Un véritable tour du monde en une soirée

Jura: «Fraternité Jura Monde» rencontre les missionnaires en congé

Alle, 12 juillet 2012 (Apic) Comme chaque année au début de l’été, les missionnaires en congé ou de retour racontent un véritable tour du monde. Trois religieuses invitées de «Fraternité Jura Monde» ont livré des témoignages, parfois bouleversants, sur leurs années de mission à travers le continent africain, le samedi 23 juin 2012 à la salle paroissiale de Alle.

«La mission se fait en d’autres terres, mais il faut bien l’admettre, chez nous aussi nous sommes une terre de mission.» Par cette phrase, l’abbé Jacques Horisberger, curé-modérateur pour l’Unité pastorale de la VAB (Vendline, Alle, Baroche), a ouvert la rencontre annuelle avec les missionnaires du Jura. Organisée par le mouvement «Fraternité Jura Monde», cette journée a été l’occasion d’entendre les témoignages de plusieurs missionnaires, aujourd’hui en congé.

«C’est normal que l’appellation ait changé, puisque maintenant il y a des Pères Blancs noirs, a indiqué le Père René Brossard, 79 ans, depuis bientôt quatre ans responsable des Missionnaires d’Afrique à Fribourg, anciennement appelés les Pères Blancs. Ordonné en 1958, je suis parti en Ouganda en 1966 et j’y suis resté jusqu’en 2009. J’ai eu notamment l’occasion de séjourner plus de vingt ans dans le nord-est du pays, près de la frontière avec le Kenya et le Soudan, dans une insécurité totale. Toutes les tribus étaient armées de kalachnikov. Nous avons été pillés plusieurs fois, mais nous avons survécu et la mission continue aujourd’hui. Il y a même des séminaristes.»

Durant son exposé, le Père Brossard a répété que «les Pères Blancs se noircissent… En Europe, il n’y a plus de vocation. Heureusement, en Afrique, nous avons en ce moment plus de 450 jeunes en formation. Il y a même un noviciat qui va ouvrir à Arocha, en Ouganda. Deux autres existent déjà en Afrique, l’un en Zambie et l’autre au Burkina Faso. La relève se fait donc là-bas, comme aux Philippines ou au Mexique. Dans notre province d’Europe, seule la Pologne donne encore quelques signes de vocation, mais c’est tout.»

Moment d’émotion

«Je suis entrée dans la communauté des Soeurs de la Charité de Sainte-Jeanne Antide au début de l’année 1957. Je viens de rentrer en Suisse après 48 ans de mission», a rapporté Sœur Anne-Marie Humair, 85 ans, des Genevez.

De son séjour en Egypte de 1964 à 1987, Sœur Anne-Marie relate un meurtre commis devant l’hôpital dans lequel elle travaillait comme infirmière: «Le pire, c’est que le meurtrier a bu le sang de sa victime. Ça m’a vraiment ’bousculée’ de voir ça.»

De 1987 à cette année, Sœur Anne-Marie était au Soudan. Dès son arrivée, elle est confrontée à la violence qui règne dans le Darfour: «5’000 chrétiens venaient d’être massacrés dans des wagons à la gare d’el Daein et ceux qui avaient survécu à cette attaque venaient se faire soigner à Nyala où j’étais installée. Après ce terrible massacre, je suis allée avec un des Pères de Nyala dans un camp où 40’000 personnes du sud s’étaient réfugiées, pour consoler un petit peu cette communauté chrétienne. Dans une petite église en paille, le Père me dit: ’c’est ici qu’une catéchiste et dix chrétiens ont été égorgés, agenouillons-nous sur cette terre qui a bu le sang de nos martyrs. C’était vraiment très dur’.» Après ce moment d’émotion, la religieuse des Genevez évoque un souvenir plus souriant: «A el Daien, quelques années après ce fameux massacre, j’ai aussi vécu une des choses les plus belles de ma vie avec la célébration de 1026 baptêmes en une fois. Le Seigneur avait pris sa revanche de ses martyrs.»

Quatre coups d’Etat

Sœur Marie-Noëlle Berthold (Ursuline), 73 ans, est rentrée en Suisse il y a huit ans, après avoir été en mission au Tchad durant 35 ans. Elle a témoigné: «Actuellement, je suis à Fribourg et je travaille pour l’association ’Point d’Ancrage’ pour aider les sans papiers.» En 1969, Sœur Marie-Noëlle est partie au Tchad, pour rejoindre le diocèse de Pala avec cinq autres Ursulines. «J’occupais une place dans le projet éducation du diocèse, notamment pour former des catéchistes et des alphabétiseurs. Il faut savoir qu’il y a énormément d’ethnies au Tchad où plus de cent langues différentes sont répertoriées. J’ai vécu quatre coups d’Etat. Ce sont des problèmes de santé qui m’ont contrainte à quitter l’Afrique où la mission continue, heureusement. Aujourd’hui, je donne des cours de français à des requérants d’asile à Fribourg, aussi bien à des enfants qu’à des adultes.»

Pas de relève en Europe

Originaire de la République démocratique du Congo (RDC), l’abbé Hyacinthe Ya Kuiza n’Guezi, délégué à la Mission du diocèse de Bâle, prêtre dans l’Unité pastorale de Haute-Ajoie, s’inquiète de voir les communautés missionnaires suisses se réduire inexorablement. «J’ai discuté avec une Mère supérieure et je lui ai demandé si la congrégation recrutait encore. Elle m’a dit: ’Non, on se laisse mourir’. Alors en voyant le vieillissement et le nombre de plus en plus restreint des missionnaires suisses ou jurassiens, est-ce qu’il y a encore un avenir pour les congrégations missionnaires?»

Sœur Marie-Thérèse Froidevaux, 79 ans, de la congrégation des Sœurs missionnaires Notre Dame des Apôtres, a apporté des éléments de réponse à l’abbé Hyacinthe: «J’ai passé toute ma jeunesse au Noirmont. En 1961, je suis partie au Togo. De là, je suis allée en Côte d’Ivoire, puis au Tchad. Je suis rentée définitivement en 1995. Depuis, je m’occupe de l’alphabétisation des étrangers à Lyon, notamment de femmes musulmanes. Ce qu’il faut savoir, c’est que les missions ne disparaissent pas en Afrique. On ne ferme pas les maisons. Il y a des religieuses africaines qui poursuivent ces missions. Durant tout notre séjour là-bas, on s’est attaché à former des jeunes. Celles-ci savent qu’elles ne travailleront pas dans leur région. Elles font leur noviciat dans un pays et leur postulat dans un autre. C’est vrai, en ce qui concerne la Suisse, la France, l’Italie ou l’Irlande, c’est fini. Il n’y a plus de relève en Europe. Mais en Afrique, il y a toujours des jeunes africaines qui intègrent les congrégations missionnaires.»

Le Père René Brossard a prolongé les propos de Sœur Marie-Thérèse Froidevaux: «C’est vrai, nous n’avons pas de problèmes concernant nos missions en Afrique. Mais en Europe, par manque de vocation, les congrégations missionnaires disparaissent et l’on ne peut pas demander à des jeunes Africains de venir les soutenir. En Afrique, il existe plus de vingt congrégations religieuses – fondées par des Sœurs blanches – qui fonctionnent parfaitement aujourd’hui grâce à des Sœurs noires.» (apic/sic/pt/ggc)

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