Sénégal: L’abbaye de Keur Moussa fête les 50 ans de sa fondation

Frère Dominique Catta a découvert la richesse de la musique africaine

Dakar, 17 juin 2012 (Apic) Le frère Dominique Catta, 86 ans, est l’un des fondateurs de l’abbaye du Cœur immaculé de Marie de Keur Moussa, au Sénégal. Il est le ’dernier des mohicans’ de ce monastère, qui a lancé samedi 16 juin 2012, son année jubilaire. C’est grâce à lui que Keur Moussa est devenu un centre de la musique liturgique africaine, connu pour son atelier de fabrication de koras. «La harpe africaine» qui a désormais conquis 52 pays du monde, allant de la France aux Etats-Unis, en passant la Belgique, l’Allemagne ou le Canada.

Né en 1926, Dominique Catta est arrivé à Keur Moussa le 23juillet 1963. Il faisait partie du premier groupe de moines français envoyés de l’abbaye de Solesmes pour implanter la vie monastique au Sénégal. Il n’a plus jamais quitté les lieux depuis. Lors d’une rencontre avec des journalistes sénégalais dont le correspondant de l’APIC, il a raconté sa vocation, son arrivée au Sénégal et sa découverte de la musique africaine.

Comment est né votre vocation ?

Dominique Catta : J’avais 13 ans au moment où éclatait la seconde guerre mondiale qui a marqué beaucoup de personnes. J’étais le 14e enfant de la famille. L’origine de ma vocation vient de ce temps de détresse. On avait peur. Des bombes, des avions, des combats aériens que je voyais au-dessus de ma tête, bien que j’étais à 1’000 km des frontières. Et puis, il y a eu la faim. On avait des cartes pour acheter du pain. Ce n’était d’ailleurs pas du vrai pain. J’ai vécu une éducation un peu dure, mais avec des côtés très beaux. A ce moment-là, beaucoup de gens sont revenus à Dieu.

Dans ma classe du collège il y a eu quatre missionnaires pour l’Afrique, quatre bénédictins et des prêtres diocésains. Je n’étais pas un cas isolé, il y avait certainement une résurrection spirituelle à ce moment, mais qui n’a pas duré très longtemps.

Pourquoi avoir choisi l’ordre des bénédictins ?

D.C. : Je suis rentré l’abbaye de Solesmes à 20 ans pour me faire moine, pour chercher Dieu, vivre avec Dieu. J’ai fait une expérience spirituelle très forte. La présence de Dieu dans ma vie personnelle. Jusque là Dieu était un peu le Dieu qui surveille, le Dieu gendarme qu’il fallait craindre. Mais il y a la crainte amoureuse, celle du bonheur de découvrir Dieu. C’est pour ça que je suis entré au monastère. C’est là que j’ai découvert le chant grégorien dans ce grand couvent de 120 moines à l’époque. J’y ai reçu ma formation musicale. J’ai vécu profondément le chant grégorien pendant 17 ans. Je pense que c’est providentiel.

Puis est venu le départ pour le Sénégal.

D.C. : En 1963, j’étais envoyé avec 8 compagnons, ici à Keur Moussa, sur une terre dénudée, presque sans arbres. Il y avait à un bout, des manguiers et quelques très beaux arbres, tels que des caïlcedrats, mais beaucoup de désert. Cette période de 1963, était celle de grandes mutations pour le Sénégal, car le pays venait d’accéder à l’indépendance. J’ai été frappé par l’accueil des populations, qui étaient très ouvertes: des musulmans wolofs, peuhls, sérères, etc. Je chantais en latin. Tous nos offices étaient en latin et en outre très longs. Par exemple l’office de la nuit qui durait jusqu’à 2h du matin.

C’est aussi la période du concile Vatican II et de la réforme de la liturgie

D.C.: Un des premiers documents sorti du Concile est la constitution sur la liturgie. C’est l’encouragement donné aux missionnaires de s’ouvrir aux richesses culturelles des peuples parmi lesquels nous nous trouvions. Nous n’avions pas à imposer notre culture comme si c’était l’unique richesse. Il fallait voir la culture des autres, s’ouvrir, et essayer de comprendre, non seulement leurs langues, mais aussi leurs mœurs, leur vie, leurs habitudes, leurs modes d’habillement, leurs couleurs, leur musique… Ainsi, mon supérieur m’a fait une obligation de m’ouvrir, notamment par l’écoute de la radio, et d’aller voir, dans les petits villages, lorsqu’il y avait des fêtes, pour savoir ce qu’on entendait.

Qu’avez-vous découvert ?

D.C. : J’ai fait une expérience assez bouleversante. C’était en 1963 ou 1964. Il y avait une fête dans le village de Keur Moussa, à côté. Je suis venu écouter, caché derrière les gens, avec un magnétophone, pour enregistrer un chant en sérère, une langue du terroir. De retour au monastère je participe à l’office, toujours en latin. C’était un 25 mars, fête de l’annonciation à Marie. L’air de cette chanson sérère que je venais d’entendre m’est revenu en même temps que je chantais en latin. C’était bizarre, car il n’y avait rien de commun du coté du rythme. Mais je retrouvais les harmonies du grégorien dans les chants du jeune sérère qui chantait, en criant de toutes ses forces. L’harmonie était en marche, alors qu’au début, je ne trouvais pas ces chants harmonieux.

Je me suis dit: ’Tout ça c’est très beau. Il y a là une richesse’. J’ai pensé alors : ’Pourquoi ne pas mettre les paroles chrétiennes sur cette chanson, de sorte que la parole de Dieu enrichisse cette musique ?’. D’autant plus qu’au Sénégal, on chante des choses très humaines, tel que le bonheur d’être ensemble.

Quelle fut la suite de cette découverte ?

D.C. : Cette première expérience m’a tout de suite lancé dans la composition de chants pour les ouvriers chrétiens qui travaillaient avec nous. D’autres ont demandé que j’en fasse une prière. J’ai aussi écouté les émissions de radio Sénégal en sérère, diola, wolof. C’était très enrichissant. J’ai travaillé ensuite à l’université de Dakar, sur des bandes magnétiques comprenant des enregistrements de variétés de chants de l’ancien empire français en Afrique aussi bien de l’Afrique au sud du Sahara, que de l’Afrique du Nord. C’était une richesse incomparable. J’ai eu la joie d’avoir tout cela sur bande magnétique et pouvoir travailler là-dessus.

Bref, c’est la musique de ma vie que j’ai découverte ici. J’en suis infiniment reconnaissant à mes frères sénégalais. C’est vrai que je chantais en grégorien, mais la vue et l’écoute des tam-tams et des koras, c’est prodigieux. J’ai beaucoup de respect pour cette musique africaine ancienne. C’est différent de la musique moderne, celle des villes qui distrait l’homme et le détourne de sa vraie fin.

Un demi-siècle de présence monastique au Sénégal

La présence des bénédictins au Sénégal est due à Mgr Marcel Lefebvre, alors archevêque de Dakar. C’est lui qui a frappé à la porte de l’abbaye de Solesmes en France, en 1959, et a obtenu l’envoi de neuf moines pour une fondation monastique en Afrique. Les bâtiments ont été inaugurés en 1963.

Situé dans un environnement aride, le monastère Keur Moussa, dans la région de Thiès, compte aujourd’hui 44 moines, sénégalais, français, gabonais, guinéens, camerounais et congolais. Les responsables reçoivent un nombre important de demandes d’entrée.

L’abbaye accueille de nombreuses personnes, dont des musulmans, des groupes de femmes, ainsi que des pasteurs évangéliques. Elle dispose d’un réseau de partenaires et d’amis et travaille en étroite collaboration avec les populations des villages environnants, sans distinction de religion, en leur apportant une assistance spirituelle, matérielle, technique, et sanitaire.

Dès sa fondation, l’abbaye a développé une importante recherche dans le domaine de la musique liturgique. Tout en respectant la tradition solesmienne d’un goût très vif pour une liturgie soignée et fervente, le frère Dominique a apprivoisé la kora traditionnelle et élaboré une psalmodie en français. Cet effort d’inculturation a rayonné bien au-delà de Keur Moussa.

(apic/ibc/mp)

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