Hausse des conflits liés à la terre et des menaces de morts
Brasilia, 9 mai 2012 (Apic) Le 7 mai, la commission Pastorale de la Terre (CPT) a présenté à Brasilia la 27ème édition du rapport «Conflits en milieu rural.» Publié chaque année, cette somme d’informations a pour objectif de donner une visibilité au contexte de violences et de conflits auxquels sont confrontés les travailleurs et travailleuses ruraux brésiliens.
Ce rapport a été remis à différents ministères et Secrétariat d’Etat, comme celui des Droits de l’Homme, de la Justice, du développement Agraire, de l’Environnement et au Secrétariat Général de la Présidence. Objectif? «Attirer l’attention sur la violence qui se répand en milieu rural et sur la nécessité de résoudre ce problème à travers des actions réclamées depuis des années comme la réforme agraire, absente des priorités de la présidente Dilma Roussef.» Le rapport signale d’ailleurs que, lors la première année de mandat de celle qui a succédé au président Lula, le nombre de familles qui ont obtenu une terre a été le plus bas depuis 1995.
Dès la couverture, le ton est donné. En rappelant l’assassinat des deux militants de la CPT, José Claudio Ribeiro da Silva et son épouse Maria do Espirito Santo da Silva, le 24 mai 2011 à Nova Ipixuna, dans l’état du Para au cœur de l’Amazonie, le rapport souligne à quel point le climat de violence en milieu rural se radicalise chaque année davantage. Abattu par deux pistoleiros le jour même de l’adoption par le Sénat du nouveau code forestier, largement favorable à l’agrobusiness et aux exploitants forestiers, le couple est en effet devenu au Brésil un symbole des violences qui menacent les militants pour la défense de l’environnement. Tout comme l’avait été Sœur Dorothy Stang, la religieuse américaine assassinée sept ans plus tôt dans la même région. Voilà pour le contexte.
En ce qui concerne, les chiffres, ils sont particulièrement inquiétants. En 2011, la CPT a ainsi recensé 1363 cas de conflits liés à la terre, soit une augmentation de 21,32% par rapport à 2010. Carlos Walter Porto Gonçalves, l’un des auteurs du rapport, indique d’ailleurs que «les conflits qui ont le plus augmenté sont ceux à l’origine desquels on retrouve des intérêts économiques privés comme les grands propriétaires terriens, les exploitants forestiers et les compagnies minières. Ils représentent aujourd’hui près de 70% des occurrences.»
Le rapport rappelle aussi que 100 conflits ont impliqué les pouvoirs publics et que 230 sont le fait de mouvements sociaux, l’essentiel à travers des occupations de terres. Cette hausse a évidemment pour conséquence l’augmentation du nombre de personnes victimes de conflits, passant de 560’000 en 2010 à 600’000 en 2011. Enfin, la CPT révèle une augmentation de 75,7% du nombre de familles expulsées de terres occupées. Et en 2011, ce sont plus de 15’000 familles, soit plus de 50% par rapport à l’année précédente, qui ont été menacées par des pistoleiros.
La violence a également été très présente en milieu rural en 2011. Ainsi, la CPT a enregistré 29 assassinats, soit cinq de moins seulement que l’an passé. «Cette diminution s’explique surtout par la médiatisation aux niveaux national et international de certains cas. Cela a sans aucun doute freiné d’autres projets de meurtres», estime José Batista Gonçalves Afonso, avocat de la Commission pastorale de la terre (CPT) et membre de la Commission des Droits de l’Homme au sein de l’Ordre des avocats du Brésil. Le rapport rappelle néanmoins que sur les 29 assassinats, sept victimes avaient déjà reçu des menaces de morts. Des menaces d’ailleurs en hausse vertigineuse, puisqu’elles sont passées de 125 en 2010 à… 347 en 2011. Principales cibles? Les indigènes, les leaders de Quilombos (territoires attribués à des communautés descendantes des esclaves), les militants pour la défense de l’environnement, les représentants de l’Etat et les leaders de syndicats représentants l’agriculture familiale.
Maria Joel Dias da Costa, fait partie de ceux-là. Veuve de Ribama Francisco dos Santos, militant de la CPT abattu devant la porte de sa maison en novembre 2000 pour avoir dénoncé à plusieurs reprises la déforestation illégale et l’occupation illégale de terres de la part des grands propriétaires et forestiers, Maria Joel poursuit depuis la lutte de son époux, à la tête de la Fédération des Travailleurs Ruraux de Rondon, près de Maraba, dans l’état du Para. Au péril de sa vie. «Depuis 2008, je vis sous protection policière 24h sur 24», indique t-elle en montrant les deux policiers qui l’accompagne. Une garde rapprochée certes pesante, «mais qui constitue pourtant un privilège au regard des dizaines de militants et leaders syndicaux qui vivent chaque jour comme moi avec une épée de Damoclès sur la tête. Simplement parce qu’ils défendent la terre», soupire t-elle.
Au-delà des chiffres, le rapport 2011 démontre que ce climat de violence préoccupe la population rurale dans son ensemble. D’autant que, de janvier à avril 2012, 12 personnes, pour l’essentiel des militants de l’environnement, ont déjà été assassinées et que des dizaines d’autres ont été menacées. Le sentiment d’impunité est sans doute plus important que jamais, notamment dans la région Amazonie, au centre de toutes les convoitises (grands travaux, agrobusiness, exploitation inières).
«Il est clair que les lois de l’Etat brésilien ne sont pas respectées dans le monde rural, assure José Batista Gonçalves Afonso. Ce qui domine encore aujourd’hui est la loi imposée par les grilheros (grands propriétaires occupant les terres illégalement, ndlr), les exploitants forestiers et les grands fermiers.» Des grands propriétaires également montrés du doigt dans le rapport, au moment d’évoquer le thème du travail esclave. «C’est une une plaie qui ne cicatrise pas, assure Carlos Walter Porto Gonçalves. Le nombre de cas est en effet passé de 204 à 230 d’une année à l’autre (+12,7%) et concerne 19 des 27 états de l’Union.»
«Malgré cela, conclue le rapport, même au milieu de tant de conflits, de violences et d’agressions constantes, et face à des intérêts économiques toujours plus puissants, la capacité de résistance et de lutte des peuples indigènes, des communautés quilombolas, et des autres communautés paysannes de faiblit pas.» Une détermination à laquelle Mgr Leonardo Steiner, Secrétaire générale de la Conférence des Evêques du Brésil (CNBB), a tenu à rendre hommage. «Ce document, a déclaré le prélat, rappelle que des enfants de Dieu, à la recherche d’une vie digne, sont morts à cause de l’appât du gain et de l’injustice du modèle agricole brésilien. La rapport de la CPT conserve pour le futur la mémoire des ces vies.»
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(apic/jcg/bb)
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