«Les accusations de prosélytisme ont cessé depuis longtemps!»

Russie: Rencontre avec Mgr Joseph Werth, évêque de Novossibirsk

Lucerne/Novossibirsk, 20 décembre 2011 (Apic) Les rapports de l’Eglise orthodoxe russe avec l’Eglise catholique en Russie sont passés, ces dernières années, de la franche hostilité à la tiédeur. «Le temps des accusations de prosélytisme et des insultes est passé depuis longtemps!», confie à l’Apic Mgr Joseph Werth, de passage en Suisse à l’invitation de l’oeuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED). basée à Lucerne.

L’évêque de Novossibirsk, la capitale de la Sibérie occidentale située à quelque 2’800 Km à l’est de Moscou, admet cependant que «si les fronts se sont adoucis et l’atmosphère hostile des premières années a disparu, ce n’est pas encore la fraternité œcuménique!»

Une décennie a passé depuis février 2002, quand, en réponse à la décision du pape Jean Paul II de créer le diocèse catholique de la Transfiguration à Novossibirsk, l’archiprêtre Alexander Novopashin organisait des manifestations contre «l’Eglise catholique et les sectes totalitaires»… Le doyen de la cathédrale orthodoxe de Saint-Alexandre-Nevsky était à la pointe du combat contre tous ceux qui voulaient s’implanter sur le «territoire canonique de l’Eglise orthodoxe russe», qui se relevait à peine de décennies de persécution antichrétienne.

Dès 1938, le régime communiste était parvenu à anéantir également toutes les structures extérieures de l’Eglise catholique romaine en URSS, dont la grande majorité des fidèles était composée de soviétiques d’origine allemande, polonaise, lituanienne, lettone ou ukrainienne. Avec la perestroïka, les catholiques qui avaient conservé clandestinement leur foi – souvent transmise dans leurs foyers par les «babouchkas», les grands-mères – étaient peu à peu sortis des catacombes. Ce «réveil catholique», somme toute de modeste ampleur, avait suscité méfiance et hostilité de la part d’une Eglise orthodoxe qui avait, elle aussi, été décimée par le régime totalitaire.

Nombre de catholiques sont devenus orthodoxes

Lorsque les temps sont devenus plus favorables et que la répression s’est faite moins pesante, nombre de catholiques se sont alors fait baptiser dans l’Eglise orthodoxe, «mais le contraire n’est pas vrai», relève Mgr Werth. «Des prêtres orthodoxes ont baptisé des familles d’origine allemande… Nous n’avions plus de prêtres, ils étaient dans les camps. Alors quand un prêtre orthodoxe venait, il baptisait tout le monde, même les catholiques qui avaient déjà été baptisés par les babouchkas…»

Dans les campagnes, à des centaines de kilomètres à l’ouest de Novossibirsk, dans la région de Tobolsk ou de Tiumen, on rencontre des villages où vivent des Lituaniens, des Lettons, des Polonais, des Allemands, des Ukrainiens, des Biélorusses qui sont ainsi devenus orthodoxes depuis le début des années 90. «On ne peut plus avoir accès à eux, leurs enfants vont désormais à l’Eglise orthodoxe, et ils ne veulent plus changer. A mon sens, c’est là un vrai prosélytisme, car nombre d’entre eux étaient catholiques à l’origine. Mais on tait cela…», relève l’évêque de Novossibirsk.

Alors, les accusations de prosélytisme lancées contre l’Eglise catholique il y a encore quelques années font sourire Mgr Werth: «Chaque année, nous avons seulement 30 à 50 personnes qui se préparent au baptême à la cathédrale, 5 à 10 chez les franciscains et peut-être 5 à Akademgorodok. La préparation aux sacrements dure un an, et plus de la moitié viennent de familles mixtes. Très peu n’ont aucune racine catholique».

De leur côté, au début des années 90, les orthodoxes baptisaient chaque samedi – «sans grande préparation» – entre 200 et 400 personnes. «Il est difficile dans ces circonstances de nous accuser de prosélytisme…», lâche le religieux jésuite, qui note tout de même un certain dégel dans les relations entre orthodoxes et catholiques. «L’atmosphère change peu à peu. En surface, tout va bien, cependant il va falloir encore du temps avant que cela ne change à la racine!», note le prélat qui fêtera ses 60 ans en octobre prochain. JB

Encadré

Les catholiques d’URSS ont subi plusieurs vagues de déportation

Laminée par le «dragon rouge» de l’oppression, particulièrement féroce durant la période stalinienne qui a suivi la Révolution bolchevique de 1917, l’Eglise catholique en URSS a subi des vagues de déportations dans les années 30 et durant la Seconde Guerre mondiale. Comme les orthodoxes, les catholiques, présents depuis plusieurs siècles au sein de l’Empire russe, virent leurs églises fermées voire détruites, des prêtres déportés, fusillés… Mgr Werth est né en 1952 à Karaganda, au Kazakhstan, où sa famille fut déportée en 1931, dans le cadre de la collectivisation des terres par Staline. Deuxième de onze enfants, il a vécu dans une famille d’Allemands de Russie déportée au-delà de l’Oural lors des purges staliniennes, durant la campagne contre les «koulaks», les paysans aisés. La famille de Mgr Werth, parents et enfants, a émigré en Allemagne en 1991, juste après son ordination épiscopale.

Les Allemands sont présents en Russie dès le XVIIIe siècle, à l’invitation de l’impératrice Catherine II, qui les avait fait recruter dans les pays de langue allemande. A la chute de l’URSS, près de 2,5 millions d’Allemands de Russie ont émigré vers leur patrie d’origine. Ces Allemands étaient notamment installés dans la région de Saratov, sur la Volga, où, avec l’aide du gouvernement russe, ils créèrent des villages homogènes, luthériens, mennonites et catholiques. Malgré les vagues d’émigration des deux dernières décennies, il reste certainement plusieurs centaines de milliers d’Allemands de Russie, et une partie d’entre eux sont d’origine catholique. Les prêtres découvrent encore très souvent des familles aux anciennes racines catholiques, dispersées dans l’immensité sibérienne et qui redécouvrent d’où ils viennent. JB

Encadré

Une cinquantaine de prêtres pour un territoire de près de 4 millions de km2

En avril 1991, Mgr Werth a été nommé à la tête de l’administration apostolique pour la partie asiatique de la Russie, soit quelque 13 millions de km2. En 1999, cet immense territoire a été divisé entre la Sibérie orientale (Irkoutsk, un diocèse de près de 9 millions de km2) et la Sibérie occidentale (Novossibirsk, 4 millions de km2). Ce sont des territoires tellement vastes qu’un prêtre ne peut célébrer que deux messes le week-end quand les stations extérieures sont éloignées de 300 Km… Comme il n’y a pas partout des routes carrossables, il faut parfois prendre le bateau, ou, l’hiver, circuler en voiture sur des fleuves gelés.

Pour ses 30 centres et ses 250 petites «stations extérieures», le diocèse de Novossibirsk dispose d’une cinquantaine de prêtres, dont 10 sont des gréco-catholiques (en partie des prêtres mariés, avec une famille). Seuls 25% sont originaires de la Fédération de Russie, pour 75% d’étrangers. Ces derniers viennent de Pologne, de Slovaquie, d’Italie, de Slovénie, des Etats-Unis, d’Amérique latine, d’Irlande ou d’Ukraine. 75 religieuses sont actives dans le diocèse et s’occupent notamment d’activités sociales et scolaires.

L’Eglise catholique s’occupe d’une école primaire catholique à Novossibirsk, d’un jardin d’enfants, ainsi que d’un gymnase et d’un jardin d’enfants à Tomsk. La Caritas diocésaine, la plus importante de Russie, prend en charge un home pour enfants à Novossibirsk, qui accueille une cinquantaine d’orphelins ou d’enfants placés, dont les parents sont en prison ou souffrent d’alcoolisme. «Avec toutes les détresses que nous rencontrons, relève Mgr Werth, notre œuvre d’entraide devrait être dix fois plus grande!» (apic/be)

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