Pourtant prête l’an dernier déjà
Montréal, 12 novembre 2012 (Apic) Les évêques catholiques du Canada n’ont pas publié leur lettre pastorale sur la justice sociale, pourtant sur le point d’être publiée l’an dernier. Intitulée «La pauvreté au Canada à la lumière de la crise économique: un moment de vérité», elle abordait des sujets politiques sensibles. Elle dénonçait notamment l’exploitation des sables bitumineux, la pauvreté chez les autochtones et le rôle des élus face aux dérives d’un système financier et économique en crise.
A ce jour, l’Eglise canadienne n’a toujours pas publié de document majeur au sujet de la crise qui dure depuis plusieurs années, commente la radio chrétienne québécoise «Radio Ville-Marie». Elle révèle qu’une lettre pastorale sur la justice sociale, prête à être publiée l’an dernier, a été «jetée aux oubliettes par le Bureau de direction de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC)».
Ce document, dont le service d’information religieuse «Proximo» a obtenu copie, devait être la réponse de l’Eglise catholique canadienne à la crise économique amorcée en 2008.
La Commission pour la Justice et la paix de la CECC a préparé ce document suite au souhait des évêques canadiens, réunis lors de leur assemblée plénière à l’automne 2008. En septembre 2010, une première mouture du document a été présentée au Bureau de direction de la CECC, qui l’a acceptée moyennant certaines modifications. Un an plus tard, ce même Bureau de direction annonce en septembre 2011 qu’il met un terme au processus de publication du document. La version finale en langue française était prête, et la version anglophone était presque terminée.
Le Bureau de direction estimait que la lettre pastorale aurait peu d’impact, qu’elle était «dépassée et obscure». Le Bureau de direction, ou exécutif de la CECC, était alors dirigé par son président, Mgr Pierre Morissette, le vice-président étant Mgr Richard Smith et les deux co-trésoriers Mgr Paul-André Durocher et Mgr Douglas Crosby.
La dernière lettre pastorale préparée par la Commission «Justice et paix» de la CECC remonte au 27 janvier 2010. Elle portait sur la traite humaine dans le cadre des Jeux olympiques de Vancouver. Entre-temps, la CECC publiait certes d’autres documents, mais pas dans le domaine de la justice sociale. De janvier 2011 à ce jour, pas moins de trois lettres pastorales préparées par la Commission épiscopale pour la doctrine ont en effet été publiées. Celles-ci portaient sur les jeunes et la chasteté (janvier 2011), les jeunes et l’homosexualité (juin 2011), et le 50e anniversaire du Concile Vatican II (octobre 2012).
Appelé par «Proximo» à préciser les raisons pour lesquelles la lettre pastorale n’a jamais vu le jour, le secrétaire général de la CECC, Mgr Patrick Powers, a précisé que les différentes versions soumises par la Commission «Justice et paix» ne répondaient pas aux normes de la Conférence «en termes de recherches et de qualité d’écriture». Il avance des raisons contextuelles pour expliquer la tiédeur du Bureau de direction lorsqu’il a choisi de mettre un terme au processus de publication.
De son côté Guy Jobin, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval et spécialiste de la parole épiscopale dans l’espace public, se demande si la non publication de cette lettre pastorale ne relève pas davantage d’une décision «politique» que théologique.
Il relève que le document ne présente aucune rupture historique dans les thèmes abordés et dans le style adopté. «Il n’y a rien pour empêcher une publication. Au contraire, c’est dans la lignée de ce qui a déjà été publié». Le théologien souligne que le document pose un diagnostic moral de la pauvreté et de la crise économique, et qu’il y apporte des solutions morales.
«Classique», souligne-t-il, en relevant qu’il aurait fallu y apporter quelques modifications, étant donné notamment que le lien entre la crise et les dérives du système financier n’était pas suffisamment explicité. Il exprime également des réserves quant au lien entre la logique économique et la logique du don présenté dans le texte. Mais, à ses yeux, la lettre pastorale était tout de même apte à être publiée.
Après tout, insiste-t-il, le document est «de son temps… magistériel», puisqu’il se fait l’écho de l’état de la réflexion du magistère romain. Sans surprise, il cite abondamment l’encyclique sociale «Caritas in Veritate» publiée par le pape Benoît XVI en juin 2009.
Cette révélation survient alors que la Conférence épiscopale canadienne vient d’annoncer l’élimination du poste de conseiller principal en justice sociale, une décision justifiée par le besoin de réduire les dépenses de la CECC.
Joint au téléphone, le président de la Commission «Justice et paix», Mgr François Lapierre, évêque de Saint-Hyacinthe, déclare que ce n’est certainement pas la Commission «Justice et paix» qui a demandé de couper le poste. L’évêque de Saint-Hyacinthe affirme que la Commission n’a pas été consultée au sujet de l’élimination du poste de conseiller principal en justice sociale.
Elisabeth Garant, directrice du «Centre Justice et foi», estime que le document adopte une «position critique courageuse du système économique» et que c’est la raison pour laquelle il a été retiré. «Je ne crois pas que cette réflexion sur les causes structurelles et sur les modèles d’économie soient acceptables pour les évêques. Je crois que certains refusent de confronter le gouvernement où siègent le plus de chrétiens pratiquants».
Parallèlement, le sort de l’organisme catholique de développement international «Développement et Paix» inquiète. La campagne d’éducation automnale de l’organisme a été modifiée suite à l’expression d’un malaise épiscopal face à son approche «trop politique». A travers une campagne de cartes postales, elle souhaitait demander au Premier ministre canadien de créer un comité parlementaire spécial pour réfléchir à l’aide internationale canadienne. La nouvelle version de la campagne a complètement éliminé cette demande. (apic/rvm/be)
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