Berne: La mort empaquetée dans un sac-poubelle

Exposition provocante à l’église du Pasquart

Bienne, 12 novembre 2011 (Apic) L’église réformée du Pasquart, dans le quartier des musées à Bienne, présente jusqu’au 13 novembre «In Memoriam», une œuvre coup de poing sur la mort qui ne laisse personne indifférent. Reportage.

Cent onze sacs-poubelles noirs, tels ceux utilisés pour emballer les restes des victimes de catastrophes, d’accidents et de suicides, forment une pyramide de 4 mètres de hauteur dans le chœur de l’église du Pasquart. Chacun d’entre eux est étiqueté au nom d’une célébrité décédée ou vivante (Buster Keaton, Jacques Chessex, Angela Jolie), de divinités, de personnages imaginaires ou de simples quidams. En écho à cette scénographie macabre, une pyramide inversée composée de 111 lumignons rouges tapisse le sol.

Créateur de cette installation, l’artiste prévôtois Adrien Rihs donne de la mort une image lugubre, sinistre, effrayante, voire déstabilisante. D’une puissance visuelle et émotionnelle dionysiaque, son œuvre, qu’il dépeint comme un mausolée éphémère, prend aux tripes, interpelle par sa dureté assumée et son nihilisme froid. En même temps, elle fascine par son audace et son souffle libertaire.

Adrien Rihs, qui évolue dans le champ de l’art conceptuel, se défend de manier la provocation gratuite à l’intérieur d’un lieu de culte: «In Memoriam veut remuer les consciences sans choquer. L’œuvre repose sur une image forte visant à susciter le dialogue, le questionnement autour de la futilité et de la fugacité de l’existence, de l’oubli auquel nous sommes condamnés à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Elle confronte aussi les gens avec mes doutes et mes angoisses.» Et de poursuivre: «L’idée m’est venue d’un reportage radiophonique sur la catastrophe aérienne qui avait endeuillé Air France le 1er juin 2009. La journaliste décrivait l’arrivée par hélicoptère des premiers corps repêchés dans l’océan Atlantique. Or, les cadavres se trouvaient dans des sacs en plastique noirs. Cette image m’a poursuivi et m’a inspiré pour mon installation.»

Fort de ce souvenir, Adrien Rihs s’interroge avec «In Memoriam» sur la valeur du corps après sa disparition, sur le sens de la vie, sur le sort de l’humanité, condamnée selon lui à disparaître, sur la destinée des dieux une fois privés de toute présence humaine. Celui qui se dit protestant par sa famille mais non-pratiquant étrenne des formules d’un réalisme désenchanté: «Suivant les circonstances, selon les cas, le corps humain, qui est périssable, qui se décompose, ne vaut pas plus qu’un sac à ordures.» Mais il reste serein face à la finitude: «Quant le mot fin sera inscrit sur mon écran, il sera temps de partir».

Des poèmes lumineux

L’installation d’Adrien Rihs est accompagnée de poèmes sur la mort rédigés par Marco Pedroli, pasteur à Bienne et Nidau. Les textes de ce recueil, baptisé «Passages», sont rassemblés dans un livre placé sur un présentoir, près de la double pyramide.

Face à la noirceur de l’œuvre artistique, les textes littéraires de l’homme d’Eglise, où domine le thème de la lumière, drainent sérénité, chaleur, espoir. «Nos deux réalisations se complètent. Adrien Rihs a travaillé par images, alors que j’ai plutôt réfléchi sur le sens, sur le lien entre morts et vivants. J’ai posé sur la mort un regard de théologien et de poète, mais également un regard de prière», explique Marco Pedroli. Et d’ajouter: «Mes poèmes sont traversés par les promesses de vie, de lumière que l’on trouve dans les Evangiles. Dans cette espérance, souvent les personnes qui s’en vont, même si elles ont été tourmentées, trouvent la paix.» A noter que «In Memoriam» est organisé sous la houlette de l’association Présences.

Plus d’informations sur www.presences.ch

Encadré:

«Je ne peux pas imaginer cette œuvre dans une église catholique»

La force émotionnelle et l’originalité esthétique d’»In Memoriam» font réagir les communautés catholique et israélite de Bienne. «L’œuvre d’Adrien Rihs ne m’a absolument pas provoqué. Elle fait esthétiquement corps avec l’intérieur de l’église du Pasquart: les sacs noirs forment un triangle contre le mur principal et les lumignons rouges forment un triangle sur le sol devant les sacs. Je reconnais toutefois ne pas avoir vraiment saisi le lien entre la mort et les sacs-poubelles portant les noms de personnes décédées… et vivantes», souligne l’abbé Patrick Adrien Werth, de la paroisse catholique romaine de Bienne.

Quant à l’éventualité d’accueillir l’installation dans une des églises catholiques de la capitale seelandaise, l’homme d’église ne se montre guère enthousiaste: «Je ne peux pas m’imaginer cette œuvre dans une de nos églises pour deux raisons: d’abord, contrairement aux temples, les églises catholiques sont des lieux sacrés (présence du Saint Sacrement, lieu de prière); ensuite, six communautés linguistiques se partagent les trois églises catholiques de Bienne. Je vous laisse calculer le nombre de paramètres à gérer pour arriver à un accord!»

Très sensible à l’art, un de ses hobbies, Patrick Adrien Werth n’en reste pas moins critique: «En prenant régulièrement le parti de la provocation, à travers le trash par exemple, une partie de l’art contemporain de ces vingt/trente dernières années n’entre plus en ligne de compte pour être intégré dans un édifice qui doit toujours permettre d’accéder à la sérénité.»

Administrateur de la communauté juive de Bienne (150 membres environ sur 53’000 habitants), Haim Madjar se montre laconique: «L’idée des sacs-poubelles pour symboliser la mort n’est pas formidable. Je la qualifierais d’étrange.» Et Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites, de compléter: «La décoration des synagogues est sobre. Toute représentation humaine y est interdite. En dehors de toute règle spécifique au judaïsme, cette œuvre n’a pas sa place dans un lieu où tous les fidèles doivent pouvoir se réunir en toute sérénité et se recueillir.» (apic/ea)

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