A la chute de Ceausescu, c’était l’euphorie
Baia Mare/Maramures, 1er octobre 2012 (Apic) Malgré le retour de la démocratie en Roumanie depuis plus de deux décennies, l’Eglise gréco-catholique peine à se remettre de sa liquidation par le régime communiste en 1948. Alors qu’après la Seconde guerre mondiale, elle comptait quelque 1,5 million de fidèles et était, en nombre, la deuxième Eglise de Roumanie après l’Eglise orthodoxe, cette communauté catholique de rite byzantin ne compte plus aujourd’hui que 200’000 fidèles, soit moins de 1% de la population (*)
La région montagneuse de Maramures, située au nord de la Transylvanie, près de la frontière ukrainienne, a été pendant deux siècles et demi un haut lieu de l’Eglise gréco-catholique, que l’on ne qualifie plus aujourd’hui d’»uniate», cette appellation ayant une connotation péjorative. Communauté issue de l’orthodoxie, unie à Rome depuis le Synode d’Alba Iulia de 1697, cette Eglise orientale a été purement et simplement «liquidée» en 1948. Le régime communiste l’avait intégrée de force dans l’Eglise orthodoxe roumaine.
«Avant la suppression de notre Eglise, il y avait peu d’orthodoxes dans la région, déclare Mgr Vasile Bizau, jeune évêque de l’éparchie de Maramures, qui nous reçoit à l’évêché de Baia Mare. A la chute de Ceausescu en décembre 1989, qui a permis le retour à la légalité de notre Eglise, nous étions en pleine euphorie. Mais la majeure partie de ceux qui avaient été contraints de rejoindre l’Eglise orthodoxe y sont restés. Les fidèles appartiennent avant tout à la communauté villageoise, et ne veulent pas s’en séparer!»
Dans les paroisses de la région de Maramures, il apparaît très vite des différences d’attitudes selon les communautés et les prêtres gréco-catholiques que nous visitons. Certains veulent récupérer à tout prix leur ancienne église par le biais des tribunaux, même si leur communauté est devenue trop petite pour la rénover et l’entretenir. D’autres, comme le Père Petru Mois, curé des paroisses de Hoteni et de Desesti, renoncent, par gain de paix. «Ces procès sont pour nous une perte de temps et d’argent!». A Hoteni, il célèbre dans la même église que les orthodoxes. «Mais uniquement parce que nous sommes la majorité, l’inverse serait impossible!», admet-il.
Toujours dans la même région, voici un autre cas de figure: le Père Dumitru Grosan, dont la famille est d’origine gréco-catholique, a été prêtre orthodoxe de 1977 à 1989. Lors de la chute de Ceausescu, il a décidé de retourner au sein de l’Eglise gréco-catholique avec toute sa communauté. Ce père de cinq enfants, dont l’épouse est professeur de chimie et de physique, a ainsi récupéré l’église et les terrains de la paroisse, redevenue majoritairement catholique. «Il a fallu une grève de la faim de cinq jours pour obtenir l’église. Maintenant, les relations avec les orthodoxes, qui sont désormais minoritaires, sont bonnes. Il n’y a plus d’hostilité».
L’évêque de Maramures reconnaît que dans leur zèle apostolique, des prêtres se sont épuisés à construire de nouvelles églises souvent trop grandes pour le nombre de leurs fidèles. En suivant la vallée de l’Iza, nous tombons sur une véritable «cathédrale» à Ieud, un bourg de quelque 5’000 habitants à une centaine de kilomètres à l’est de Baia. Là vivent 3’600 orthodoxes et 1’600 gréco-catholiques.
Le désastre ici saute aux yeux… Le Père Joan Costin, qui vient d’arriver à Ieud, en est désolé. Cet immense édifice aux trois hautes coupoles argentées est l’œuvre de son prédécesseur, le Père Mihai Mircea Dobrican, décédé l’an dernier. «750’000 euros ont déjà été dépensés pour les travaux ces deux dernières années…» La bâtisse est encore en construction et le prêtre actuel ne sait pas encore comment il va financer son achèvement.
Contrairement aux espérances d’il y a vingt ans, les fidèles intégrés de force dans les années 1950 dans l’Eglise orthodoxe, dont la liturgie diffère peu de celle de l’Eglise gréco-catholique, ne sont pas revenus au bercail de façon massive: «Aujourd’hui, nous sommes minoritaires, mais, du point de vue psychologique, nous ne sommes pas encore habitués à cette réalité. Les fidèles veulent montrer, par de grands bâtiments, la présence de notre Eglise. Ils disent qu’ils ont construit une si grande église pour l’avenir…». Mgr Vasile Bizau se dit satisfait de la situation de son éparchie (diocèse, ndr) au point de vue des infrastructures. Cette année, il a consacré six nouvelles églises, pas toutes terminées, mais déjà utilisables.
La majeure partie des communautés gréco-catholiques dans l’éparchie dispose désormais d’une église paroissiale. Il s’agit parfois de leur ancienne église en mains orthodoxes qui a été récupérée (une vingtaine sur 300). Dans la plupart des cas, il s’agit d’édifices neufs. Beaucoup de prêtres ont mis beaucoup d’énergie – parfois trop! – à construire leur église et la cure, mais il s’agit aussi pour eux, maintenant, de se former, remarque leur évêque.
Mgr Vasile veut en priorité mettre l’accent sur la formation des prêtres et des laïcs, en particulier des jeunes. «Une petite partie de nos prêtres viennent de la clandestinité. Ce sont des personnes très engagées, mais leur formation est un peu faible. Une autre partie sont des prêtres formés dans les séminaires roumains au cours des années 1990. Au commencement, leurs professeurs étaient venus de la clandestinité. La connaissance de la théologie du Concile Vatican II était là plutôt lacunaire. Certains, enfin, ont été formés à l’étranger». Ces derniers ont moins besoin d’un «aggiornamento».
Chaque année, l’éparchie met sur pied des cours de formation continue, sur la liturgie ou le droit canonique. L’évêque cherche à développer les connaissances de ses prêtres et unifier les règles. Il y a encore dans les paroisses une trop grande diversité dans la manière de célébrer la liturgie. Les anciens célébraient dans la clandestinité, dans des maisons privées. «Mais aujourd’hui, assure-t-il, il est important qu’ils connaissent Vatican II et se réfèrent aux documents conciliaires». #Le matérialisme est devenu la nouvelle religion de la majorité
Si le diocèse gréco-catholique de Maramures compte toujours officiellement près de 150’000 fidèles, leur nombre a fortement diminué ces dernières années en raison de la forte émigration qui frappe la région. Les jeunes sont souvent absents des communautés et les jeunes familles participent moins que leurs aînés, qui se souviennent avec nostalgie de leur Eglise d’avant les années 1950. «On est passé d’une Eglise de résistance, qui vivait dans la clandestinité et célébrait secrètement la messe au domicile des fidèles, à une Eglise présente dans une société plus ou moins ouverte et démocratique… La jeune génération a oublié les persécutions du communisme. Pour eux, c’est du passé. Le matérialisme est devenu la nouvelle religion de la majorité !
Malgré tout, dans le diocèse de Mgr Vasile, qui compte dans 155 paroisses, 120 prêtres, dont l’âge moyen est de 45 ans, sont engagés dans la pastorale. La participation des fidèles à la messe dominicale atteint encore les 50%.
«Chez nombre de personnes, la participation à la messe est quotidienne, et pas seulement à la campagne». Si ces chiffres sont réjouissants, l’évêque n’en a pas moins des soucis pour l’avenir: «On commence à sentir le manque de prêtres. S’il y a eu un boom des vocations après la chute du communisme, ce flux commence à se tarir. La sécularisation et le manque de perspectives en Roumanie en dissuadent plus d’un. Etre prêtre pour une trentaine de familles n’est pas une perspective attrayante pour les jeunes. Un de nos prêtres est parti travailler à l’extérieur pendant six mois, pour soutenir sa famille».
Dans la plupart des cas, ce sont les épouses des prêtres – 90% d’entre eux sont mariés dans le diocèse, «et cela ne va pas changer», précise Mgr Vasile – qui font vivre la famille par leur travail. Le salaire moyen du prêtre, soit quelque 200 euros, ne permet pas à lui seul de faire face aux besoins, notamment quand les enfants partent aux études.
L’Eglise, dans la région de Maramures, doit faire face à d’autres grands défis: dans certaines zones, l’émigration a fait partir la moitié de la population entre 20 et 50 ans. «Ils reviennent pour les fêtes ou les vacances. Mais on perd le contact, et leur mode de pensée change. Ils oublient les habitudes et les traditions d’ici. Ils deviennent plus matérialistes, même s’ils ne nient pas leur appartenance gréco-catholique ou orthodoxe. L’esprit empreint de laïcisme est de plus en plus présent chez ces émigrés… On assiste à une désacralisation, du mariage par exemple». Les conséquences pour la vie des familles sont «désastreuses», reconnaît l’évêque. Il cite les nombreuses séparations qui en résultent.
«Beaucoup de familles sont détruites en raison de l’émigration». Des enfants restés au pays sont élevés par les grands-parents, ce qui provoque souvent de graves difficultés. Le fossé entre les générations et les mentalités se creuse dans cette société en rapide mutation. «En l’absence de leurs parents, les enfants suivent leur propre voie, ils se socialisent avec les nouveaux médias, les autres jeunes, leurs camarades d’école… " Plus de 30 prêtres venant des 5 diocèses gréco-catholiques de Roumanie ont été envoyés en Italie pour accompagner pastoralement les immigrés. D’autres ont été envoyés en Espagne également.
Un autre défi pour l’Eglise est le profond écart qui se creuse entre ceux qui s’en sortent et s’enrichissent et ceux qui s’enfoncent dans la pauvreté. «On ne peut plus vivre dans cette société avec un petit terrain et quelques vaches…»
Au plan des relations avec l’Eglise sœur orthodoxe, sur le terrain, les choses ne sont pas faciles: «Nous devons faire face à des attaques verbales! Cette hostilité crée des tensions. Les communautés gréco-catholiques ne se sentent pas totalement libres. Il y a encore des paroisses où nos fidèles ne peuvent pas entrer dans le cimetière. Dans la campagne, les cimetières appartiennent aux paroisses, et certaines ne donnent pas la permission d’y enterrer les fidèles gréco-catholiques. L’ensevelissement doit parfois se faire dans des jardins privés, là où nous n’avons pas créé nos propres cimetières». Dans la quinzaine d’endroits où orthodoxes et gréco-catholiques célèbrent en alternance dans la même église, l’évêque orthodoxe a déclaré que c’était provisoire. Il souhaite disposer de ses propres églises et va donc, dans le futur, en construire de nouvelles, relève Mgr Vasile.
L’origine des attaques venant de la hiérarchie orthodoxe, note Mgr Vasile, remonte au début des années 1990. Ces attaques se sont ensuite diffusées au niveau des paroisses. Même si la hiérarchie s’ouvre, les relations au niveau local dépendent du prêtre. «Nous dialoguons avec l’évêque orthodoxe, mais cela reste encore au niveau formel…»
L’évêque gréco-catholique de Maramures rappelle que pour construire leur cathédrale à Baia Mare, les orthodoxes ont reçu une grosse somme d’argent de l’Etat (près de 400’00’ euros), «car les politiques, chez nous, dépendent de l’appui de l’Eglise orthodoxe». Les élus de confession gréco-catholique, quelques députés et sénateurs, doivent faire profil bas sur cette question. «Ils ne peuvent pas se réclamer officiellement de leur appartenance religieuse, car l’Etat soutient l’Eglise orthodoxe, considérée comme l’Eglise de la nation roumaine», admet Mgr Vasile. «L’Eglise orthodoxe joue la carte nationaliste. En ce sens, la Roumanie n’est de loin pas sécularisée, et certains politiciens se comportent comme des hiérarques orthodoxes!»
Pour parvenir à une réconciliation avec l’Eglise orthodoxe, à davantage d’équilibre envers les minorités de la part de l’Etat, l’évêque de Maramures prône d’abord la patience et le dialogue. Il demande également une information plus objective sur le passé, notamment de la part des médias. Mgr Vasile suggère encore que l’on informe sur la manière solidaire dont l’Eglise orthodoxe est accueillie par les catholiques en Occident. «Peut-être que cela changera sa façon de voir les choses en Roumanie».
Les monastères orthodoxes, «qui voient le diable dans l’Occident et l’accusent de vouloir détruire l’Eglise orthodoxe», constituent un obstacle notoire. Cependant les choses changent petit à petit, car avec la forte émigration vers les pays d’Europe occidentale, les gens deviennent plus ouverts. La visite du pape Jean Paul II en Roumanie, en mai 1999, a marqué un tournant dans les rapports avec l’Eglise orthodoxe. «Avant, le regard sur les catholiques était terrible. La visite du pape a pacifié les relations, avec des effets positifs au niveau de la hiérarchie. Mais sur le terrain, peu de choses ont réellement changé».
Les orthodoxes roumains estiment encore qu’en signant l’acte d’union avec Rome, les catholiques de rite byzantin leur ont volé leurs églises en 1700… Mgr Vasile souligne que pour les orthodoxes, quand l’Etat communiste a pris aux gréco-catholiques leurs cathédrales, leurs églises, leurs cimetières, leurs livres liturgiques et leurs archives, pour les donner à l’Eglise orthodoxe, il n’a fait que leur «rendre justice». Le chemin de la réconciliation entre orthodoxes et gréco-catholiques en Roumanie reste par conséquent long et laborieux.
Bien qu’ils utilisent déjà leur nouvelle cathédrale, les orthodoxes ne veulent pas restituer la cathédrale gréco-catholique de Baia Mare confisquée par le régime communiste en 1948. Par la fenêtre de l’évêché, Mgr Vasile montre «sa» cathédrale, surmontée d’une croix à trois traverses: elle sert désormais d’église paroissiale à la communauté orthodoxe locale. «Nous sommes allés devant le tribunal afin que l’on nous restitue notre église… Le Tribunal de Baia Mare nous a donné raison et reconnu notre droit de propriété, mais en appel, le Tribunal de Cluj a décrété le contraire, avec l’argument que nous sommes minoritaires. Nous allons donc faire recours devant la Cour suprême au début 2013.»
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