A Auschwitz, le pape se demande comment Dieu a toléré tout cela
Voyage de Benoît XVI en Pologne
De notre envoyé spécial Antoine-Marie Izoard, agence I.Media
Varsovie, 28 mai 2006 (Apic) Le pape allemand s’est demandé comment Dieu avait «toléré une telle accumulation de crimes (.) sans pareils dans l’histoire», lors de la visite du camp d’extermination nazi de Birkenau, en Pologne, le 28 mai. Benoît XVI a affirmé qu’il visitait les camps d’extermination d’Auschwitz et de Birkenau, où l’humanité «a traversé une vallée obscure», «en fils du peuple allemand», un peuple instrumentalisé, selon lui, par «un groupe de criminels».
Dimanche en fin d’après-midi, Benoît XVI s’est rendu aux camps de concentration nazis d’Auschwitz et de Birkenau pour un temps de recueillement et de prière. Il a demandé à Dieu de «ne plus jamais permettre une chose pareille». Arrivé devant le camp d’Auschwitz au son de cloches, le pape est passé à pieds sous la célèbre entrée surmontée par l’inscription en allemand ’Arbeit macht frei’ (le travail rend libre), en compagnie de plusieurs cardinaux, dont l’archevêque émérite de Paris, Jean-Marie Lustiger.
Se recueillant devant le mur de la mort, il a ensuite rencontré plusieurs anciens survivants, dont le cousin du cardinal Lustiger, Arnaud Lustiger, qui revenait pour la première fois sur les lieux où il a été détenu. Le pape s’est ensuite rendu dans la cellule où mourut saint Maximilien Kolbe. Après un passage au Centre de dialogue et de prière tout proche, c’est au camp de Birkenau qu’il a prononcé un discours en italien.
A Birkenau, Benoît XVI a commencé par affirmer que «prendre la parole dans ce lieu d’horreur, d’accumulation de crimes contre Dieu et contre l’homme sans pareils dans l’histoire» était «presque impossible», et que c’était «particulièrement difficile et insupportable pour un chrétien, pour un pape qui vient d’Allemagne». «Dans un tel lieu, les mots viennent peu et, au fond, il peut seulement rester un silence sidéré – un silence qui est un cri intérieur vers Dieu: Pourquoi, Seigneur, es-tu resté silencieux?, a lancé Benoît XVI, avant de demander encore à Dieu: «comment as-tu toléré tout cela ? ” Le pape a qualifié les camps visités de lieux «de la mémoire et, dans le même temps, de la Shoah».
Le silence, puis la demande de pardon
Le silence devant «la foule innombrable de ceux qui ont souffert et ont été mis à mort (.) devient toutefois ensuite une demande de pardon et de réconciliation à haute voix, un cri vers le Dieu vivant de ne plus jamais permettre une chose pareille», a poursuivi le souverain pontife. «Réveille-toi ! «, a lancé Benoît XVI en s’adressant à Dieu, «n’oublie pas l’homme, ta créature». Il a alors souhaité que le pouvoir que Dieu a déposé dans le coeur des hommes «ne soit pas couvert et étouffé par la boue de l’égoïsme, de la peur des hommes, de l’indifférence et de l’opportunisme». Et de dénoncer l’émergence de nouvelles «forces obscures», comme «l’abus du nom de Dieu pour justifier une violence aveugle» contre des innocents et «le cynisme qui ne connaît pas Dieu et qui se moque de la foi en lui». Expliquant que «le Dieu auquel nous croyons est un Dieu de la raison (.) mais qui est une seule chose avec l’amour, avec le bien», le souverain pontife a souhaité que les hommes reconnaissent que la violence ne crée pas la paix, mais suscite seulement la violence.
Le 7 juin 1979, a expliqué Benoît XVI, Jean-Paul II était ici comme fils du peuple polonais et, moi, je suis aujourd’hui ici comme fils du peuple allemand et, justement, pour cela, je dois et je peux dire comme lui: je ne pouvais pas ne pas venir ici. Je devais venir, a répété le pape, c’était, et c’est un devoir face à la vérité et au droit de ceux qui ont souffert.
Puis, Benoît XVI s’est présenté comme un fils de ce peuple sur lequel un groupe de criminels est arrivé au pouvoir grâce à des promesses mensongères, au nom de perspectives de grandeur, de récupération de l’honneur de la nation et de son redressement, avec des prévisions de bien-être et aussi avec la force de l’intimidation, de telle façon que notre peuple puisse être utilisé et abusé comme u n instrument de leur désir de destruction et de domination.
Le but de ce voyage, selon le pape, a été d’implorer la grâce de la réconciliation, entre autres «pour tous ceux qui, en cette heure de l’histoire, souffrent d’une façon nouvelle sous le pouvoir de la haine et sous la violence fomentée par la haine». «Le passé n’est jamais seulement le passé», a noté Benoît XVI, il «nous regarde et nous indique les chemins à ne pas prendre et ceux à prendre».
Ils entendaient tuer le Dieu d’Abraham
Le pape a alors évoqué les 22 stèles commémorant les victimes, s’arrêtant particulièrement sur certaines d’entre elles. L’occasion de rappeler que «les potentats du Troisième Reich voulaient écraser le peuple juif dans sa totalité, l’éliminer de la liste des peuples de la terre» et qu’avec «l’anéantissement de ce peuple ils entendaient tuer» le Dieu d’Abraham. «Avec la destruction d’Israël, en définitive, ils voulaient aussi arracher la racine sur laquelle se fonde la foi chrétienne, la substituant définitivement par la foi (.) en la domination de l’homme».
Le pape a évoqué le sort identique du peuple tzigane, ainsi que des Polonais et des Russes, dont la stèle «fait réfléchir sur la signification doublement tragique» de leur mission «dans leur affrontement avec le régime de terreur nazi». En effet, «libérant les peuples d’une dictature», ils devaient les soumettre «à une nouvelle, celle de Staline et de l’idéologie communiste».
Benoît XVI a finalement parlé de la stèle allemande, revenant sur la figure d’Edith Stein (1891-1942), ou sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, juive allemande convertie au christianisme. «Comme chrétienne et juive, elle accepta de mourir ensemble avec son peuple et pour lui». Nous remercions les Allemands qui furent déportés à Auschwitz-Birkenau «comme témoins de la vérité et du bien». «Nous remercions ces personnes, parce qu’elles ne se sont pas soumises au pouvoir du mal», a insisté Benoît XVI.
Poser une limite au mal et donner de la force au bien
«Grâce à Dieu, avec la purification de la mémoire, à laquelle nous pousse ce lieu d’horreur, croissent autour de multiples initiatives qui veulent poser une limite au mal et donner de la force au bien», s’est-il finalement réjoui, mentionnant les lieux qu’il avait visités auparavant. «Ainsi, nous pouvons espérer que du lieu de l’horreur naisse et croisse une réflexion constructive et que le souvenir aide à résister au mal et à faire triompher l’amour». Il a alors lu un extrait du psaume 23, «prière de confiance», auquel a suivi un long silence.
Auparavant, des intentions de prières avaient été prononcées, en langue rom pour la paix à Jérusalem, mais aussi en russe, en polonais, en hébreux et en anglais. Avait suivi le chant de deuil du Kaddish et une invocation à la paix lue en allemand par le pape. «Dieu de la paix, toi-même tu es la paix, l’homme qui se dispute ou qui s’apprête à se disputer avec quelqu’un ne peut pas le comprendre, fais que tous ceux qui vivent dans la paix restent en paix, et que ceux qui se disputent entament un chemin de réconciliation».
Les camps d’Auschwitz et Birkenau ont marqué la dernière étape du voyage en Pologne de Benoît XVI. Après avoir donné sa bénédiction aux pèlerins présents à Birkenau, le pape devait ensuite se rendre à l’aéroport de Cracovie pour une brève cérémonie de départ, avant qu’un avion de la Lot, la compagnie polonaise, ne le ramène à Rome dans la soirée. (apic/imedia/ami/ar/bb)