Wim Wenders: «Je me sens comme un chrétien œcuménique»
Wim Wenders était l’invité d’honneur du festival du film de Zurich 2018. Le réalisateur allemand, auteur d’un film documentaire avec le pape François, parle de sa foi, de sa passion pour le cinéma et de sa rencontre avec le pontife.
Dans votre jeunesse, vous vouliez devenir prêtre. Pourquoi ce projet n’a-t-il pas abouti?
Ce souhait s’est évaporé très brutalement avec l’arrivée du rock’n roll dans ma vie. La musique était une grande tentation, à laquelle j’ai cédé. C’était au début des années 1960, avec les Beatles, Bob Dylan. C’était ma ‘génération’, comme le déclame la célèbre chanson des Who. Et cette génération, comme moi, a redéfini ce qu’elle voulait pour elle-même. Je ne suis cependant pas devenu athée. J’ai quitté l’Eglise catholique alors que j’étudiais la sociologie, en 1968. Mais je suis rentré à la fin des années 1980 dans le christianisme par une autre porte, en me convertissant au protestantisme.
Pourquoi?
Parce que je crois en Dieu. Je ne crois pas en l’Eglise. Je me sens comme un chrétien œcuménique. La religion organisée entraîne de nombreux problèmes et empêche de nombreuses personnes d’entrer en relation avec Dieu.
Croyez-vous que le cinéma soit une Eglise?
Le cinéma a de nombreuses fonctions, et c’est un instrument puissant. Il peut aussi être, comme beaucoup d’autres choses, une Eglise. Et dans le passé, cela a souvent été le cas. Des cinéastes que j’admire faisaient un genre de cinéma très spirituel. Des réalisateurs comme le Danois Carl Theodor Dryer, le Français Robert Bresson ou le Soviétique Andrei Arsenievitch Tarkovski.
«La rencontre avec le pape a changé mon attitude intérieure»
Les films peuvent être aujourd’hui de toutes sortes et parler de tout. C’est ce qu’ils doivent être. Je suis très attristé que, étrangement, la définition du cinéma soit maintenant plus limitée que jamais. Elle est de plus en plus réduite au divertissement. Mais les films peuvent être bien plus que cela. Ils peuvent nous dire que nous pouvons être de meilleures personnes et nous montrent parfois un monde meilleur.
Vous avez interviewé le pape pendant huit heures. Quelle a été votre impression personnelle?
Il parle à tous. Il ne s’adresse pas exclusivement aux catholiques ou aux chrétiens. Il n’apparaît pas comme quelqu’un de radical, mais de calme et d’amical. Je crois que le pape François ne représente pas l’Église, mais les personnes de bonne volonté. Il essaie de faire croître la paix entre les religions, parce que, finalement, il n’y a jamais eu une grande paix entre les religions. C’est une tâche énorme qu’il essaie d’accomplir. Le pape va là où ça fait mal, et c’est courageux.
Comment la rencontre avec le pape a-t-elle influencé votre propre foi?
Cela a changé mon attitude intérieure, parce que j’ai réalisé qu’il n’avait pas peur. Il n’est pas seulement courageux, il est vraiment intrépide. J’ai remarqué que certains de mes films étaient motivés par la peur. Il m’a appris à être plus intrépide.
Que pensez-vous des critiques contre le pape François?
Le pape François est un homme d’une ouverture incroyable. Quand il parle de pédophilie, il veut vraiment dire tolérance zéro. Il veut transformer cette organisation rigide de l’Eglise en quelque chose de transparent. Une grande partie de l’Église s’oppose à la transparence et à l’ouverture. Beaucoup de ses critiques sont des gens qui n’aimaient déjà pas sa politique avant qu’il devienne pape.
«Le grand défi de notre temps est de percevoir à nouveau les choses et les gens qui nous entourent»
Je crois qu’on est au centre d’un grand combat. Une lutte de gens qui ne veulent pas de l’Eglise que le pape actuel représente, avec cette ouverture et cette tendresse. Il reste ferme dans ses opinions, mais il lui est très difficile de lutter contre les forces conservatrices dans ses propres rangs, d’une part, et contre l’ensemble du monde dit libéral, d’autre part.
Quelle est la portée des paroles du pape à notre époque?
L’une de ses principales missions est d’être proche des gens, d’écouter et d’entrer en contact. La proximité est devenue un grand luxe dans le monde d’aujourd’hui. L’une des plus grandes choses que le pape a dites, dans toute l’interview, était quelque chose de très modeste. Lorsqu’il confesse un jeune père ou une jeune mère, il leur demande s’ils passent suffisamment de temps avec leurs enfants.
Beaucoup de jeunes parents ne voient en effet leurs enfants ni le matin ni le soir. La cause en est, dans une mesure non négligeable, «l’avalanche numérique», qui nous submerge tous les jours. Nous sommes ainsi surchargés d’informations et avons toujours tant de choses à faire en même temps. Notre dépendance numérique nous isole et fait disparaître la proximité. Le besoin de connaître les gens, de passer du temps avec eux disparaît. Je ne sais pas si le pape peut changer ça. Mais c’est le grand défi de notre temps que de percevoir à nouveau les choses et les gens qui nous entourent. (cath.ch/kath/st/rz)