«Eviter à tout prix le scénario de Homs»

Syrie: Appel à la négociation de Mgr Jeanbart, archevêque grec melkite catholique d’Alep

Alep/Fribourg, 31 juillet 2012 (Apic) «Nous avons été très contents d’entendre dimanche 29 juillet le pape Benoît XVI demander que cessent la violence et l’effusion de sang en Syrie et appeler à la solution politique du conflit. Il n’y a pas d’autres solutions, sinon, ce sera le chaos!». Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque grec melkite catholique d’Alep, espère que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition démarre le plus vite possible. Il s’est confié le 30 juillet à l’Apic.

«Nous sommes cependant déjà arrivés à un point avancé du conflit, et l’armée, après l’attentat du 18 juillet qui a coûté la vie à plusieurs généraux, a décidé d’agir en force…», déclare le prélat qui vit dans un des quartiers chrétiens d’Alep qui ne sont actuellement pas touchés par la violence.

De violents combats se déroulent depuis quelques jours en périphérie de la métropole du nord-ouest de la Syrie. La situation est préoccupante dans des quartiers comme Salaheddine, al-Sakhour, Bustan, Tariq al-Bab ou al-Shaar. Située à moins de 50 km de la frontière turque, Alep compte une population de près de deux millions d’habitants.

Apic: Peut-on parler de luttes sectaires opposant les communautés à Alep ?

Mgr Jeanbart: La situation à Alep est différente de celle de Homs, où on est arrivé à une forte «confessionalisation» du conflit entre alaouites et sunnites. Ici, il n’y a presque pas d’alaouites, et on ne peut parler de guerre de religion ou de guerre intercommunautaire. Si la religion est utilisée par certains pour tenter de mobiliser la population, cette guerre est davantage politique, entre ceux qui soutiennent le régime en place et l’opposition armée. Les rebelles se sont infiltrés dans les quartiers populaires et la population civile leur sert de «bouclier humain».

Nous devons dire que les contacts sont encore bons avec les musulmans locaux… Nous vivons avec eux en bonne entente depuis des générations. Certes, depuis quelque temps, nous avons moins de contacts avec les chefs musulmans, car les sunnites sont divisés, et cela se reflète au quotidien.

Apic: Les chrétiens d’Alep se sentent-ils particulièrement menacés ?

Mgr Jeanbart: Même si les combats n’ont pas lieu dans les quartiers résidentiels où vivent les chrétiens, ces derniers se sentent menacés comme tout le monde: il y a eu des attentats à la bombe et quelques enlèvements. Jusqu’il y a deux semaines, Alep était calme et il y a pour le moment très peu de victimes chez les chrétiens. Bien que nous ne disposions pas de statistiques récentes, ils seraient à Alep entre 160’000 et 165’000. A l’inverse de ce qui s’est passé à Homs, très peu ont quitté la ville, qui est entourée de villages sunnites. Certains ont pu rejoindre des membres de leur famille installés au Liban ou en Jordanie, mais il n’y a pas eu de vague d’émigration.

En raison de la présence armée, les gens ont peur de sortir de chez eux, les magasins sont fermés, les usines ont arrêté leur production. Cela pourrait devenir catastrophique si le calme ne revient pas dans les jours qui viennent. Les musulmans souffrent aussi beaucoup. Nous n’avons pas peur des musulmans qui nous connaissent, et, à ce que je sache, il se trouve peu d’Alépins de souche parmi les insurgés. Mais dans ces circonstances de violence, le fanatisme peut rendre aveugle.

Apic: Craignez-vous l’arrivée dans la ville de combattants fondamentalistes ?

Mgr Jeanbart: L’infiltration de mercenaires étrangers à travers les frontières turques, jordaniennes, irakiennes et libanaises nous préoccupe vivement. Ce sont des fondamentalistes qui veulent mener la guerre sainte contre les alaouites, considérés par les sunnites comme des hérétiques. On parle de combattants étrangers venus faire le djihad, de salafistes venus de Libye, d’autres pays d’Afrique du Nord, d’Afghanistan, de Tchétchénie. Certains d’entre eux ne parlent pas l’arabe.

Apic: Y a-t-il encore une possibilité de trouver une sortie de crise par la négociation ?

Mgr Jeanbart: Il y a des signes qu’un dialogue est encore possible. Nous avons ce qu’il faut pour changer, car nous sommes convaincus qu’il faut des changements dans notre pays. Il y a certes des personnes au sein du régime qui veulent faire traîner les choses, et de l’autre côté des gens qui veulent le renverser par la force. Mais la violence ne va pas amener la démocratie dans le pays, alors que les changements en cours nous conduisent sur la voie de la démocratie, mais ce sera de toute façon un long chemin.

Apic: Que font les Eglises chrétiennes face à cette crise ?

Mgr Jeanbart: Du côté des Eglises chrétiennes, nous avons mis sur pied un comité provisoire d’urgence pour faire face à la crise, avec des délégués des onze communautés chrétiennes présentes à Alep, à savoir les six Eglises catholiques, les trois orthodoxes et les deux protestantes. Nous nous sommes réunis ce lundi 30 juillet avec des laïcs engagés de ces diverses communautés pour voir ce que l’on peut faire afin d’offrir le strict minimum à nos fidèles.

L’Occident, s’il veut le bien de la population syrienne, doit soutenir le dialogue entre les parties, et surtout ne pas soutenir les groupes armés, parmi lesquels se trouvent des fondamentalistes. Ce n’est pas en fournissant des armes que la démocratie arrivera en Syrie. Il faut soutenir le plan de Kofi Annan et faire tout ce qui est possible pour qu’une solution pacifique soit trouvée. Il faut à tout prix éviter le scénario de Homs (*)! JB

(*) Selon le Père jésuite Ziad Hilal, qui vit dans la ville de Homs, il y avait avant la guerre qui a ravagé la ville peut-être 150’000 chrétiens. Il a déclaré à l’Apic que plus de 80% des chrétiens sont partis à cause des combats, vers les montagnes, dans la «Vallée des chrétiens», à Damas ou à Alep.

Encadré

Arrivée massive de militants islamistes étrangers

La nébuleuse de l’Armée syrienne libre (ASL), qui combat le régime de Bachar al-Assad, est composée de déserteurs de l’armée syrienne, de civils ainsi que de groupes islamistes inconnus jusque-là, comme «Liwa al Islam» (l’Etendard de l’islam), des militants d’al-Qaïda et d’autres groupes islamistes, rapporte l’agence de presse catholique AsiaNews à Rome.

Des photos, des vidéos et des revendications d’attentats suicides et d’attentats à la voiture piégée sur les sites internet djihadistes confirment la présence sur sol syrien de centaines de combattants étrangers. La majeure partie d’entre eux viendrait de pays comme l’Irak, la Libye, l’Egypte, l’Afghanistan, mais aussi de la Russie (Tchétchénie), de Somalie et du Mali.

Si l’opposition syrienne continue de nier la présence de groupes extrémistes dans ses rangs, selon les experts de la région, on rencontre sur les frontières avec la Turquie et l’Irak de véritables centres de recrutement de ces militants venant de tout le monde musulman sunnite. Selon AsiaNews, certains experts ont défini la Syrie comme un «aimant» pour les combattants d’al-Qaïda et ses affidés.

Selon des témoins, au poste de Bab al-Hawa, à la frontière avec la Turquie, des centaines d’étrangers sont entrés ces derniers jours pour soutenir l’ASL engagée dans la bataille d’Alep. Ils ne viennent pas, affirme AsiaNews, avec le désir d’instaurer la démocratie en Syrie, mais pour infliger une punition exemplaire aux «nusayris», les alaouites, considérés comme des hérétiques par les musulmans sunnites. De son côté, l’agence d’information vaticane «Fides» relève aussi que des groupes islamistes radicaux se trouvant dans les rangs des insurgés sèment la terreur parmi les civils à Damas. «A en faire les frais, ce sont l’ensemble de ceux qui sont considérés comme des ’loyalistes’, fidèles au régime de Bachar al-Assad». Parmi les victimes, indiquent des sources de Fides à Damas, se trouvent également des chrétiens du faubourg de Bab Touma et des réfugiés irakiens qui occupaient les faubourgs d’Oujaira et de Sada Zanaim. (apic/be)

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