A la veille de sa visite en France, le patriarche maronite libanais met en garde

Liban: Mgr Béchara Raï craint la possible dérive fondamentaliste du «printemps arabe»

Beyrouth, 6 avril 2013 (Apic) A la veille de sa visite en France qu’il entame le 8 avril 2013, le patriarche maronite libanais se montre sceptique face aux événements en cours au Proche Orient. Le cardinal Béchara Raï craint la possible dérive fondamentaliste du «printemps arabe», dont l’élan démocratique cacherait mal – en premier lieu en Syrie – le risque de discorde confessionnelle qui menace de s’étendre au Liban.

«Des forces obscures œuvrent à désarticuler les Etats et les institutions, et à tenter inlassablement d’allumer la ›fitna’ (discorde, ndr) entre les différentes confessions jusque-là coexistant paisiblement, et, quelle ironie, au nom de la démocratie et du ›printemps arabe’», a-t-il lancé le lundi de Pâques devant l’ambassadeur de France, Patrice Paoli.

«Des forces obscures» à l’œuvre

Selon le journaliste Fady Noun, éditorialiste au quotidien libanais de langue française «L’Orient-Le Jour», les réserves du patriarche à l’égard du soulèvement arabe, en particulier en Syrie, semblent avoir été mieux comprises cette fois que celles qu’il avait exprimées lors de sa première visite dans la capitale française, en septembre 2011. Le chef de l’Eglise maronite ne partage pas à l’évidence la position de l’officialité française sur la question syrienne.

«En 18 mois, en effet, bien des choses sont devenues plus claires pour les Libanais comme pour les responsables français. Ces derniers ne viennent-ils pas, en effet, de renoncer à armer l’ASL (›Armée syrienne libre’), de crainte que les armes livrées ne finissent entre les mains des groupes fondamentalistes», écrit Fady Noun. Ce dernier estime que l’appréciation du patriarche porte aussi bien sur les fondamentalistes jihadistes de «Jabhat al-Nosra», qui consolident leur emprise sur certaines zones de combat en Syrie, que sur le fondamentalisme politique prôné par les Frères musulmans sur le (›mauvais’, souligne-t-il) modèle égyptien. «Le fait qu’il parle de forces ›obscures’ peut laisser penser que ces courants sont manipulés», analyse le journaliste de «L’Orient-Le Jour».

La France devrait craindre la montée du radicalisme et du fondamentalisme

«La France des Lumières ne sera pas indifférente (…) face à la montée du radicalisme et du fondamentalisme et à la prolifération d’un obscurantisme fort des contradictions politiques et des pesanteurs régionales et internationales», a affirmé le chef de l’Eglise maronite en présence de l’ambassadeur Paoli.

Le cardinal Béchara Raï appelle la France à la «clairvoyance», en lui demandant de ne pas ignorer le rôle de «ferment démocratique» que jouent les chrétiens dans les sociétés arabes. «La montée du fondamentalisme islamique menace les musulmans, qui sont modérés dans leur majorité. Ces derniers risquent de basculer dans la pensée fondamentaliste, si les chrétiens perdent leur présence effective et leur influence bénéfique sur les sociétés arabes», souligne le patriarche.

Pour Fady Noun, le patriarche maronite veut éviter que l’on diabolise l’islam et que l’on place «musulmans modérés et extrémistes dans le même sac». Il cherche aussi à alerter l’Occident sur les conséquences de la «désertification chrétienne de l’Orient».

Pas question d’appuyer un régime particulier

«Le patriarche redemande aujourd’hui, comme il l’avait fait une première fois en septembre 2011, l’arrêt immédiat de la violence en Syrie et une solution politique au conflit. Pour lui, même s’il ne l’avait pas dit assez prudemment, il n’a jamais été question d’appuyer un régime particulier que de promouvoir une solution politique qui réduise le risque d’exode des chrétiens de Syrie», placés «entre l’enclume et le marteau».

Dans plusieurs régions libanaises, à commencer par Tripoli, au nord du pays, des affrontements sporadiques opposent des fondamentalistes sunnites aux forces prosyriennes. Sur le plan national, l’antagonisme sunnite-chiite s’exacerbe. «N’a-t-on pas vu des voyous chiites raser de force la barbe d’un cheikh sunnite qu’ils avaient coincé dans un quartier de Beyrouth? Certes, le danger jihadiste au Liban est encore diffus. Les quelque 2’700 éléments armés qui se trouveraient au Liban, selon des sources militaires privées, sont géographiquement éparpillés, et relèvent d’obédiences diverses. Leur impact est, jusqu’à présent, limité. Ce n’est pas une raison pour négliger ce danger potentiel et une possible radicalisation de la communauté sunnite qui risque de déboucher sur des violences incontrôlables. Cette radicalisation est latente et risque de jaillir au premier incident venu», met en garde Fady Noun. (apic/orj/be)

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