Paraguay: Elections présidentielles moins d’un an après la destitution de Lugo

Une jeune démocratie (déjà) en péril

Asuncion, 19 avril 2013 (Apic) Moins d’un an après la destitution du président Fernando Lugo Mendez, le Paraguay s’apprête à élire son successeur dimanche 21 avril. L’occasion pour les 3,6 millions d’électeurs de désigner également les sénateurs, les députés et les gouverneurs de ce pays où corruption, clientélisme et tentation d’un pouvoir autoritaire menace toujours la démocratie.

Hortensia ne lève même plus la tête. Installée à même le trottoir dans le centre ville d’Asunción, la capitale, cette vendeuse de gadgets électroniques, demeure insensible au véhicule 4X4 qui passe devant elle, tractant une remorque à l’effigie d’un des candidats à l’élection présidentielle. Même l’invitation à voter diffusée à tue-tête sur fond de «chopi», une entraînante musique traditionnelle, laisse stoïque cette mère de quatre enfants. «Après la destitution de Fernando Lugo Mendez, personne ne croit plus en la politique dans ce pays et surtout pas aux politiciens, explique t elle. Car quel que soit le résultat de dimanche, les choses seront comme elles ont toujours été avant: les riches seront encore plus riches et les pauvres, comme moi, devront continuer à lutter pour gagner à peine de quoi nourrir nos enfants et les envoyer à l’école.»

Le Paraguay, petit état d’Amérique du Sud coincé entre le Brésil et l’Argentine, va élire, dimanche 21 avril, son président, ainsi que 45 sénateurs, 80 députés et 17 gouverneurs de département. Ce scrutin vise donc à remplacer Fernando Lugo Mendez, que le Sénat paraguayen a destitué le 22 juin 2012 pour avoir «négligé ses fonctions». Il a été tenu pour responsable de la mort de 17 personnes lors de violents affrontements, le 15 juin, entre des civils et des policiers. Ces derniers étaient venus expulser des paysans sans terre installés dans la propriété d’un homme d’affaire de Curuguaty, au nord-est d’Asunción. Au terme d’un scrutin quasi unanime, l’ancien évêque, élu en avril 2008, après plus de 60 ans de présence ininterrompue au pouvoir du parti Colorado, dont 35 années de dictature d’Alfredo Stroessner, a dû quitter ses fonctions. Une destitution qualifiée de «coup d’Etat parlementaire», y compris par la communauté internationale.

Nombreuses promesses, pas toutes tenues

En 2008, l’élection de Fernando Lugo Mendez avait pourtant été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme et d’espoirs, notamment de la part des catégories les plus modestes de ce pays, le second le plus pauvre du continent après la Bolivie. Réforme agraire, santé, éducation aides matérielles aux plus pauvres, démocratisation de la société et respect des droits de l’homme … Les promesses étaient nombreuses, mais les conditions pour les réaliser pas vraiment idéales. «Fernando Lugo Mendez a travaillé avec une équipe gouvernementale très hétéroclite, composée aussi bien de représentants de la gauche traditionnelle que du parti libéral (de droite)» rappelle Marielle Palau, sociologue au sein de BASE, une ONG paraguayenne spécialisée dans les recherches sociales. «Il n’avait pas non plus de majorité, ni au Sénat, ni à l’Assemblée. Cela a singulièrement compliqué sa tâche.»

Malgré ces limitations, l’ancien «évêque des pauvres» a amélioré les secteurs de la santé et de l’éducation. «Sous son mandat, de nombreux hôpitaux et postes de santé, notamment en milieu rural, ont été construits», souligne Adrian Zena, membre de la Coordination nationale de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC). «Il a surtout développé une couverture maladie accessible aux plus démunis. Concernant l’éducation, il a également bâti de nombreux établissements. Il a aussi démocratisé l’accès aux études supérieures. Il faut rajouter également les efforts sensibles accomplis pour l’accès des plus démunis à la propriété. Sans oublier évidemment le programme d’aides sociales inspirées de la ‘bourse famille’ instaurée à l’époque au Brésil par le président Lula.»

2,5% des propriétaires terriens possèdent 85% des terres

En revanche, la réforme agraire tant promise n’a pas vu le jour. «Fernando Lugo Mendez s’est retrouvé confronté à des pouvoirs économiques, nationaux et étrangers, très puissants», estime Enrique Gauto Bozzano, le secrétaire exécutif de la Coordination des Droits de l’Homme du Paraguay (CODEHUPY). «Il avait sans doute mal évalué les forces et les intérêts en présence, dans un pays ou 2,5% des propriétaires terriens possèdent 85% des terres!» Une force économique d’autant plus puissante que l’agriculture représente un quart du produit intérieur brut, l’un des plus important du continent latino-américain. Principales ressources? Le soja, essentiellement transgénique, dont le Paraguay est le 4ème exportateur et le 6ème producteur mondial, et la viande. Une agriculture tournée vers l’exportation, grande consommatrice d’agro toxiques, mais qui provoque aussi un terrible exode rural, y compris pour les nombreux indiens qui peuplent le nord du pays, une région très convoitée.

«Malgré toutes ces difficultés, le mandat de Fernando Lugo Mendez a permis notamment à la société civile d’être plus sollicitée pour participer à l’élaboration des politiques publiques, affirme également Enrique Gauto Bozzano. C’est pour cela que le ‘coup d’Etat parlementaire’ a sonné comme un électrochoc, notamment pour tous les acteurs de la société civile qui ont vu l’élection de Fernando Lugo en 2008 comme le début d’un cycle vertueux de démocratie.» Une inquiétude d’ailleurs renforcée avec les premières mesures prises par le vice-président de l’époque, Frederico Franco, du Parti Libéral, chargé d’assurer l’intérim jusqu’à la tenue des élections de dimanche. «Sa première décision a été d’autoriser la culture de coton transgénique que Fernando Lugo Mendez avait refusée, détaille le Secrétaire exécutif de la CODEHUPY. Parmi les autres mesures symboliques, il a également licencié près de 400 agents de l’état chargés de suivre les programmes sociaux.»

Le coup d’état «légitimé»

Pourtant le pire est peut-être à venir. Car les deux partis les plus importants (le Parti Libéral et le Parti Colorado), majoritaires au Sénat et à l’Assemblée, sont ceux dont les représentants pour l’élection suprême se retrouvent coude à coude dans les sondages. Dès lors, «quel que soit le résultat, le danger de ce scrutin est de donner une légitimité par le vote au suffrage universel à ceux-là même qui ont organisé le coup d’état parlementaire», redoute Marielle Palau. Des candidats qui n’ont cessé de critiquer, durant la campagne électorale, les Paraguayens les plus modestes en les qualifiant «d’assistés», parce qu’ils perçoivent des aides sociales. Hortensia, elle aussi, reçoit de l’état une «bourse» pour ses enfants. «Cette aide, clame t elle, personne ne pourra la supprimer!» Sinon Hortensia pourrait bien, cette fois, lever la tête. Pour faire respecter ses droits de citoyenne.

(apic/jcg/bb)

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