«Je veux comprendre comment fonctionne l’Eglise en Suisse»

Interview: Mgr Diego Causero, nonce apostolique en Suisse

Berne, 8 novembre 2011 (Apic) «Aujourd’hui, je veux vivre en Suisse et y être présent», déclare le nouveau nonce apostolique en Suisse, Mgr Diego Causero, dans une interview à l’Apic. Il sait que l’Eglise en Suisse a une grande expérience dans le domaine de la collaboration entre clercs et laïcs. Elle est en quelque sorte pionnière dans ce secteur. Le prélat, âgé de 71 ans, déplore la tournure que prennent les événements en Syrie où il a été nonce de 1999 à 2004.

Apic: Quelle image de la Suisse aviez-vous, Monseigneur, avant votre entrée en fonction en octobre 2011 ?

Mgr Diego Causero: J’ai acquis une première connaissance de la Suisse lorsque j’étais secrétaire de la mission permanente du Vatican auprès de l’ONU à Genève, avant d’entreprendre ma carrière de nonce. A Genève, j’ai rencontré «l’image officielle» de la Suisse: un pays très progressiste, une des principales places financières, des superbes paysages, une population tranquille et travailleuse avec une approche calviniste de la vie, qui défend ses particularités aussi à l’intérieur de l’Eglise, comme par exemple la démocratie directe. Mais c’était un regard de l’extérieur, sans véritable lien à la population, sans solidarité et sans amour. Je veux aujourd’hui vivre en Suisse et y être présent.

Apic: Comment avez-vous vécu votre fonction de nonce en Afrique et en Syrie? Cela aura-t-il une influence sur votre action en Suisse?

Mgr Diego Causero: Mes expériences comme nonce au Tchad, en République centrafricaine et au Congo étaient quelque chose de tout différent. Là-bas, je me suis trouvé au milieu de la vie du peuple. J’étais avant tout fort impliqué dans la vie de l’Eglise. J’ai très vite eu le sentiment que j’étais plus le représentant des Eglises locales auprès du Saint-Siège que l’inverse.

Ce que je veux ici, c’est comprendre comment l’Eglise fonctionne en Suisse. Je vais donc d’abord observer attentivement et apprendre à connaître le pays dans la communauté fraternelle. Pour cela, j’ai besoin de l’aide des évêques, des prêtres et des gens de bonne volonté. Ma première impression est positive. A l’étranger, on a l’image d’une Suisse en confrontation avec Rome. Mais il y a ici aussi, comme dans d’autres endroits, le même désir d’écouter l’Esprit Saint. Nous sommes appelés à avancer ensemble.

Apic: Comme nonce, quelle est votre tâche ?

Mgr Diego Causero: Le nonce apostolique représente le Saint Père, il promeut l’unité de l’Eglise et de la foi, de la foi commune de l’Eglise universelle. La question est: comment fait-il cela? Entre Rome et les Eglises locales, il y a des tensions.

La fonction spirituelle, théologique et structurelle de diriger l’Eglise revient au pape. Dans les communautés locales, il y a un besoin légitime de laïcs engagés à participer à la vie de l’Eglise. Ces deux forces doivent collaborer.

Dans les dernières décennies, il y avait plus une polarisation qu’un dialogue fraternel. Le concile Vatican II a éveillé en différents endroits des attentes qui ont conduit à des positions extrêmes. Aujourd’hui, l’Eglise est à la recherche d’un équilibre entre organisation et spiritualité, management et foi. Les attaques amères et agressives doivent faire place à une recherche humble et patiente. Ce doit être le but de tous les fidèles, qu’ils soient progressistes ou conservateurs.

En Suisse, j’ai découvert un certain individualisme qui aspire souvent à des solutions absolues sans alternatives. Ce qui doit fonctionner, c’est le dialogue.

Apic: En Suisse l’Eglise a double système de droit canonique et de droit ecclésiastique. Des critiques décrivent les organes de droit ecclésiastique comme une «Eglise parallèle». Que pensez-vous de ce système?

Mgr Diego Causero: Je viens d’arriver et de découvrir le double système de l’Eglise en Suisse, avec la répartition entre droit canonique et droit ecclésiastique. Certaines fonctions dans l’Eglise doivent être remplies par la hiérarchie de l’Eglise. Mais des laïcs peuvent très bien exercer des fonctions, dans le domaine administratif en particulier. Il y a ici aussi un équilibre à trouver pour ne pas élever des barrières. «Conservateurs» et «progressistes» viendront à bout des difficultés s’ils se retrouvent dans le Christ.

L’Eglise en Suisse a le grand avantage d’avoir déjà préparé ce terrain. Elle ne fige pas les adversaires, mais tourne leur regard vers le Christ. Ici, l’Eglise connaît depuis longtemps la lutte entre une «Eglise centralisée» et une «Eglise ouverte». Elle a compris que la confrontation n’apporte pas de grands avantages. On a appris à s’asseoir autour d’une table – pour une fondue, par exemple. Ma tâche consiste à soutenir les bonnes intentions. J’attends que les communautés ecclésiales et les paroisses encouragent la vie dans l’Eglise.

Apic: Vous parlez plusieurs langues, parmi lesquelles deux des trois grandes langues nationales du pays. Peut-on en déduire que cela va vous encourager à visiter régulièrement les différentes régions du pays?

Mgr Diego Causero: J’ai appris l’allemand à l’école il y a quarante ans, et depuis je ne l’ai plus jamais parlé. A la nonciature, je n’ai malheureusement pas la possibilité de parler allemand. Ici on parle français et d’autres langues. Je vais bien sûr visiter la Suisse alémanique. Je sais que de nombreux alémaniques parlent le français et l’anglais. Dans ces langues, je peux m’exprimer et je compte, en plus, que les évêques me mettent à disposition des traducteurs. Au début, je vais rendre visite aux évêques. Ils vont m’informer, et s’ils peuvent m’offrir davantage, alors tant mieux!

Je sais qu’il y a beaucoup de choses à découvrir en Suisse, et j’aime être parmi les gens, sans cependant être intrusif. Le fait que les distances ne sont pas grandes dans le pays est un avantage pour moi.

Apic: En Afrique et en Syrie, vous avez certainement été confronté à des problèmes, mais vous avez aussi vécu des expériences positives. Lesquels?

Mgr Diego Causero: En Afrique, j’ai rencontré une foi très profonde. Les messes sont fortement imprégnées de musique et de rythme. On ne connaît pas de longueur dans la fête qu’est la messe. C’est une fête de la communauté. Ce qui m’a par contre posé problème, c’est le tribalisme rencontré dans certains pays subsahariens.

Apic: Que voulez-vous dire?

Mgr Diego Causero: Les pays occidentaux estiment que pour réaliser une démocratie, il faut un système pluripartite. En de nombreux endroits en Afrique des partis ont certes été fondés, mais ils s’identifient souvent avec les tribus. On a une autre compréhension de ce qu’est un parti. Celui-ci a moins pour fonction de viser le bien commun que la domination et le pouvoir. Même lorsque différentes tribus ont la même idéologie, elles sont des adversaires et chacune revendique le pouvoir pour elle-même.

L’Eglise catholique aspire à une unité, mais même devant l’Eglise, ces frontières tribales ne sautent pas. Dans de telles circonstances, il est difficile de prendre et de tenir une position fondée sur l’Evangile. Un prêtre qui s’opposerait à sa propre tribu verrait sa vie en danger.

J’ai été nonce dans deux pays à majorité musulmane, la Syrie et le Tchad. Les musulmans manifestaient leur présence, mais laissaient les chrétiens vivre, même s’ils étaient constamment sous pression. Il y a, dans les pays d’Afrique, un grand intérêt pour le christianisme. Mais il manque de missionnaires et de prêtres qui puissent s’occuper des personnes qui désirent devenir catholiques.

En Syrie, les alévites au pouvoir ont opté pour une voie laïque, reconnaissant aux chrétiens des libertés comme aux musulmans étrangers. Mais le gouvernement est très dur et incapable de changer, comme nous le voyons actuellement. Le carnage qui vient d’avoir lieu ne me surprend pas, parce que les fossés sont devenus très profonds au fil des années. Je pense qu’il n’est pas bon qu’un système soit rigide et incapable de changer. C’est malheureusement ce qui se passe actuellement en Syrie.

Mgr Diego Causero

Mgr Diego Causero est né le 13 janvier 1940 à Moimacco dans le Frioul territoire italien frontalier avec la Slovénie. En 1973, il rejoint le service diplomatique du Saint-Siège. Il a entre autre travaillé aux nonciatures apostoliques du Nigeria (1973-1976), d’Espagne (1976-1980), de Syrie (1980-1984) et d’Australie (1984-1987). De 1988 à 1991, il était représentant du Saint-Siège auprès des Nations Unies à Genève. En 1991, il a construit la nonciature à Tirana (Albanie). Il a également été nonce en République du Congo et en République centrafricaine. En 1999, il a été nommé nonce apostolique en Syrie, puis en République tchèque en 2004.

Le 28 mai 2011, le pape Benoît XVI l’a nommé nonce apostolique en Suisse et au Liechtenstein, dont le siège est à Berne. Il est entré en fonction en octobre. Il succède au nonce Francesco Canalini.

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