Syrie: Il n’est jamais trop tard pour entamer un dialogue, affirme le Père Georges Aboud

L’Eglise rejette la voie des armes

Berne, 17 octobre 2012 (Apic) Alors que la Syrie est toujours en proie aux violences, «il n’est jamais trop tard pour entamer un dialogue… Au Liban, après 15 ans de guerre, les parties en conflit ont finalement bien dû négocier», lance le Père Georges Aboud. Curé grec-catholique melkite de la paroisse de Saint-Cyrille, dans le quartier de Kassa’a, le religieux libanais vit dans une zone de Damas encore épargnée par les combats. Il était de passage en Suisse début octobre à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) à Lucerne.

Alors que les combat ne se déroulent qu’à 5 kilomètres de son église, le prêtre affirme qu’à Kassa’a, un quartier mixte peuplé en majorité de chrétiens, les habitants connaissent «une certaine normalité». Y vivent en bonne entente 15’000 melkites (des catholiques de rite byzantin unis à Rome), aux côtés de syro-orthodoxes, de syro-catholiques, de chaldéens, de maronites, de protestants ainsi que de musulmans.

Le berger doit rester au milieu de son troupeau

«On entend les tirs, c’est vrai, mais on s’habitue…Les enfants vont à l’école, et les gens doivent se rendre au travail pour nourrir leur famille. Les messes ont lieu normalement, comme les baptêmes ou les enterrements. Jusqu’à présent, à aucune occasion, la messe dominicale a dû être renvoyée en raison de l’insécurité». Une voiture piégée a explosé près de son église le 17 mars dernier, et une bombe a explosé le 9 octobre, mais il n’y a pas de combat de rue à Kassa’a, poursuit le Père Aboud. Le jeune prêtre de 44 ans n’a pourtant aucune intention de quitter sa paroisse en raison de la situation. Le berger doit rester au milieu de son troupeau, en particulier si une tempête survient, insiste-t-il.

L’Eglise grecque-catholique melkite a accueilli des réfugiés de Homs et des villages environnants. Le patriarcat melkite distribue actuellement des paquets de nourritures à quelque 800 familles, essentiellement des chrétiens. Les jésuites et les orthodoxes sont également engagés auprès des réfugiés de l’intérieur. Ils sont plusieurs centaines de milliers.

«Toute la Syrie n’est pas à feu et à sang»

Le religieux melkite ne veut pas commenter la situation politique. Il relève cependant que toute la Syrie n’est pas à feu et à sang. Des villes côtières comme Lattaquié ou Tartous connaissent une «certaine paix». Les combats se concentrent dans certains quartiers et régions. Ailleurs, la vie se déroule à peu près normalement, assure-t-il.

La seule chose qu’il souligne, c’est que la population vit dans l’angoisse en raison de l’insécurité permanente et des immenses destructions dans certains endroits. «Les gens ont peur de l’avenir, car tout peut arriver. Ce sentiment n’est pas celui des chrétiens seulement… Nous nous considérons d’abord comme des citoyens syriens. Nous craignons de voir s’installer une situation semblable à ce qui se passe en Irak, et que les groupes extrémistes créent le désordre et le chaos… Tout le monde en parle!».

La montée des extrémistes effraye aussi les musulmans

La peur est augmentée par la présence de plus en plus visible d’extrémistes salafistes, de djihadistes, de l’idéologie wahhabite importée de l’extérieur, qui fait également peur aux musulmans du quartier.

«Les risques ne sont pas seulement pour nous! Nous avons toujours vécu ensemble avec les musulmans, mais nous craignons désormais que ces bonnes relations finissent par être brisées par ce déferlement de haine».

Pour le moment, souligne le Père Aboud, les tensions ne sont pas perceptibles au niveau de la population: «Les contacts sont bons aussi au niveau officiel entre le patriarcat et les chefs religieux musulmans. Il y a des rencontres également au plan local entre prêtres et imams, par exemple dans les localités en majorité chrétiennes comme Sednaya et Maaloula».

Le dialogue islamo-chrétien n’est pas rompu

Après le premier Synode des évêques pour le Moyen-Orient à Rome, en octobre 2010, un «congrès international de la fraternité islamo-chrétienne» s’est tenu à Damas en décembre de la même année. A cette rencontre pour le dialogue et la coexistence avaient participé tous les groupes musulmans de Syrie et les divers groupes chrétiens, mais aussi des chrétiens et des musulmans venus d’ailleurs, notamment du Liban. «C’était juste à la veille de la révolte, qui a commencé en mars 2011. L’Eglise a toujours, dès le début, prôné le dialogue, la liberté, la justice, la cohabitation de toutes les communautés». Depuis quelques temps, des chrétiens, comme d’autres groupes, ont reçu des armes dans certains quartiers. «L’Eglise ne veut pas que la population s’arme. Quelques chrétiens ont effectivement reçu une arme, c’est pour protéger leur famille s’ils sont attaqués».

Le patriarche grec-catholique Grégoire III Laham a maintes fois lancé un appel au dialogue et à la réconciliation, rappelle le Père Georges Aboud. «Dès le début, les chrétiens se sont opposés à toute violence. Cela nous blesse de ne pas pouvoir faire grand-chose, et que le dialogue ne se passe pas entre les parties en conflit. C’est vrai, nous prêchons parfois dans le désert, l’Eglise n’as pas de force armée, seulement le pouvoir de la parole. Nous n’avons que notre foi!»

Dans sa paroisse, note le Père Aboud, des familles cherchent à émigrer, mais elles ne sont pas encore nombreuses. «Certaines sont parties pour le Liban, mais retourneront si le calme revient». A la Suisse, le religieux grec-catholique demande d’aider son pays d’adoption à sortir de la crise, «en apportant des points de vue différenciés. Car les armes n’apporteront aucune solution pour résoudre les problèmes que connaît le pays».

Encadré

Originaire de Kfarnabrakh, dans le Chouf, au Mont Liban, Georges Aboud est curé de Saint-Cyrille depuis 2001 ans. Religieux libanais de l’ordre basilien salvatorien, le Père Aboud est également juge au tribunal ecclésiastique patriarcal à Damas.

Notons que l’»Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) a fourni une aide pour les projets d’Eglise en Syrie pour un montant de 400’000 CHF en 2011. Depuis l’éclatement de la guerre civile, l’AED soutient également des programmes d’aide d’urgence, notamment pour des vivres et des médicaments. Depuis mars dernier, l’aide d’urgence d’AED se monte à 350’000 CHF. (apic/be)

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