvre …
G.M: Le gouvernement privilégie le commerce réalisé par des pays étrangers. Il en tire un certain bénéfice, mais au détriment de la population. Il laisse des entreprises chinoises – et issues d’autres pays asiatiques comme l’Inde et le Pakistan – piller les minerais et les terres, en exigeant des sommes nettement insuffisantes et qui ne profitent pas à la population.
Madagascar exporte du bois de rose, des saphirs, des rubis, ainsi que d’autres pierres précieuses et semi-précieuses, du graphite, … Souvent, ce sont les entreprises étrangères elles-mêmes qui dictent les règles commerciales et profitent de la forte corruption pour réaliser des bénéfices importants.
Apic: Autre richesse: tout comme dans beaucoup d’îles, Madagascar bénéficie d’une faune et d’une flore exceptionnelles …
G.M: Oui, elle dispose d’une flore et d’une faune endémiques incomparables. Avec énormément de diversité sur cette grande île. Alors que l’est, marquée un climat très pluvieux, dispose d’immenses forêts tropicales, l’ouest, au large du détroit de Mozambique est beaucoup plus sec. On y découvre par exemple 7 espèces de baobabs, dont une seule se trouve ailleurs dans le continent africain.
Apic: Y a-t-il des problèmes de confiscation des terres à Madagascar?
G. M: Oui, car la plupart des familles qui possèdent un terrain n’ont pas d’acte de propriété. Elles sont donc exposées à l’expulsion de leurs propres terres. J’ai réalisé à cet effet des fiches expliquant comment obtenir un acte de propriété.
Je n’ai par contre pas été confrontée à des problèmes d’accaparement des terres pour la culture de produits d’exportation. Madagascar exporte certains produits, mais pas issus de cultures de masse: vanille, litchis, fleurs ylang-ylang pour l’huile de parfums, ainsi que des épices (poivre, safran) et quelques fruits.
J’ai pu constater un autre problème facteur de pauvreté: les Malgaches ont tendance à se contenter du minimum nécessaire, à répondre aux besoins au jour le jour, sans constituer des provisions pour l’avenir ou lancer des projets à plus long terme. Ils se plaignent ensuite de leur situation de pauvreté.
Apic: Qu’est-ce que cette expérience à Madagascar vous a apporté?
G. M: J’ai appris à me débrouiller dans un lieu qui m’était totalement inconnu et étranger. Même si je me suis bien préparée, le choc des cultures a été énorme. Les débuts ont été difficiles car je n’avais pas l’occasion de me confier à quelqu’un qui puisse me comprendre vraiment. J’ai dû me défaire de mes sécurités habituelles.
J’ai aussi découvert un peuple d’une grande générosité. Même ceux qui ne possèdent rien invitent à manger et offrent tout ce qu’ils peuvent. Les gens sont dotés d’une hospitalité extraordinaire.
Apic: Quelle vision avez-vous eu de l’Eglise catholique à travers votre expérience?
G. M: L’Eglise catholique réalise un travail très positif. En plus de son activité pastorale, elle tient la plupart des écoles, des dispensaires, des bibliothèques, …
Moi qui avais peu de contacts avec les Eglises en Suisse, je me suis retrouvée entourée de religieuses à Antsirabé. D’abord les Soeurs du Sacré-Cœur de Ragusa chez qui j’ai logé, mais aussi les Sœurs de St-Paul de Fribourg, avec lesquelles j’ai beaucoup travaillé. J’ai aussi eu de nombreux contacts avec l’évêché.
Encadré:
Parmi les élèves de AKANY-RISIKA figurent des catholiques, des protestants et des adeptes du culte des anciens. A noter que leurs pratiques ne sont pas considérées par les Malgaches comme incompatibles avec le catholicisme.
Gaelle Mieli a un le privilège de participer aux premières loges à un culte ancestral: le retournement des morts.
Chaque année, selon un tournus de 5 à 7 ans dans les régions, toutes les familles se rendent en procession jusqu’au tombeau de leurs ancêtres en musique, selon un itinéraire bien défini. Les processionnaires tournent plusieurs fois autour des tombeaux, puis les anciens et quelques autres personnalités importantes se tiennent debout sur les tombeaux, font des discours, puis ouvrent la dalle. Ils sortent les corps entourés d’un linceul, les emballent d’un nouveau linceul supplémentaire, les portent en dansant, en chantant et en criant.
Puis ils remettent les corps dans le tombeau et font la fête. Ce genre de cérémonie peut durer 3 ou 4 jours, avec les déplacements, les repas, la fête, … Les familles organisent les retournements des morts à tour de rôle, selon un tournus. Elles reçoivent des dons d’argent importants, ce qui provoque parfois des situations d’endettement des autres familles. Celles-ci tiennent à donner toujours davantage que les années précédentes.
Encadré:
Vaudoise de la région d’Echallens, Gaelle Mieli termine actuellement son master en droit à l’Université de Lausanne. A Lucerne, en dernière année de bachelor, elle a eu l’occasion de suivre un cours de droit africain. En découvrant cette réalité, elle a eu l’envie de se rendre en Afrique. C’est l’association catholique «Voyage-partage» qui l’a mise en relation avec CH-Madagascar et son responsable Jean-Pierre Cadoux, qui lui a proposé un projet.
Gaelle Mieli a demeuré sur place durant 6 mois, du 14 août 2012 au 3 février 2013. Elle a logé dans un lycée tenu par des Soeurs du Sacré-Cœur de Ragusa, à Antsirabé, où elle a donné des cours de communication aux élèves. Elle a surtout travaillé pour AKANY-RISIKA, un centre de formation professionnelle pour jeunes. Ils peuvent y exercer de la couture, de la broderie, de l’ouvrage métallique ou sur bois, la réparation des vélos, ainsi qu’une formation agro-alimentaire.
Gaelle Mieli y a donné des cours de français et réalisé un support de cours de droit, pour enseignants et élèves. Parmi les sujets figurent la rédaction d’un CV, les contrats types de travail, les droits des travailleurs, les démarches pour ouvrir une entreprise ou une coopérative, comment ériger des statuts, ainsi que des notions de droit foncier (comment enregistrer un terrain par exemple). Ses documents ont été traduits en malgache, contrôlés par une avocate du pays, puis imprimés en plusieurs exemplaires pour les élèves. (apic/bb)
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