Le ’7e Ciel’ comme vous ne l’avez jamais vu
Fribourg, 3 mars 2012 (Apic) Fabrice Hadjadj a le verbe agile et le sens de la formule. Auteur de pièces de théâtre, essayiste et professeur de philosophie, il jongle avec les idées. Gros plan sur ce que le Paradis n’est pas, sujet d’une conférence donnée le 1er mars 2012 à l’Institut ’Philanthropos’, à Bourguillon/Fribourg.
Environ 150 personnes, tous âges confondus, se sont déplacées sur les hauts de la cité des Zähringen. Un record dans les anales de l’Institut. Fabrice Hadjadj est désormais un nom familier des Fribourgeois. Il reprendra la direction de ’Philanthropos’ à partir de l’été. L’auteur est réputé. «Il publie un chef d’œuvre tous les 18 mois environ», précise l’actuel directeur Yves Semen.
Les yeux pétillent mais le regard est rêveur. Ce contraste s’est retrouvé dans la manière, sérieuse mais ponctuée de traits humoristiques, de traiter le Paradis. Curieux de nature, affamé de savoir et assoiffé de vérité, aucun sujet délicat ne rebute ce philosophe de 41 ans, pas même l’odeur du souffre. L’étude des démons (»La foi des démons ou l’athéisme dépassé», 2009) lui vaut le prix de littérature religieuse et le conduit au Paradis (»Le Paradis à la porte. Essai sur une joie qui dérange», 2011). En une heure trente, le conférencier a baladé l’assemblée dans ce lieu qu’il a visité plusieurs fois, partant en guerre contre nos fausses conceptions.
Désirer revenir au paradis terrestre de la Bible, le jardin d’Eden, c’est tomber dans une vision régressive, a mis en garde Fabrice Hadjadj. Il faut abandonner toute conception cyclique de l’histoire, pour affirmer un commencement et une fin de l’univers, chose insupportable pour les Païens. «Avec cette flèche irréversible vers un Paradis céleste, on brise tout d’un coup le cycle du cosmos. La flèche du temps est décochée». Mais attention à ne pas oublier quel est le vrai Paradis. Car «quand l’homme essaie d’imaginer le paradis sur terre, ça fait tout de suite un enfer très convenable», a rappelé le conférencier, citant Paul Claudel. Or le vrai Paradis est reçu, c’est une grâce.
Le Paradis n’est pas ici-bas, où «la justice est jamais pleinement accomplie et toujours avortée», relève le philosophe français. La vraie Vie est ailleurs, dans l’au-delà de ce monde marqué par la mort. Cette conception du Paradis – que beaucoup pensent chrétienne – est nihiliste, car elle néantise cette vie et méprise ce monde. C’est le reproche du philosophe allemand Nietzsche: les hommes ont inventé un autre monde pour pouvoir calomnier et salir celui-là. Que répondre à la critique de projeter de l’hypothétique dans l’au-delà, au détriment de l’ici et maintenant? En fait, Nietzsche se trompe dans sa définition du pleinement ici et maintenant. Le présent ne cesse de passer, analyse saint Augustin dans ’Les Confessions’. Car si le présent durait, ce ne serait plus le présent mais l’Eternité. L’Absolu ici et maintenant est cette pure présence, Dieu. Par conséquent, «dire que nous voulons vivre l’ici et maintenant, c’est dire que nous voulons vivre en Dieu», nous tourner vers la Source de toutes choses, et non vers un lendemain qui chante.
Le Paradis n’est pas la fin de l’histoire. Vous arrivez dans un lieu. On vous dit: «Tout est advenu. Il n’y a plus d’avenir». Dans sa relation avec la Trinité, l’homme participe à l’Eternité de Dieu, sans y être absorbé, ni devenir purement éternel. Il y a donc encore une temporalité au Paradis, a rappelé Fabrice Hadjadj, s’appuyant sur le théologien suisse Hans Urs von Balthasar: «C’est là qu’est vraiment le Temps», un temps transfiguré. Au Ciel, «Dieu sera parfaitement connu mais totalement incompris», selon Maxime le Confesseur. Sans quoi, nous perdrions notre nature humaine, étant alors pleinement absorbés en Lui. Et l’orateur de rassurer l’auditoire: «Cette aventure, vécue dans la plénitude de la joie, continue avec Dieu au Ciel. Une sorte de drame joyeux» qui devient objet de contemplation.
L’idée du Paradis comme vision béatifique véhicule un danger, pointe le jeune écrivain. «Le problème est que notre modèle de la vision est la télévision», où chacun est assis côte à côte sans se voir. Cette imagerie est perçue aujourd’hui comme «une situation de passivité, de voyeurisme béatifique». Et d’argumenter: «Il serait complètement absurde que, étant dans le Dieu créateur, nous perdions toute créativité et toute inspiration», sans agir. Les bienheureux, dans la vision béatifique, sont forcément dans l’action béatifique. «Il y a une activité, une créativité, une inventivité des bienheureux, a défendu Fabrice Hadjadj. C’est là que notre créativité sera la plus haute». En Dieu, l’ordre de connaissance est inversé. L’homme part de l’intelligible pour descendre vers le sensible, «peut-être même de Dieu pour aller vers les créatures, comme Dieu L’a fait».
A la demande du bon larron sur la croix, Jésus répond: «Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis». Unique apparition du mot Paradis dans l’Evangile. «L’aujourd’hui de la croix est ’le même’ que celui de la gloire», a commenté l’écrivain, où le Fils ne cesse de s’offrir au Père. La vie du Ciel, la vie de la gloire et la vie de la croix, c’est la même vie de charité et d’offrande, que le fidèle demande à chaque messe: «Fais de nous une éternelle offrande à ta gloire». Le Paradis est dès lors déjà commencé.
Fabrice Hadjadj, «Juif de nom arabe et de confession catholique» – comme il aime à se définir –, converti en 1998, est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et agrégé de Philosophie. Marié à l’actrice Siffreine Michel, ils attendent leur sixième enfant. (apic/ggc)
«Les chrétiens et l’Eglise en Chine», par William Frei, ministre à la Mission suisse auprès de l’Union européenne, chargé des relations avec le Parlement européen, le 15 mars 2012, à 20h30, à Bourguillon/Fribourg. (apic/ggc)
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