Payerne: Table ronde sur les salles de prière pour les musulmans vaudois

Les communautés islamiques peinent à se faire reconnaître

Payerne, 20 mars 2012 (Apic) Quelques revers dans leurs recherches de salle de prière ont incité les musulmans vaudois relancer le dialogue et la réflexion sur la présence de leurs communautés en terre chrétienne. Une table ronde, animée par le journaliste radio Fabien Hünenberger, a rassemblé, lundi soir 19 mars, plus de 120 participants à la salle de la paroisse catholique de Payerne. Dont une grande majorité de musulmans.

Pas de renouvellement de bail à Yverdon, pas de prêt public pour la rénovation de la mosquée de Vevey, oppositions acceptées par la Municipalité contre l’implantation d’une salle de prière à Payerne: trois revers ont récemment touché les musulmans vaudois dans leurs tentatives d’installer ou de rénover leurs centres de rencontre. L’Union Vaudoise des Associations Musulmanes (UVAM) a réagi en invitant la population de son canton à dialoguer avec elle à l’occasion d’une table ronde. Si la fréquentation était correcte, avec une salle bien remplie, la déception est venue de l’absence manifeste des chrétiens: au moins 80% des 120 personnes présentes étaient visiblement de religion musulmane, et les autres participants représentaient pour la plupart une autorité politique ou une des Eglises chrétiennes.

Même restreinte, la discussion a toutefois permis de cerner et de comprendre les besoins des musulmans de se retrouver en communauté, et de resituer les décisions négatives des autorités politiques dans leur contexte. Le ton a immédiatement été donné par la syndique de Payerne, Christelle Luisier Brodard: «La volonté de dialoguer avec la communauté musulmane de Payerne est totale. Le conseil municipal est d’ailleurs présent in corpore ce soir. En novembre dernier, le droit de voisinage a été le seul élément qui nous a contraints de donner une réponse négative. Les règles de construction, en matière de places de parc et de nuisance au centre ville, notamment, n’étaient pas respectées. Nous attendons maintenant un nouveau projet». Des propos confirmés en fin de rencontre par son collègue Jacques Henchoz, en charge des relations avec les communautés religieuses. «La commune ne va pas mettre les bâtons dans les roues», a-t-il assuré à la population musulmane, qui regroupe plus de 1’000 membres dans le chef-lieu broyard (sur une population de 8’700 habitants), dont une bonne majorité d’Albanophones.

L’implantation d’un lieu de culte constitue une prise de pouvoir

Les invités à la table ronde ont tout de même mis en évidence les difficultés rencontrées par une communauté religieuse minoritaire – et cela ne concerne pas que les musulmans – en vue de se faire reconnaître et accepter. Le sociologue Christophe Monnot, responsable de recherche à l’IRCM (Institut religions, culture, modernité) à Lausanne, a cerné 6 enjeux importants dans le processus d’implantation d’une communauté:

– Une religion est historiquement reliée à un territoire (souvent à un canton). La paix religieuse en Suisse a pu se bâtir en tenant compte de ce phénomène.

– L’implantation d’un lieu de culte constitue une forme de prise de pouvoir dans une région. La communauté concernée obtient pignon sur rue. En Europe, l’implantation de lieux de culte musulmans est souvent perçue comme une forme d’islamisation.

– Il existe une forme de hiérarchie de valeurs, en Europe, au sujet des religions. Et en Occident, l’islam ne figure pas parmi les religions les mieux considérées.

– La religion est considérée comme une affaire d’héritage. La perspective de perdre cet héritage par des conversions ou des mariages mixtes est envisagée avec appréhension.

– Le pluralisme religieux est un phénomène récent en Suisse. Les 95% des nouvelles communautés musulmanes ont été crées depuis 1975.

– Ce pluralisme est apparu en Suisse avec la venue d’étrangers. Si leur intégration est rendue possible par le respect de leur liberté de culte, des réactions d’opposition apparaissent en cas de forte proportion d’étrangers dans un groupe religieux.

Partant de ces constats, le sociologue estime qu’une meilleure connaissance de la religion concernée permet d’établir le dialogue et de dépassionner le débat. Il encourage enfin les musulmans à ne pas stigmatiser leurs difficultés de reconnaissance. D’autres communautés, même chrétiennes, ont rencontré ou rencontrent encore des résistances dans leurs tentatives de créer une communauté.

Dominique Voinçon, du groupe «Musulmans Chrétiens Dialogue Amitié» (MCDA), a enchaîné en rappelant que les catholiques ne bénéficient que depuis peu d’une reconnaissance équivalente à celle des réformés sur Vaud. «La paix religieuse se construit», a-t-il lâché en recommandant aux chrétiens comme aux musulmans de poursuivre le dialogue, que le MCDA a entamé un certain 11 septembre 2001.

Le pasteur protestant Laurent Zumstein a assuré que les difficultés rencontrées par les musulmans de Moudon dans leur recherche de local ont permis de renforcer les liens dans la communauté. «Un local de rencontre favorise l’entraide, l’intégration et les contacts», a-t-il affirmé en recommandant aux municipalités d’aider les musulmans à se structurer, afin de disposer d’un partenaire de dialogue.

Plus de visibilité des communautés musulmanes

Pascal Gemperli, vice-président de l’UVAM, a noté que le vote sur l’interdiction des minarets en Suisse, en 2009, a constitué un appel aux musulmans en vue de mieux se faire connaître. C’est ainsi que son organisation, à laquelle 10 mosquées vaudoises sur 14 sont affiliées, a mis la visibilité des communautés musulmanes parmi les priorités de son programme. Il a confirmé que les musulmans se trouvaient bien en Suisse et que le cadre légal, avec sa garantie de liberté de culte, leur convenait parfaitement. Très peu de problèmes ce cet ordre sont à relever, si ce n’est l’absence de carrés musulmans dans les cimetières sur Vaud et la reconnaissance d’aumôneries dans certains milieux.

Mehdi Shahini, responsable de la communauté musulmane de Payerne, a souligné le besoin de ses coreligionnaires de se regrouper sur place, pour éviter un éclatement vers Morat ou Fribourg. Il a saisi la perche tendue par le Conseil municipal pour chercher ensemble des solutions. Il a souligné que, tout comme à Moudon, les difficultés rencontrées par sa communauté dans la recherche d’une salle de prière ont permis de resserrer les liens entre musulmans de toutes provenances établis dans la région de Payerne.

Note aux médias: Des photos de cette table ronde peuvent être commandées à l’Apic: apic@kipa-apic.ch . Prix pour diffusion: 80 frs la première, 60 frs les suivantes.

(apic/bb)

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