Voyage en Hongrie: un petit pas vers le Patriarcat de Moscou?
Aucune rencontre entre le pape François et des représentants du patriarcat de Moscou n’est au programme officiel du voyage en Hongrie, du 28 au 30 avril 2023. Mais ce pays d’Europe centrale est devenu avec la guerre en Ukraine un carrefour où des discussions, même informelles, pourraient avoir lieu pour faire vivre le dialogue – malmené au printemps 2022 – entre Moscou et Rome.
«Frère, nous ne sommes pas des ‘clercs d’État’, nous ne pouvons pas utiliser le langage de la politique, mais le langage de Jésus». Il y a presque un an jour pour jour, les déclarations du pape François adressées au patriarche Cyrille et rapportées dans le journal italien Corriere della Sera jetaient un froid sur les relations entre Rome et Moscou.
Quelques jours auparavant, le projet d’une rencontre entre les deux hommes à Jérusalem avait avorté. Et le cardinal Kurt Koch, le préfet du dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, d’ordinaire discret et prudent, allait bientôt comparer l’attitude du patriarche russe concernant l’invasion de l’Ukraine à une «hérésie». « La justification pseudo-religieuse de la guerre par le patriarche Cyrille doit ébranler tout cœur œcuménique», lâchait-il en juin 2022 dans un entretien au journal allemand Die Tagespost.
Le départ d’Hilarion
Pour diverses raisons, c’est aussi à cette période que le ‘ministre des Affaires étrangères’ du patriarcat de Moscou, le métropolite Hilarion, était démis de ses fonctions. Celui qui avait été un des grands artisans de la rencontre historique de Cuba en 2016 entre François et Cyrille– la première entre un pape et un patriarche de Moscou depuis le schisme de 1054 – avait su tisser de bonnes relations avec l’Occident et le Saint-Siège. Avec son départ, Rome perdait un interlocuteur privilégié avec le monde orthodoxe russe.
Depuis ce printemps 2022 agité, la paix n’est pas revenue à l’est de l’Europe. Mais les relations se sont policées entre Rome et Moscou. D’abord, le successeur d’Hilarion, le métropolite Antoine, est venu rencontrer le pape François au Vatican dès le mois d’août 2022. Un très bref communiqué du patriarcat de Moscou rapportait que les deux hommes avaient discuté des «relations orthodoxes-catholiques, y compris dans le contexte des processus politiques qui se déroulent dans le monde».
Rencontre Cyrille-François toujours envisageable
Les deux hommes se sont parlé de nouveau le mois suivant au Kazakhstan, en marge d’un sommet interreligieux. Certes, ce pays d’Asie centrale aurait pu être le lieu d’une deuxième rencontre entre le pape et le patriarche de Moscou – ce dernier avait un temps projeté de s’y rendre et sa non-venue avait fait quelques déçus au Vatican. Mais au sortir de l’entrevue avec le pontife argentin, le nouveau responsable du département des relations extérieures du Patriarcat a bien confié aux journalistes qu’une rencontre entre François et Cyrille était toujours d’actualité.
Il soulignait toutefois le besoin de bien la préparer. «Nous devons voir où et quand. Et la chose la plus importante est d’avoir quelque chose à la fin, quelques appels, dans la lignée de ce que nous avons fait à La Havane», précisait-il, ajoutant qu’une telle rencontre ne devait pas être un simple moment «où vous prenez un café».
Portes encore ouvertes
La mort de Benoît XVI, le 31 décembre dernier, aura aussi été l’occasion pour le chef de l’Eglise orthodoxe russe d’envoyer au pape François ses condoléances. De même, les dix ans du pontificat de François ont été salués dans un autre communiqué du patriarche. «Dans les circonstances difficiles actuelles, vous apportez une contribution significative à la prédication de l’Évangile du Christ et prêtez attention au développement de la coopération interreligieuse», insistait Cyrille.
Concernant une rencontre prochaine entre les deux hommes, l’archevêque du diocèse de Moscou, Mgr Paolo Pezzi, confiait à l’agence I.MEDIA en février dernier être «très positif». Expliquant que certaines déclarations passées avaient pu laisser une «certaine amertume» du côté de Moscou, il soulignait que «les portes [étaient] ouvertes» et que «les ponts n’[avaient] pas été détruits».
L’Église en Hongrie, «un pont entre l’Église latine et l’Église orthodoxe»
En Hongrie, le pape n’a pas prévu de rencontrer les quelques milliers d’orthodoxes issus des différentes traditions – serbe, roumaine, grecque de Constantinople ou bien russe – et aucune célébration œcuménique avec des représentants orthodoxes n’est au programme. Mais certains prédisent que le pape cherchera à retrouver Hilarion, devenu métropolite de Budapest et de Hongrie, en le recevant par exemple à la nonciature apostolique lors d’une rencontre hors-programme. Une thèse que le Bureau de presse du Saint-Siège n’a pas commentée.
«Le pape pourrait utiliser cette occasion pour envoyer quelques signaux», glisse un spécialiste de la question tandis qu’une autre source vaticane tempère, rappelant que le métropolite Hilarion «n’est plus du tout aux affaires» depuis sa démission. «Il a perdu tous ses postes et prérogatives et n’est plus membre permanent du Saint-Synode». La source souligne par ailleurs que le patriarcat de Moscou est un monde «complexe» et divisé. Difficile alors d’interpréter les conséquences qu’aurait une rencontre entre les deux hommes qui se connaissent bien.
La carte du cardinal Erdö
À Budapest, il est un homme qui maîtrise bien le sujet du dialogue avec l’orthodoxie russe: le cardinal Péter Erdö, l’archevêque qui accueillera durant trois jours le pape dans son diocèse. Longtemps président du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE), le cardinal hongrois a été à ce titre le co-président du Forum Catholique-orthodoxe européen, un espace d’échanges sur des questions sociales et culturelles avec les Églises orthodoxes.
«Le cardinal Erdö a de très bons rapports avec l’Église russe. Il est aussi russophone», confirme un des responsables de la conférence épiscopale de Hongrie. Il souligne que «l’Église de Hongrie a toujours essayé d’être un pont entre l’Église latine et l’Église orthodoxe». C’est cette carte que pourrait tenter d’exploiter cette fois-ci le pape François, un peu moins de deux ans après son déplacement express à Budapest à l’occasion du Congrès eucharistique international.
La guerre en Ukraine a fait émerger des convergences importantes entre les diplomaties vaticane et hongroise, chacune plaidant à leur manière pour l’arrêt des combats et la résolution du conflit par la conciliation. Le Premier ministre Viktor Orbán rechigne à apporter un soutien militaire au gouvernement de Kiev. L’an passé, c’est aussi lui qui avait pesé pour que le patriarche Cyrille ne soit finalement pas visé par un train de sanctions lancées par les 27 membres de l’Union européenne à l’encontre de personnalités russes. (cath.ch/imedia/hl/rz)