16e Journées d’Etudes François de Sales
Annecy, 28 janvier 2012 (Apic) Contrairement à ce que prédisent certains spécialistes des médias, la presse sur support papier ne devrait pas disparaître en 2017 aux Etats-Unis, et quelques années plus tard en Europe. Cependant, un fait est là: en moins de dix ans, le déferlement du numérique a bouleversé le monde des médias comme jamais auparavant. Cette réalité, qui interroge aussi les professionnels de la presse catholique, a été au cœur des réflexions des 16e Journées d’Etudes François de Sales (*), qui se sont tenues à Annecy les 26 et 27 janvier 2012.
Pendant deux jours, les quelque 200 participants à ces Journées de formation ont mené la réflexion sur cette révolution en marche qui bouleverse le métier de journaliste, modifie la consommation d’information et suscite bien des interrogations sur l’avenir de la presse écrite.
Des journaux comme «France Soir» ont cessé d’exister en version papier pour n’exister plus qu’en ligne (cf. www.FranceSoir.fr). Face à ces mutations, le salut ne viendra, selon plusieurs experts présents à Annecy, que d’un «journalisme augmenté». Une notion qui s’inspire de l’ouvrage d’Eric Scherer, directeur de la prospective de France Télévisions (»A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un journalisme augmenté» (PUF, 2001). Ces analystes rappellent qu’en l’an 2000 encore, il n’y avait pas de connexions internet à haut débit, ni de blogs, podcasts, flux RSS, Google News, Gmail, YouTube, Facebook, Twitter et autres iTunes. Sans parler du Wi-Fi, de la géolocalisation, de l’iPod, de l’internet mobile, des smartphones, de l’iPhone, du BlackBerry, ou de l’iPad….
Ainsi, le «journalisme augmenté» ne fournira plus uniquement de l’information brute. Il enrichira son contenu d’une véritable plus-value, d’une analyse ou d’une mise en perspective. En effet, les faits bruts sont désormais disponibles quasiment en temps réel sur internet, les blogs, etc. Par conséquent, les publier le lendemain tels quels dans la presse écrite n’a plus aucun intérêt pour le lecteur. Il s’agit, pour la presse traditionnelle, de prendre conscience de ces changements radicaux si elle veut survivre les prochaines décennies.
Journaliste, enseignant à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ) et consultant indépendant, Erwann Gaucher ne croit pas à la fin de la presse écrite. «Je ne pense pas que ma génération verra la disparition de tous les journaux papiers, à condition toutefois qu’ils se transforment». Lui-même d’ailleurs vient de la presse écrite. Il fut pendant 2 ans rédacteur en chef du magazine missionnaire «Peuples du Monde».
L’expert relève que les médias se trouvent dans un milieu qu’il ne qualifierait pas d’hostile, mais plutôt de «mutant». Dans ce monde sans cesse en changement, les médias ont des difficultés à s’adapter étant donné la lourdeur de leurs structures de production.
«Les médias ont longtemps refusé de prendre en compte cette réalité. Nous ne sommes pas face à une révolution de plus pour les médias, car la révolution a un début et une fin, alors que nous sommes désormais dans un système qui n’a pas de fin. Ce n’est pas une révolution technique, mais bien une révolution des usages, qui met en danger ceux qui ne veulent pas la comprendre ! «
Erwann Gaucher veut réfuter une légende urbaine: le web n’est pas responsable de la disparition des journaux: En France, la presse a perdu 50% de sa diffusion depuis la Deuxième Guerre mondiale (passant de 4,6 millions de quotidiens vendus à 2,1 millions en l’an 2’000) alors qu’internet n’existait pas encore… Le web n’est à ses yeux qu’un accélérateur de cette tendance. La maladie était plus ancienne. La presse a oublié de regarder de près les usages de ses consommateurs, qui ont aujourd’hui un besoin permanent d’information, d’une accessibilité totale, quasiment en temps réel…
Les Français consomment toujours davantage d’infos, mais ils vont la chercher ailleurs que dans les journaux, notamment sur le web mobile. Si en 2012, on ne la trouve plus de la même façon qu’en 2000, 2005 ou 2008, peut-on continuer de la produire de la même manière, se demande-t-il. Pour lui, l’internet de deuxième génération, le web 2.O, est une chance à saisir, car c’est le nouveau visage de l’info. Plus de 20 millions de Français ont un compte sur Facebook, et ils y passent 11 heures par mois en moyenne !
L’avènement de l’internet de deuxième génération est venu bousculer les «canons» du journalisme au point de déposséder toute une profession de son magistère sur l’information et le commentaire de l’événement, souligne pour sa part René Poujol, coordonnateur du programme de ces Journées d’Etudes. Et l’ancien «patron» de la rédaction de l’hebdomadaire «Pèlerin» de relever que le développement des blogs et des réseaux sociaux a ôté aux journaux, radios et télévisions leur monopole en tant que «médiateurs». Ces nouveaux modes ont fait émerger, hors du sérail journalistique, de nouvelles personnalités qui ont désormais pignon sur rue dans bien des rédactions. «Aucun journaliste ne peut prétendre aujourd’hui faire honnêtement son travail en ignorant l’univers foisonnant du web», insiste-t-il.
Si le numérique est un défi stratégique pour la presse, note-t-il, c’est également le cas pour l’Eglise. Elle aussi doit faire face à cette mutation qui est véritablement anthropologique et culturelle. Nicolas Senèze, chef-adjoint du service religieux du quotidien français «La Croix» et responsable de la newsletter «Urbi & Orbi», dresse le même constat en faisant l’état des lieux du numérique dans l’Eglise.
Regrettant que les catholiques ne s’impliquent pas assez dans l’espace numérique, dans la blogosphère ou sur Wikipedia, le journaliste de «La Croix» y voit le risque de laisser la place libre pour certains groupes comme les traditionalistes.
Nicolas Senèze relève, en citant Catherine Sesbouë, pionnière du web dans l’Eglise catholique de France, que dans les années 90, en cherchant le mot «Dieu» sur internet avec un moteur de recherche, l’internaute ne trouvait aucun site catho dans les premières réponses. Quand il cherchait ensuite «christianisme», c’est la secte Moon qui ressortait. 15 ans plus tard, ce n’est guère mieux: la première réponse catho n’apparaît qu’au bas de la 5e page de résultats! Les sites évangéliques se classent beaucoup mieux.
Il est vrai que les sites internet se sont multipliés dans l’Eglise de France: les diocèses ont leurs sites, de mieux en mieux faits, les mouvements s’y sont mis, de nombreux blogs sont apparus… Cependant, déplore Nicolas Senèze, l’internet catho, c’est d’abord un monde clos, qui offre très peu de liens sur l’extérieur. Ainsi, note-t-il, peu de sites du monde catholique font office de passerelles vers d’autres mondes, à l’exception notable de ceux de la presse catho. Pour les sites officiels de l’Eglise de France, rares sont ceux qui ouvrent à la vie locale. Quelques uns ont des liens vers le conseil général ou la préfecture, «mais on reste souvent entre institutions», sans grande ouverture sur la société civile.
«L’exemple le plus frappant est celui du site du Vatican, vatican.va, qui n’a aucun lien vers l’extérieur… Cela reflète une certaine ecclésiologie et une certaine vision du monde ! " Certes, admet-il, il y a la volonté de ne pas donner l’impression de valider des contenus que l’Eglise pourrait ne pas approuver. Par conséquent les sites cathos sont souvent très en retard dans le référencement par rapport aux blogs évangéliques ou musulmans.
Et Nicolas Senèze de souhaiter que l’Eglise intègre davantage la culture numérique, et s’astreigne aussi dans ce domaine à une véritable «inculturation». Car la culture numérique est une culture des réseaux, de l’interactivité, de la participation et du consensus, «alors que l’Eglise reste dominée par une culture de l’obéissance, par un fonctionnement sur un modèle hiérarchique». La démocratie numérique est basée à l’inverse sur l’échange, c’est un outil de travail collaboratif, tandis que la culture de l’institution ecclésiale en reste trop souvent à la culture de l’émission. «Dans le monde numérique, elle doit absolument abandonner l’attitude professorale, le langage vertical».
Encadré
Un lieu d’échange pour pallier la disparition de l’UCIP
A la veille de ces Journées, une trentaine de journalistes catholiques de France, de Suisse, du Québec, d’Afrique du Sud, d’Italie et du Vatican, se sont réunis pour trouver une alternative à la dissolution de l’Union catholique internationale de la presse (UCIP). Ils souhaitent garder vivant, pour les journalistes et les éditeurs catholiques, un lieu international de partage d’expériences, de formation professionnelle et de ressourcement spirituel. Les participants ont donc proposé de mettre sur pied une journée d’échanges internationale chaque année à Annecy, en accord avec les organisateurs des désormais traditionnelles Journées d’Etudes François de Sales. Cette journée s’adresserait, pour des motifs pratiques, au monde francophone existant dans les différents continents.
(*) Ces Journées sont mises chaque année sur pied par la Fédération Française de la Presse Catholique (FFPC), en partenariat avec le diocèse d’Annecy et l’Union des Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholique (UDESCA). (apic/be)
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