Son pays, otage d’une lutte d’influence entre les Etats-Unis et la Russie
Beyrouth, 8 février 2012 (Apic) La Syrie est devenue otage d’une lutte d’influence entre les Etats-Unis et la Russie, déplore le patriarche melkite Grégoire III Laham. Le chef de l’Eglise grecque-catholique, résidant habituellement à Damas, en Syrie, se trouve actuellement dans la résidence patriarcale de Raboué, au Liban, où se tient du 6 au 8 février le synode de l’Eglise grecque-melkite catholique.
Ce synode réunit à la résidence patriarcale de Raboué l’ensemble des éparques des éparchies du territorial patriarcal (Syrie, Liban, Egypte, Terre Sainte, Jordanie) et de la diaspora. C’est un synode électoral qui doit pourvoir aux sièges de Tripoli (Archiéparchie de Tripoli – Liban), de Khabab (Métropole de Bosra et Hauran – Syrie) et de Homs (Métropole de Homs, Hama et Yabroud), déclarés vacants.
Interrogé par Fady Noun, journaliste au quotidien francophone libanais «L’Orient-Le Jour», le patriarche estime que son pays, la Syrie, est devenue otage d’une lutte d’influence entre les Etats-Unis et la Russie. Le chef de l’Eglise grecque-catholique, comme certaines personnalités de l’opposition ou des chefs religieux en Syrie, espère un changement interne, tout en étant conscient de sa difficulté, dans la structure actuelle du parti unique.
Depuis quelques mois, le patriarche Grégoire III n’a cessé d’appeler les responsables arabes à se mettre à l’écoute de leurs peuples. Ces appels ont été constants, en particulier pour deux des pays du territoire patriarcal, l’Egypte et la Syrie. Dans ce dernier pays, sa patrie, il pense qu’un changement est encore possible, surtout si l’Europe s’y met, relève Fady Noun. «Pour lui, il n’y a peut-être rien à attendre des Etats-Unis, mais l’Europe, celle de la Mare Nostrum, peut encore beaucoup faire en faveur d’un compromis qui épargnerait à la Syrie les affres de la violence aveugle et de la guerre civile».
Le patriarche, qui appelle au dialogue «de toutes les parties en Syrie et en dehors de la Syrie», voit déjà son pays devenir otage d’une lutte d’influence entre les Etats-Unis et la Russie. Le journaliste de «L’Orient-Le Jour», qui a rencontré le patriarche grec-catholique au siège patriarcal de Raboué à la veille de la réunion annuelle du synode de son Eglise, demande si ce qui se passe en Syrie relève d’un complot, thèse officielle du régime, ou d’une révolution.
«Sans vouloir critiquer la Syrie, répond Grégoire III, je voudrais dire que je n’aime pas le terme de complot. Pour moi, c’est un signe de faiblesse. C’est dire qu’autour de vous, il n’y a que des ennemis. Mais peut-on pour autant parler de révolution ? Ce qui se passe n’est pas propre à la Syrie. Je pense que les pays arabes sont entrés dans un phénomène de révolution, sans qu’on puisse parler d’une vraie révolution. En général, celle-ci se prépare. Je décrirais ce qui se passe, plutôt, comme le résultat d’un cumul de frustrations. Mais la politique s’y est mêlée et a tout faussé».
Sans chercher à défendre aveuglément le régime, relève Fady Noun, le patriarche grec-catholique s’étonne qu’on veuille entraîner l’Eglise en Syrie dans la campagne visant à l’effondrement du système. Il reproche à l’Europe de pousser à la violence, plutôt qu’à un compromis politique. Plutôt que de viser à changer le régime, lance le patriarche melkite, il faut plutôt aider le régime en place en Syrie à changer.
«Je crois qu’il s’agit là d’une vision juste des choses. Et pour ça, l’Eglise est là et elle a beaucoup fait!» Mais est-il réaliste de demander au Baas de changer ? «Bien sûr, répond le patriarche. Ne regardez plus vers le passé. Le passé est passé. Apprenons de la guerre du Liban. Quinze ans de guerre, pourquoi ? C’est une leçon pour tous. La violence engendre la violence. D’ailleurs, regardons les choses en face. Il faut voir plus large que ce qui se passe en Syrie. Nous sommes devant des arsenaux considérables. Est-ce raisonnable, dans ce cas, de crier ’aux armes !’. En tout cas, l’Eglise ne peut le faire. Ne lui demandez pas de jouer un autre rôle que le sien!»
«Je crois que la Syrie, après ces onze mois d’expérience, ne sera plus jamais la même. Je crois qu’il y aura un changement de base, et je crois que le président Bachar el-Assad le veut aussi». Le patriarche déplore en outre que la crise syrienne semble échapper à ses protagonistes, devenus otages d’un conflit qui les dépasse, entre les Etats-Unis et la Russie.
Le patriarche affirme que malgré les troubles, on n’assiste pas encore à l’exode des chrétiens de Syrie. «La Syrie a toujours eu le pourcentage d’émigration le plus bas du monde arabe. C’est significatif. C’est dû au fait que ce régime est vraiment laïc. C’est l’avenir. Certes, il y a quelques départs justifiés par la peur, mais ce n’est pas l’exode. Tout ce que je peux dire, c’est: n’ayez pas peur. Comme chrétien, je ne suis pas une cible pour un groupe, même pas pour les salafistes. En Egypte, la situation est différente. Je ne dis pas que qu’il n’y aura pas des gestes extrémistes, mais nous faisons nôtres les paroles d’Athénagoras: Je n’ai pas peur, parce que je me suis désarmé!»
Pour Grégoire III Laham, il faut poser le problème en termes sociaux, «parler citoyens syriens, et non pas chrétiens». Il estime que le problème n’est pas religieux, même si certains introduisent cet élément dans leur analyse. «Aux députés européens qui se trouvaient au Liban pour un colloque sur les chrétiens d’Orient, à Kaslik, en novembre dernier, j’ai dit: ’Venez non pour l’avenir des chrétiens, mais pour l’avenir de ce monde. Pour nous, c’est le moment non de demander nos droits, mais de redécouvrir notre mission dans un monde arabe qui vit une nouvelle naissance. Prêcher la paix, l’égalité, la justice est notre manière d’accompagner ce qui se passe, soit en dehors, soit au-dedans».
Aux reproches adressés à l’Eglise de rester dans une zone grise, de ne pas dénoncer les graves violations des droits de l’homme qui se commettent dans son pays, Grégoire III répond que c’est faux. «J’ai appelé à l’arrêt de l’effusion du sang dans toutes mes déclarations. Mais je ne suis ni politicien, ni agent de sécurité, ni journaliste. Je ne peux entrer dans les détails. Je n’en ai ni les moyens ni la volonté. L’Eglise ne peut donner de solutions, mais seulement des orientations. Par ailleurs, elle agit par des canaux qui ne sont pas publics».
Le patriarche dénonce, par ailleurs, «les exagérations» et «la désinformation» véhiculées par une partie des médias. «Nous sommes là dans une vraie guerre moderne», assure-t-il, accusant certains d’entre eux de jouer un rôle «destructeur».
Au sujet des bilans quotidiens des victimes paraissant dans la presse, le patriarche considère qu’il y a des falsifications des deux côtés, de la part de l’Europe aussi. «Tout est politisé et, dans ce sens-là, oui, il y a un complot. Je pense que le mot d’ordre du moment est: ’Il faut détruire Carthage!’».
Le patriarche d’Antioche et de tout l’Orient ne comprend pas comment une Europe qui s’est relevée d’une guerre mondiale qui a fait 50 millions de morts peut soutenir une partie contre l’autre, alors qu’elle a les moyens de l’arrêter. «Je sais que tout sang versé est le sang de mon frère. J’ajoute qu’on s’essouffle pour la Syrie, et qu’on oublie Israël et la cause palestinienne. J’ai adressé une lettre à tous les responsables européens, le 20 avril dernier, dans laquelle j’ai demandé une solution au conflit palestinien, car, avec le règlement de ce conflit, la moitié des problèmes du monde arabe seraient réglés. Or, après 63 ans de crise, le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas résolu. Pourquoi, en septembre dernier, n’a-t-on pas reconnu l’Etat palestinien à l’ONU ? C’est une capitulation. C’est indigne du monde!» (apic/orj/be)
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