Nigeria: Pas question de diviser le pays sur des bases religieuses, affirme Roberto Simona

Rencontre avec le responsable d’AED de retour du Nigeria

Fribourg, 30 avril 2012 (Apic) Avant l’arrivé d’un islam militant formaté dans les madrasas (écoles coraniques) du Pakistan, de Somalie et d’Egypte, le Nigeria était un kaléidoscope de différentes ethnies et traditions religieuses cohabitant en paix. Si les messes et cultes du dimanche devaient être suspendus suite aux attaques kamikazes des membres de la secte islamiste «Boko Haram», le nord et le centre du pays risqueraient d’être vidés de leur population chrétienne, confie à l’Apic Roberto Simona.

Responsable pour la Suisse romande et la Suisse italienne de l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), Roberto Simona s’est rendu en mars dernier durant deux semaines dans ce pays d’Afrique de l’Ouest en proie à la violence. Il relève que l’islamisation du pays, soutenue par les pétrodollars de l’Arabie Saoudite, est toujours plus perceptible.

Les pétrodollars de l’Arabie Saoudite

Fortes de cet appui financier, les institutions musulmanes se développent toujours davantage. L’adhésion du pays à l’Organisation de la Coopération Islamique OCI (anciennement l’Organisation de la Conférence Islamique), l’instauration de la charia (le droit islamique) dans certains Etats de la Fédération nigériane, l’ouverture de nouvelles banques islamiques, les textes en caractères arabes sur les billets de la monnaie locale, en sont des signes tangibles.

Comptant plus de 162 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent noir. «Les prêtres et les pasteurs dans le pays sont très conscients de l’importance de leur mission et des enjeux politiques que les célébrations des jours de fêtes ont pour la permanence du christianisme là où on cherche à l’éradiquer», lâche Roberto Simona.

Chrétiens et musulmans se rendent ensemble à l’école, au marché et au travail

Il serait tout à fait faux de diviser le pays en zones géographiques, en fonction des religions. Les chrétiens et les musulmans, qui sont dans le pays en proportion égale aux côtés de 10% d’animistes, se rendent ensemble à l’école, au marché, au travail en plus de servir ensemble dans l’armée nationale. «Chrétiens et musulmans ont grandi là où ils vivent. On ne peut pas soudainement déplacer tous les musulmans au nord et tous les chrétiens au sud pour ensuite effectuer une partition du pays», tel est également l’avis de Mgr John Olurunfemi Onaiyekan, archevêque d›Abuja.

Le concept d’un centre du pays rattaché au nord musulman a été propagé avec détermination par les forces politiques musulmanes. «Depuis l’indépendance, les politiciens musulmans ont défendu leur vision du pays qui a pu, en partie, se réaliser grâce au désintérêt des chrétiens à se profiler sur la scène politique nationale», relève Roberto Simona. Mais cela n’a pourtant pas trop influencé la composition confessionnelle de la population qui reste encore bien mélangée en raison des nombreuses conversions au christianisme et de la migration de chrétiens vers les Etats du nord, poursuit ce spécialiste de l’islam et des minorités chrétiennes dans les pays musulmans.

«Ce pays est l’otage des aspirations et des discours construits et véhiculés par les politiciens qui revendiquent un nord musulman nettement majoritaire. Mais la réalité du terrain révèle une présence chrétienne et animiste importante aussi au nord et dévoile finalement une volonté d’islamisation des Etats du centre. La ville de Zaria à majorité chrétienne dans l’Etat de Kaduna est un des exemples de cette présence chrétienne au nord du pays.

Il en est de même de l’Etat du Plateau, situé au centre du pays. Ce qui s’y passe a tous les traits d’une guerre religieuse, illustrant la volonté de conquête d’un Etat «chrétien» par les musulmans. «Cet Etat symbolise pourtant l’espérance pour les chrétiens vivant au nord», insiste Roberto Simona.

La listes des victimes de la secte «Boko Haram» s’allonge

Sur le terrain, le pays est nettement divisé. Dans les Etats du sud, composés des territoires situés au-dessous de la capitale Abuja, «on respire une relative tranquillité, mais une grave crise économique fait des ravages. Les habitants sont cependant peu solidaires du drame qui frappe les autres Etats. Au nord et au centre du pays, les gens vivent quotidiennement dans la peur de possibles attaques de leurs villages et des quartiers de leurs villes», constate R. Simona.

Dans cette partie du pays, chaque semaine la liste des victimes des attentats de la secte «Boko Haram» s’allonge. Depuis quelques mois, les militants frappent durant les messes dominicales ou lors de la prière musulmane du vendredi. «Le sud réalisera peut-être le drame de la persécution religieuse quand il verra arriver le flux des millions de déplacés venant du nord», confie un prêtre anglican rencontré à Enugu. Il a dû fuir Funtua, dans l’Etat de Kaduna. Il a révélé à Roberto Simona que la mobilisation contre sa communauté de 500 fidèles s’est effectuée grâce à de l’argent: 20’000 nairas pour tuer le pasteur, 5’000 pour la vie d’un chrétien, et 1’000 nairas (environ 5 euros), pour participer à l’attaque contre la communauté anglicane, «ce qui correspond à un jour de salaire d’un fonctionnaire de l’Etat».

Transformer le nord du Nigeria en «terre d’islam»

Aujourd’hui, le commerce et les échanges avec le sud ne sont plus aussi prospères comme par le passé. Le Nigérian, habitué à se déplacer dans l’ensemble de son pays, part, s’il en a les moyens, vers le sud pour fuir les violences qui font rage au nord, témoigne le responsable de l’AED. «Les contrôles imposés par l’armée dans les nombreux check points sont très éprouvants. Plusieurs villes ont dû imposer le couvre-feu: Madalla, dans l’Etat du Niger, Jos, dans l’Etat du Plateau, Kano. Ces localités sont devenues depuis peu les lieux de persécution des chrétiens».

Le nord et le centre du Nigeria comptent, dans leur ensemble, autant de chrétiens et d’animistes que de musulmans, affirme Roberto Simona, «mais certains leaders musulmans font tout pour que le nord soit uniquement une ’dar al islam’ (une terre d’islam). Ils aspirent à islamiser totalement des Etats, comme celui de Plateau, qui est encore à majorité chrétienne et dont la capitale Jos est depuis toujours gouvernée par un chrétien».

«Si les chrétiens quittaient l’Etat de Plateau, et si Jos devenait musulmane, les autres villes et villages de cet Etat, comme ceux des Etats de Niger, de Kaduan et de Bauchi seraient déchristianisés. C’est la perspective que les leaders chrétiens et musulmans nous ont décrite. Ce serait peut-être la fin du Nigeria tel que nous le connaissons, avec ses différentes ethnies et traditions religieuses», insiste le chercheur suisse.

Le rejet de l’héritage et de l’influence de tout ce qui est étiqueté comme occidental, qui concernait, surtout au départ, l’éducation, est visible depuis les premières années de l’indépendance, quand les écoles et les hôpitaux fondés et gérés par des chrétiens ont été nationalisés.

L’éducation occidentale est un péché»

La secte «Boko Haram», dont la signification est «l’éducation occidentale est un péché», ne fait que reprendre cet anti-occidentalisme à son compte. Dans les Etats du nord, il devient alors difficile à un chrétien d’accéder à l’instruction, contrôlée par les dirigeants musulmans. Souvent il faut islamiser son nom pour s’inscrire aux universités, poursuit Roberto Simona.

«L’islamisation de la société est souvent une opportunité d’enrichissement personnel pour certains politiciens musulmans qui, en instaurant la charia (le droit islamique) dans leurs Etats, peuvent s’approprier les fonds généreusement mis à disposition par l’Arabie Saoudite. Pour d’autres musulmans, l’islamisation de la société est la seule voie pour combattre la corruption.

L’application de la charia devrait promouvoir la justice sociale et le partage des richesses entre tous les citoyens. «Cela doit permettre, selon eux, d’établir un code de conduite morale et de discipline pour lutter contre la corruption, la criminalité et la prostitution. Mais l’agenda de l’islamisation du pays a pris des proportions inadmissibles pour nombre de leaders chrétiens, à tel point que, pour eux aussi, la religion est devenue un instrument de mobilisation politique pour affirmer le principe d’un Etat laïc».

«Boko Haram» est le bouc émissaire rêvé

Les dernières élections présidentielles se sont transformées en plébiscite pour le candidat de la «bonne confession», compromettant ainsi le débat sur le contenu du programme politique des candidats. Du côté musulman, on évite de reconnaître l’existence d’un plan d’islamisation du pays.

«Tous les maux et les milliers de blessés et de morts causés par les attentats sont attribués à ’Boko Haram’. Mais les chrétiens protestants du nord semblent partager de moins de moins cette interprétation des événements. Pour leurs leaders, ’Boko Haram’ fait partie d’un agenda de conquête orchestré par certains chefs et politiciens musulmans. Une stratégie qui veut diminuer fortement le nombre des chrétiens au nord et vise à accélérer le processus de division entre communautés chrétiennes et musulmanes», soutient le chercheur suisse. Il est de notoriété publique que d’autres groupes armés agissent sous couvert de ce mouvement islamiste, lui-même composée de nombreuses factions, certaines plus religieuses, d’autres plus politiques.

La haine constamment présente risque à tout moment de dégénérer en affrontements

«La position des évêques catholiques est plus nuancée. Ils refusent la logique de la lutte militante et religieuse. Il ne s’agit plus, selon eux, de revendiquer la suprématie d’une religion sur l’autre, mais tout simplement d’assurer l’état de droit et la légalité constitutionnelle dans le pays. Il s’agit de renforcer l’unité nationale à partir des souffrances qui touchent toute la population terrorisée par la violence qui est en train de s’emparer du pays».

Et de déplorer que si la haine des chrétiens est souvent alimentée dans les mosquées, «certains sermons du dimanche n’échappent pas à la même logique. Par exemple, lorsque l’on explique dans les paroisses du sud la situation des chrétiens du nord en termes de nettoyage ethnique, faisant référence, par exemple, au problème de l’appropriation des terres des Igbos, en majorité chrétiens, par les Haoussas-Foulanis, groupe ethnique à majorité musulmane».

Dans les villes, les attaques contre les chrétiens et les représailles exercées à l’égard des musulmans ont fragmenté la cité en quartiers abandonnés avec des habitations détruites. Le retour des chrétiens et des musulmans, un temps voisins et vivant en bon termes, est encore une perspective lointaine. Les communautés ont aujourd’hui choisi de se déplacer à l’intérieur de la ville. «Là où le marché du quartier servait l’ensemble de la population sans distinction, aujourd’hui chaque communauté religieuse a son propre marché. La haine et la rancœur sont constamment présentes et risquent à tout moment de dégénérer en affrontements». (apic/be)

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