Zizanie à la tête du christianisme en Irak 2/2
Proche de l’Iran et du pouvoir central irakien, Rayyan Al Kildani le chef de la milice chrétienne Babylone et de son mouvement politique affilié a rencontré le pape François le 6 septembre 2023 au Vatican. Il serait derrière le retrait, en juillet, du décret présidentiel irakien reconnaissant le cardinal Louis Raphaël Sako comme patriarche des chaldéens. Vexé, ce dernier s’est exilé à Erbil. Déjà fragilisée, la communauté chrétienne autochtone en ressort divisée.
Benoit Drevet correspondant en Irak de cath.ch
Suite de la première partie publiée le 22 septembre
Preuve que cet exil n’est sans doute pas temporaire, les mots «patriarcat chaldéen» s’affichent désormais en grand sur le front du perron monumental du monastère des apôtres Addai et Mari situé au nord du quartier chrétien d’Ankawa. Un nouveau patriarcat qui par sa taille, ses jardins et son architecture n’a rien à envier à celui de Bagdad. Mais il est isolé au bout d’une voie sans issue, métaphore dans la réalité du conflit dans lequel se trouve plongée la communauté chrétienne d’Irak.
Une affaire embarrassante
L’affaire embarrasse jusqu’au Vatican. Dans un communiqué, le 20 juillet 2023, la présidence irakienne assure pourtant que «la révocation ne modifie pas et ne modifiera pas les fonctions ou le statut du cardinal (…) La décision prise n’est qu’une rectification d’une erreur passée». Une position déjà exprimée trois jours plus tôt au chargé d’Affaires du Vatican en Irak, le Père Charles Lwanga Ssuuna, qui «n’a pas formulé d’observations» selon le même communiqué. La nonciature apostolique prend soin de souligner le même jour que «l’administration des biens de l’Église – telle que prescrite par la Constitution irakienne – devrait continuer à être exercée librement par les chefs d’Églises (…) devant les tribunaux irakiens et les bureaux du gouvernement».

D’aucuns, dont Sako lui-même, assure que ce retrait du décret s’est fait sous l’influence de Rayyan Al-Kildani. «Je suis visé parce que je suis depuis le début contre cette milice. Je ne la reconnais pas comme milice chrétienne, ils ne nous représentent pas. C’est une question de vengeance», martèle le cardinal. Il faut dire que Rayyan Al-Kildani lui-même s’était vu retirer son titre de cheikh par le patriarche en 2016. Le même Al-Kildani est sous sanction du Trésor américain pour violation des droits de l’homme. Il a été identifié dans une vidéo mise en ligne en 2018 dans laquelle il serait vu en train de trancher les oreilles d’un membre de Daesh menotté.
Une accusation dont le fondateur de la milice Babylone se défend. «Chaque armée fait des erreurs, même l’armée américaine. Mais Sako a accusé de manière incorrecte M. Rayyan d’avoir commis ce crime et l’a rapporté aux Américains», assène le conseiller politique de Kildani. Selon lui, il s’agit d’un milicien chiite qui lui ressemble. Son service média communique la photo et le nom de l’homme apparaissant dans la vidéo. Un certain Sajjad Aziz al Busairi selon lui. Mais pas la vidéo malgré des demandes répétées. Une preuve qui n’en est donc pas une. Parole contre parole? Les services américains, eux, ont tranché en 2019, vidéo à l’appui.
Nombreux soutiens au patriarche
Face à l’enfant terrible du christianisme d’Irak, dont un proche qui souhaite rester anonyme assure qu’il a «grandi à Bagdad près du quartier pauvre de Sadr City entouré par les chiites au point de devenir l’un des leurs», les soutiens de Sako restent nombreux et puissants. Certes, le patriarche chaldéen ne représente qu’une seule des 14 Églises présentes en Irak, mais celle-ci dénombre plus de la moitié des fidèles. A l’étranger, les Etats-Unis et onze pays européens, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, se sont rangés derrière Sako. Même le bureau du Grand ayatollah Ali Al-Sistani, première figure religieuse d’Irak, ou le Comité des savants musulmans d’Irak, plus haute autorité sunnite du pays, ont exprimé leur solidarité et leur désapprobation face au traitement réservé à une personnalité religieuse du rang du cardinal.
«Je ne rentrerai pas à Bagdad, à moins que le président revienne sur la révocation du décret», confie le cardinal Sako, depuis le salon de réception de sa nouvelle résidence. Pour le cardinal, cette affaire «est grave. C’est une nouvelle persécution contre les chrétiens. Ils ont peur et pensent à partir. Imaginez si leur propre patriarche est attaqué, qu’est-ce qu’on pourrait faire à un simple chrétien?» Il a d’ailleurs saisi la cour suprême pour faire annuler ce geste présidentiel qu’il juge «inconstitutionnel». S’il gagne, il rentrera à Bagdad. Et s’il perd? «Je penserai à autre chose», répond-il.
Bataille constitutionnelle
«Le président a demandé à ses conseillers juridiques si ce décret était constitutionnel car deux autres patriarches en ont fait la demande, ils lui ont répondu que non», minimise Rayyan Al-Kildani tout en assurant ne pas être à la manœuvre. Depuis son siège bien gardé dans le quartier de Mansour à Bagdad, il confie pourtant «être prêt à faire la paix» avec celui qui a la charge de porter la croix» et assure «respecter sa position dans l’Église», tout en rappelant ses griefs contre Sako. Le patriarche lui, ne les acceptera pas. «Ce serait un scandale. Je perdrais tout, la confiance des chrétiens et la crédibilité de l’Église. Je ne peux pas. Contenter le mal ça ne marche pas, l’Église doit aller vers la vérité et le droit, pas vers le mensonge, l’injustice et la persécution.»
Le cardinal a appelé «tous les croyants à prier pour une solution à la crise du retrait du décret» le 10 septembre. Rayyan Al-Kildani, lui, revient tout juste de Rome où, avec une délégation irakienne, il a rencontré le pape, le 6 septembre, sur invitation d’hommes d’affaires et d’institutions italiennes lors de l’audience générale. Sur la musique The canals of Venice de Bryan World, il s’est d’ailleurs fait filmer, escorté dans Rome, saluant les gardes suisses et des évêques, puis échangeant des présents et une poignée de main avec le pontife tout sourire, avant de recevoir sa bénédiction et un rosaire tout en se targuant de lui délivrer les salutations du gouvernement et du peuple d’Irak. Une vidéo qui a laissé l’église chaldéenne pantoise.
«Il dit que le pape appuie le retrait du décret, c’est impossible! Ce sont des mensonges», tique le cardinal Sako, grand architecte de la visite du pape François en Irak en mars 2021. Alors qu’il songe à rendre sa charge au pape pour ses 75 ans (il les aura le 4 juillet 2024), son dernier défi a des allures de moment charnière pour les chrétiens d’Irak dont la population a chuté de 1,5 million de membres à 250’000 en 20 ans. (cath.ch/bdr/bh)
Proche de l’Iran et du pouvoir central irakien, Rayyan Al Kildani le chef de la milice chrétienne Babylone et de son mouvement politique affilié a rencontré le pape François le 6 septembre 2023 au Vatican. Il serait derrière le retrait, en juillet, du décret présidentiel irakien reconnaissant le cardinal Louis Raphaël Sako comme patriarche des chaldéens.