Rome: Depuis plus d’un siècle, les conclaves déjouent les pronostics des spécialistes

Les favoris désignés sont rarement élus

Rome, 11 mars 2013 (Apic) «Qui entre pape au conclave en sort cardinal». Ce dicton romain, pétri de sagesse populaire, s’est trouvé confirmé par plusieurs des conclaves tenus depuis le début du 20e siècle: en 1903, 1914, 1922, 1939, 1958, deux coup sur coup en 1963, puis en 1978 et 2005. Ces neuf conclaves ont montré que les pronostics autour de l’élection du pape sont parfois erronés et que les favoris désignés sont souvent écartés. En sera-t-il de même, cette fois-ci, pour les cardinaux Scola, Ouellet ou Scherer ?

Le premier conclave du 20e siècle se déroule en août 1903. Il voit succéder à Léon XIII (1878-1903), Giuseppe Sarto, patriarche de Venise, sous le nom de Pie X, élu après sept tours de scrutin. C’est la dernière fois qu’une puissance politique, l’Empire austro-hongrois, intervient dans le libre déroulement du vote. Vienne oppose en effet un veto au favori du conclave, le cardinal Mariano Rampolla, secrétaire d’Etat de Léon XIII, jugé trop francophile. Pie X est alors élu. Le nouveau pape légifère dès le lendemain de son élection pour empêcher qu’une telle intervention se reproduise. Pie X sera canonisé en 1954.

Benoît XV, le pape de la Grande guerre

Au début de la Première Guerre mondiale, le 3 septembre 1914, Benoît XV est élu pape. Giacomo della Chiesa est cardinal depuis le mois de mai précédent et ne fait pas partie des favoris. Elu au 10e tour de scrutin, d’aucuns prétendent qu’il ne montra pas beaucoup d’hésitation à accepter la charge suprême, ce qui a été interprété comme présomptueux ou comme le signe d’un sacrifice volontaire pour servir l’Eglise dans la guerre.

Plus de 90 ans plus tard, lors de sa première audience générale, Benoît XVI expliquera avoir notamment choisi de s’appeler Benoît en référence à son lointain prédécesseur «qui a guidé l’Eglise dans la période difficile de la première guerre mondiale. Il a affirmé voir en lui un homme «courageux» et un «authentique prophète de paix».

Un contexte italien difficile

L’archevêque de Milan Achille Ratti est élu pape le 6 février 1922 au 14e tour de scrutin. Election difficile d’un pape qu’on veut de consensus dans une situation politique italienne contrastée. La presse ne le considère pas comme un favori, face aux grandes pointures de la curie : le «conservateur» Merry del Val et le «libéral» Gasparri. Ce dernier devient pourtant le secrétaire d’Etat du nouveau pape Pie XI.

En 1939, autre année terrible pour le monde, le camerlingue et secrétaire d’Etat Eugenio Pacelli devient Pie XII, en moins de 24 heures et seulement trois tours de scrutins. La brièveté du conclave fait alors courir la rumeur que le cardinal Pacelli, secrétaire d’Etat et favori du sacré collège, a été élu à l’unanimité.

Papes de la Guerre froide

Le 28 octobre 1958, les cardinaux élisent le patriarche de Venise, ancien nonce en France, Giuseppe Roncalli. Avec la Guerre froide en arrière-plan, la situation est alors difficile dans l’Eglise, après le long pontificat très personnel et centralisé de Pie XII. Pourtant, le conclave ne dure que trois jours, avec 11 scrutins. On pense à l’élection de l’archevêque de Milan, Giovanni Battista Montini, qui n’est pas cardinal, ce qui aurait été une rupture dans la tradition du choix du pape dans le collège des cardinaux. Le conclave veut un candidat pouvant assurer un bref pontificat de détente et de réflexion. Jean XXIII a 77 ans, mais il sera le maître d’œuvre du Concile Vatican II.

Le 21 juin 1963, l’archevêque de Milan, devenu cardinal Montini, monte enfin, sans difficulté, sur le trône pontifical. Il devient le pape Paul VI après six tours de scrutin. Les cardinaux jugent qu’il est le plus apte à conduire à bon port le concile voulu par Jean XXIII en 1959.

Le 26 août 1978, Jean Paul Ier est élu après seulement quatre scrutins. Pour les journalistes, Albino Luciani ne s’impose pas plus qu’un autre cardinal italien et l’on prévoit un long conclave. Dès le quatrième scrutin, les cardinaux choisissent un pasteur, homme de terrain. C’est le troisième patriarche de Venise, originaire du milieu rural et de condition modeste, élu pape en un siècle qui voit six Italiens du Nord accéder à la tiare. Il est le premier pape à choisir un nom composé en hommage à ses deux prédécesseurs, Jean XXIII et Paul VI. Ce conclave a pour particularité que trois futurs papes y prennent part : Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et Benoît XVI.

La fin de la domination italienne

33 jours plus tard, après la mort prématurée de Jean Paul Ier, le 16 octobre 1978, le conclave choisit un inconnu du grand public, peu cité comme «papabile» par les journalistes «vaticanistes» : le cardinal archevêque de Cracovie Karol Wojtyla. Le conclave brise la tradition d’un pape italien, alors que les cardinaux de la péninsule sont un bon groupe constitué (29). L’élection se fait après huit votes. Les cardinaux veulent aller vite. En raison du secret qui couvre le déroulement du conclave, on ne sait pas grand-chose du résultat des scrutins. Combien de voix exactement a-t-il obtenues? Refuse-t-il une première fois ? D’où un nouveau scrutin pour emporter la décision ? Sur la place Saint-Pierre, quand son nom est prononcé, on croit à un pape africain. Pour la première fois, le nouveau pape ne se contente pas d’une bénédiction depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre, mais prononce un bref discours. Il est le premier pontife non-italien depuis l’élection du Néerlandais Adrien VI (1522-1523).

Plus Italiens, mais toujours européens

Après la mort du pape de tous les records, au terme de plusieurs mois de maladie, c’est cette fois-ci le favori qui est élu, bien qu’âgé de 78 ans. Proche collaborateur de Jean Paul II, le cardinal allemand Joseph Ratzinger est élu en 24 heures, après quatre tours de scrutin, bien que plusieurs noms de candidats non européens circulent. Le doyen du sacré collège, qui se retrouvait face à l’Argentin Jorge Maria Bergoglio avec une légère avance dès le troisième scrutin, aurait demandé un vote de confirmation. L’élu est un connaisseur des dossiers délicats de la curie, bien conscient de la lourde tâche qui l’attend et qui confiera quelques jours plus tard avoir perçu sa nomination comme «une guillotine». L’une des plus grandes surprises de ce pontificat arrivera près de huit ans plus tard, lorsqu’il annoncera son intention de renoncer à sa charge.

Ces exemples montrent que l’élection du nouveau pape est parfois une surprise, même pour les observateurs les plus attentifs. Beaucoup de rumeurs circulent autour des conclaves et c’est sans doute le meilleur moyen pour les cardinaux de préserver leur liberté de vote, garantie, de plus, par le strict secret imposé par la législation des papes sur l’élection de leur successeur. (apic/imedia/hy/ami/rz)

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