La «mentalité médiatique» de l’Eglise a eu son apogée avec Jean Paul II

Fribourg: L’instruction pastorale Communio et Progessio est parue il y a 40 ans

Fribourg, 11 janvier 2012 (Apic) En mai 1971, l’Eglise catholique s’ouvrait totalement à l’ère de la communication avec la sortie de l’instruction pastorale «Communio et Progressio». Le vent du Concile, libéré 6 ans plus tôt hors des fenêtres du Vatican, soufflait enfin sur le monde des médias.

Une journée de réflexion, le 12 janvier à l’Université de Fribourg, fera le point sur la politique de communication dans l’Eglise. En préambule, trois personnalités catholiques en prise avec le monde des médias livrent leur analyse sur l’apport de ce document et sur son actualité.

Apic: Qu’a apporté Communio et Progressio à l’Eglise catholique depuis sa sortie?

Mgr Pier Giacomo Grampa, évêque de Lugano:

Communio et Progressio a poussé l’Eglise à investir davantage dans les médias. L’instruction pastorale a créé une «mentalité médiatique», qui a eu son apogée sous le pontificat de Jean Paul II. Avec le développement des situations culturelles et des possibilités technologiques, l’Eglise s’est engagée à moderniser son recours aux médias pour le rendre plus efficace. Il existe encore quelques points faibles: l’exceptionnelle exposition médiatique de l’évêque de Rome a eu comme conséquence l’affaiblissement médiatique des Eglises locales. Le vœu que les médias favorisent la vitalité d’une opinion publique à l’intérieur de l’Eglise (Communio et Progressio no 115) a été, en réalité, parfois freiné plutôt qu’encouragé.

L’élan du Concile Vatican II pour une Eglise au service de l’homme a cédé la place à une Eglise qui s’occupe avant toute chose d’elle-même, et son travail dans les médias semble aujourd’hui davantage auto-référencé que pénétré du progrès de l’humanité, pour un monde plus en communion.

Abbé Michel Demierre, ancien réalisateur à la Télévision Suisse Romande:

Une réflexion structurée, éclairée par une large consultation préalable, a donné des résultats concrets que l’on ne peut imaginer. Je pense à une session de formation organisée par le Père Babin, à Lyon, quelques années plus tard et à laquelle 25 évêques de l’Afrique de l’Ouest avaient pris part. Je me souviens de «l’avidité» de connaissance et de découverte de certains d’entre eux, ainsi que de leur volonté de s’informer pour développer, chez eux, un type de présence adaptée aux différents médias. Par la suite, j’ai pu observer, sur place, comment le cardinal Christian Tumi, par exemple, a développé, dans son diocèse de Douala, divers médias: «L’Effort camerounais» pour la presse écrite (avec une imprimerie), une radio, et «Vidéopro» pour l’audio-visuel. Une belle illustration du paragraphe 93 de l’Instruction pastorale.

«Chaque fois que je visite une paroisse, aimait à dire le cardinal Tumi – qui étudia à Fribourg – je peux vérifier l’apport de la radio comme outil d’évangélisation».

Laure-Christine Grandjean, chargée de comunication à la Conférence des évêques suisses:

Je ne dirais pas que Communio et Progressio nous a apporté quelque chose de nouveau, mais plutôt qu’il n’a fait que rappeler quelque chose de connu. Il nous redit seulement ce à quoi l’Eglise est appelée depuis 2000 ans, à savoir: communiquer. Si saint Paul a su mettre à profit les moyens de communication de l’époque pour diffuser l’Evangile, le texte postconciliaire nous invite à en faire autant: se lancer dans les nouveaux moyens de communication, comprendre comment et où naît l’opinion publique aujourd’hui. Car le message chrétien s’adresse à l’homme de son temps. A nous, aujourd’hui, de faire de l’Evangile un buzz!

Communio et Progressio, c’est donc un véritable «reminder»: qu’on se rappelle ce à quoi l’Eglise est appelée depuis 2000 ans. Et qu’on se rappelle l’importance de cette communication, qui n’est autre que le moyen de diffuser l’Evangile!

Apic: Quels sont ses éléments qui interpellent encore le plus l’Eglise et les médias actuellement?

Mgr Grampa:

Communio et Progressio demandait une éthique et une politique de la communication qui respectent la dignité humaine. Durant ces 40 années, les instruments théoriques se sont beaucoup développés dans ce domaine. Le texte demandait aussi une formation en matière de responsabilités personnelles, mais il y a encore beaucoup à faire, je pense surtout aux nouvelles technologies, où l’individu a encore le pouvoir de faire le bien ou le mal.

Avec une certaine naïveté, Communio et Progressio indiquait que les médias ont une sorte de vocation au bien de l’humanité. En réalité, les opérateurs des médias, dans le meilleur des cas, se présentent aujourd’hui comme «neutres», et beaucoup sont clairement orientés. Le devoir de l’Eglise à l’égard des médias aujourd’hui est alors d’exiger un sérieux professionnel qui ne soit pas alourdi par des objectifs sociaux particuliers. Mon espérance est que le professionnalisme même devienne, de fait, une contribution au progrès et à la communion.

Michel Demierre:

Un point demeure pour moi très flou: j’entends souvent parler de l’utilisation de médias au service de l’évangélisation. Une clarification de l’intention est sûrement attendue par beaucoup de médias.

La place publique, dans ses débats, accueille volontiers la « religion » qui peut se présenter comme un lieu de construction personnelle. Il est évident qu’un « intervenant » perçu comme une personne libre aura beaucoup de chance d’être entendu. De plus, s’il est capable de simplicité, de clarté et de tolérance, on lui redonnera la parole.

Trop souvent on se contente de discourir sur la religion et les éclairages qu’elle peut apporter. Le monde religieux pourtant, dans sa vie communautaire, par le climat de ses célébrations peut être attractif et offrir des accords dignes d’intérêt pour une grande variété de personnes. Certains médias savent traduire, en termes d’ambiance sonore et visuelle, des liturgies modestes ou événementielles. Ils méritent notre soutient participatif.

Les médias sont riches en professionnels qui proposent des mises en situation pertinentes des faits religieux ; ont-ils toujours des interlocuteurs qui savent s’accrocher à la modernité ? Oublient-ils parfois que le religieux se vit souvent dans une actualité qui passe inaperçue ?

Laure-Christine Grandjean:

Communio et Progressio interpelle par ses invitations concrètes, lorsqu’il évoque la nécessité d’introduire des cours de communication dans les séminaires, qu’il exige la présence de spécialistes de la communication dans l’Eglise, etc.. Oui, ce document a la force d’être concret mais, surtout, il force à concrétiser – et là encore, on ne peut qu’être interpellé! Il attend des chrétiens qu’ils prennent l’initiative de communiquer l’Eglise et non qu’ils la laissent aux autres. Face aux actuels reproches d’une Eglise qui se tait et reste absente des sujets de société, Communio et Progressio avait déjà mis en garde: «se taire nuit et fait apparaître des rumeurs tendancieuses» … 40 ans plus tard, on peut se questionner: avons-nous concrétisé ce document? Comprenons-nous l’enjeu de la communication?

(apic/bb)

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