La visite du pape en Egypte concerne le bien-être de l'humanité entière

Pour Mgr Antonios Aziz Mina, évêque copte catholique émérite de Guizeh, la visite du pape en Egypte dépasse la politique égyptienne, dépasse Al-Azhar et dépasse les orthodoxes. Elle concerne le bien-être de l’humanité entière.

Docteur en droit, membre du comité de rédaction de la Constitution égyptienne, l’évêque de la banlieue du Caire revient sur les sentiments des chrétiens d’Egypte face à la politique locale et internationale.

A la veille de l’arrivée du pape François, l’Egypte vit encore la douleur des 44 victimes disparues dans les deux explosions du dimanche des Rameaux. Nous connaissons les auteurs du crime. Selon vous, que voudrait faire Daech du monde arabe? Voudrait-il vider la région des chrétiens?
C’est effectivement possible. Mais il faut voir aussi le dessous de l’iceberg. Le planificateur de Daech se rend très bien compte que quoi qu’il fasse, il est impossible de vider l’Orient de ses chrétiens.

Qui est ce planificateur dont vous parlez?
Ce n’est pas un seul, mais plusieurs. Baghdadi (le ‘calife’ de l’Etat islamique ndlr) n’est qu’un exécutant de ce que décident plusieurs pays et puissances mondiales. Je ne crois pas qu’il existe en Orient une théorie de complot. Nous vivons en fait un conflit d’intérêts. Celui qui a un intérêt sera celui qui agit. Et l’intérêt est non seulement l’effritement de l’Egypte, mais de toute la région.

Quel intérêt y a-t-il à vouloir incendier la région?
Quand deux personnes se battent, c’est la troisième qui gagne la bataille. L’Occident achète notre pétrole à un certain prix. Si nos nations sont divisées, et qu’il y a plusieurs autorités dans un même pays, il pourra se procurer l’énergie avec moins d’argent… Beaucoup de choses trouveront des solutions si nous le comprenons. Mais j’ai l’impression que nous ne voulons pas comprendre. La plupart du temps, nous penchons à nous lamenter du fait que l’Occident veut s’ingérer dans nos affaires internes et nous veut du mal.

Je suis heureux de voir, enfin, que les intérêts des Etats-Unis, au moins sur plusieurs sujets, convergent avec ceux de l’Egypte. Ce qui n’était pas le cas avec Obama. Mais rien n’est garanti pour toujours. Les ennemis d’hier peuvent devenir les partenaires d’aujourd’hui, et vice-versa. Nous avons l’exemple de la Deuxième guerre mondiale. C’est naturel dans le monde de la politique. A nous donc de défendre nos propres intérêts, selon nos préférences. L’Egypte a cassé l’expansion de la chaîne qui voulait briser les frontières et relier tous les pays arabes dans une bulle de terreur et d’obscurantisme. Mais Dieu nous a sauvés de justesse.

Pendant ce temps des millions d’Irakiens ont émigré, des millions de Syriens ont quitté leur pays, et les chrétiens d’Egypte sont visés et subissent la terreur.
Dans leur terreur et leur douleur, ces gens-là s’approchent de Dieu. C’est un angle qu’il ne faut pas négliger. Ce grand sacrifice a entouré notre fête de Pâques de beaucoup d’amertume. Mais l’étonnant cette fois-ci est que la douleur n’était pas seulement celle des chrétiens. La douleur de nos frères musulmans était aussi grande, et surtout très vraie. Eux aussi étaient blessés par ces actes de barbarie. Et même, si nous avions annoncé dans nos églises que nous n’allions pas recevoir de voeux pour la fête, les musulmans n’ont pas arrêté d’affluer, juste pour partager notre souffrance. Leur message était : «Nous sommes de cœur avec vous«. Et il était très sincère.

Au lendemain des attentats, le pape François a confirmé sa visite en Egypte. Comment lisez-vous cette décision?
Le pape veut exprimer sa profonde solidarité avec les chrétiens d’Egypte dans leur douleur, quelle que soit la conjoncture sécuritaire. En tant que catholique égyptien, je suis fier de voir que mon Eglise n’acceptera jamais ni l’injustice ni la discrimination. Et qu’elle est proche de son peuple souffrant. Le Saint-Père a même envoyé l’un de ses cardinaux les plus importants pour annoncer la confirmation de la visite et réconforter le pape des coptes orthodoxes Tawadros II.

Dans son homélie de la messe de Pâques, Tawadros a exhorté à la foi et à la patience.
Le pape Tawadros est un saint homme. Il a donné une forte leçon sur le comportement du vrai chrétien devant la douleur. Et avec la visite de condoléances du président Abdel-Fattah Al-Sissi au patriarcat copte orthodoxe, nous avons senti qu’il était le président de tous les Egyptiens, même si nous vivons dans une conjoncture difficile.

Que vient faire le pape François dans cette conjoncture qui n’est pas idéale soit économiquement, soit avec la montée de la violence religieuse, soit même avec la division des Eglises?
Quand les gens ne se rencontrent pas, leurs idées divergent complètement et leur cœur perd sa chaleur. Si je veux les rapprocher, le premier pas que je dois faire est de vouloir rencontrer l’autre, qui est différent. Je dois le voir, le saluer, lui sourire, aller chez lui, l’inviter peut-être à une promenade ou à un souper. Je m’entretiens avec lui, je lui parle de ce qui est commun et de ce qui rapproche, tout cela en vue d’une acceptation mutuelle. Le pape a un message spécial à chacun et j’imagine que ce message serait du type: «Il y a un sujet que j’aimerais aborder avec toi et sur lequel j’aimerais que l’on s’entende«. Et ce sujet dépasse la politique égyptienne, dépasse Al-Azhar (la plus haute autorité de l’islam sunnite ndlr)) et dépasse les orthodoxes. Il concerne le bien-être de l’humanité entière. (cath.ch/ll/mp)

Egypte Mgr Antonios Aziz Mina, évêque copte catholique émérite de Guizèh
26 avril 2017 | 16:10
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
Coptes (64), Egypte (289), voyage du pape (425)
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