Genève : Journée de réflexion sur la mendicité à l’Université

L’amende ou la pitié

Genève, 3 mars 2012 (Apic) La journée de réflexion mise sur pied, le 2 mars, à l’Université de Genève, en lien avec une pétition lancée par diverses associations pour l’abrogation de la loi interdisant la mendicité sous peine d’amende – loi visant bien sûr les Roms – a attiré un public nombreux et attentif. Peut-être un signe de l’inquiétude suscitée par le retour de la précarité dans nos contrées.

Il n’est pas habituel de parler de la mendicité à l’Université, a relevé Bernard Rordorf, professeur honoraire à la Faculté de théologie, en ouvrant cette journée organisée par l’Institut romand de systématique et d’éthique, avec le concours de Mesemrom (association de défense et soutien des Roms de passage à Genève), de la Commission tiers monde de l’Église catholique (COTMEC), ainsi que de Caritas et du Centre social protestant.

On a d’abord pris du recul avec Michel Porret, professeur d’histoire à la Faculté des lettres. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, la charité chrétienne s’exerçait en faveur du pauvre qui jouissait d’un statut sacré. Statut qu’il a perdu avec l’avènement de la société marchande, au 16ème siècle. Il a dès lors été considéré comme inutile, fainéant, vicieux et dangereux. On a tenté de séparer les bons pauvres des mauvais et de contrôler les « mauvais » en les enfermant dans des « maisons de discipline », où ils ont été a soumis au travail forcé. Avec les Lumières, sans que cesse la répression, on est passé au traitement social de la pauvreté et à l’assistance. Cependant, la mendicité et le vagabondage étaient vus comme le premier maillon de la chaîne conduisant à la délinquance et, c’est de nouveau le cas aujourd’hui dans certains cantons, ces comportements ont été criminalisés, a exposé en substance Michel Porret.

La mendicité : un pis-aller

Avec Julia Hasdeu et Claire Auzias, on a abordé de front la question des Roms. Nous n’avons pas de certitudes sur leur origine, a souligné Claire Auzias. Sauf que des linguistes ont déterminé que leur langue est parente de l’hindi. Ils auraient quitté l’Inde vers le 10ème siècle et se seraient dirigés les uns vers le Moyen-Orient, d’autres vers l’Asie centrale et d’autres encore – « nos » Roms – vers l’Ouest. Ils ont été réduits en esclavage dans l’Empire ottoman – esclavage qui n’a été aboli qu’en 1848 en Roumanie – et ne sont pas des nomades : « Ils n’ont jamais poussé un troupeau devant eux ». En Espagne, et l’histoire s’est répétée ailleurs, ils ont été accueillis et fêtés comme des baladins, avant d’être expulsés au bout d’un demi-siècle. Et l’on sait qu’ils ont été victimes d’un génocide par les nazis.

Il n’y a pas que des mendiants chez les Roms : toutes les classes sociales sont représentées, mais ceux qui ont « réussi » préfèrent taire leur origine souvent stigmatisée. On est en présence d’un peuple sans État qui a la volonté de maintenir sa civilisation au milieu d’autres civilisations. La mendicité est un pis-aller et elle est vécue comme une humiliation. Elle s’est répandue à la suite de la chute du communisme – et de la disparition des emplois qu’il procurait – et de l’ouverture des frontières. C’est un moyen de survivre pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’acquérir une formation.

Réhabiliter la pitié

Le théologien Bernard Rordorf établit une distinction entre pauvreté et misère : les pauvres se trouvent au bas de l’échelle sociale, mais sur cette échelle, alors que ceux qui ont sombré dans la misère ne le sont plus. « Un effort prolongé est nécessaire pour qu’ils y retrouvent leur place, mais la criminalisation de la mendicité est un signe que la société ne va pas dans ce sens », dit-il. Il plaida ensuite, en citant la parabole du « Bon Samaritain », pour une réhabilitation de la pitié, une pitié qui conduit à se mettre à la place de l’autre, non pas avec condescendance mais avec lucidité.

Il y a, cependant, des « inhibiteurs de la pitié », c’est-à-dire des arguments pour ne pas venir en aide au pauvre ou au misérable. L’on dit, par exemple, qu’il est responsable de son état, par son imprévoyance ou ses vices. C’est peut-être l’un de ces « inhibiteurs » qui a structuré le débat concluant cette journée. François Dermange, professeur à la Faculté de théologie, a avancé que l’interdiction de la mendicité a l’avantage d’obliger la société à offrir une alternative. À côté de lui, Rafi Mihai, un jeune Rom, lui répliqua : « Si je vous enlève le verre d’eau qui se trouve devant vous, comment réagissez-vous ? » « Vous me donnerez quelque chose de plus que ce verre ». « Mais en attendant, vous aurez soif ! » « Ceux qui interdisent la mendicité devraient proposer d’autres solutions, mais c’est loin d’être le cas », conclut l’ancien procureur général Bernard Bertossa. (apic/mba/js)

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