Via Francigena Saint-Maurice-Martigny: la vallée du Rhône (6/7)
La sixième étape de la Via Francigena entre St-Maurice et Martigny épouse la vallée du Rhône. Echos d’une balade entre fleuve et montagne.
Il est 10 heures. Il fait chaud. Je marche sur la Via Francigena. En fait, un trottoir le long de la route cantonale. Le trottoir borde la route, qui borde la voie ferrée, qui borde l’autoroute, qui longe le Rhône. Ce n’est pas folichon, le long d’une route passante avec, en sus, le bruit permanent de l’autoroute.
Je me trouve entre la Balmaz et Vernayaz. Avec deux bonnes heures déjà dans les guiboles. «Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt», dit le dicton. Parti de Saint-Maurice après 6 heures, je médite sur l’aspect peu touristique de certaines étapes. C’est pourtant bien la fameuse Via.
Entre le verrou et le coude
Après quelques centaines de mètres, le Café des Copains, à côté d’une station-service. Alors le marcheur ne doit-il pas faire «le plein» comme un automobiliste? Un café au bar, rapide. Quelques habitués, visiblement. Une maman avec sa fille. «45 plus 10?», demande-t-elle. La petite hésite, puis bredouille une réponse… «Et moins deux?»… «Au revoir…», me fait la gamine au moment où je quitte «Les Copains». Je m’enquiers: «Tu fais des devoirs de vacances?» «C’est ma maman qui veut», avoue-t-elle dans un sourire complice.
«Tu restes déjeuner avec nous?», demande Jean Python
Entre St-Maurice et Martigny, les rencontres se donnent ou se créent au gré du chemin. Entre le verrou de Saint-Maurice et le coude d’Octodure, il est indiqué 4h25 de pérégrination.
Messe à Eucharistein
La première visite, dès potron-minet, fut celle aux Martyrs de Saint-Maurice. A Vérolliez, la chapelle qui rappelle l’événement tragique jouxte la Maison de la Famille. Vérolliez vient du latin «In virorum fletu» (Les pleurs des hommes), indique un panneau à l’entrée de la chapelle. C’est le «vrai lieu» du martyre des soldats de la légion thébaine. Africains morts sur les bords du Rhône et dont la mémoire est ici conservée.
Plus loin, Epinassey, annexe de Saint-Maurice. L’endroit est connu pour y abriter la communauté Eucharistein. A 7h10, à la chapelle, la messe a déjà commencé. Le marcheur se joint à la trentaine de communautaires et d’hôtes. De longs silences ponctuent les temps forts de la célébration. «Tu restes déjeuner avec nous?», demande Jean Python, un des responsables. «Non, je préfère marcher tant qu’il ne fait pas trop chaud. J’ai déjà déjeuné, tu imagines…»
Sion inondé
Eviter la chaleur, qui vous assoiffe. Ce matin heureusement, l’air est bon et le vent frais, car la veille, l’orage a frappé – et même fort du côté de Sion, victime d’inondations. La terre n’a pas absorbé toute la pluie. Ombragé, le plaisant Bois Noir fait goûter sa fraîcheur.
Voici Evionnaz, vieux village aux trottoirs pavés. Joli centre, un magasin, un Théâtre du Dé qui annonce sa nouvelle saison. A la sortie du bourg, un groupe de cyclistes, soudain… Une douzaine de retraités souriants. Le vent souffle, ramenant les bruits de l’autoroute voisine. Ici la Via se fait passage, entre le lac et la montagne qu’elle longe dans cette plaine du Rhône qui vit passer tant de monde.
Tant qu’on a prévu de les freiner parfois, comme en témoignent des «Toblerones» bétonnés vers la forêt. On ne passe pas, semblent dire ces reliquats d’un autre temps. La Via longe la montagne qu’elle va bientôt défier.
La Voie des Français
Et voici La Balmaz, annexe d’Evionnaz. Des prés bien délimités avant les premières maisons. Des moutons? Des chèvres ? Non, des alpagas, camélidés andins. «Les Alpagas du Salentin» annonce un panneau. Traversée du village, qui rappelle Napoléon par un restaurant portant le nom du Corse qui fit trembler l’Europe.
Après les Copains, fraîcheur visuelle avec la cascade de Pissevache. Et Samuel et Damien, deux Français de la région lyonnaise. «Vous faites la Via Francigena?» «Non, on ne connaît pas…». Ils sont justes venus se balader en Valais. Pas le temps de leur expliquer qu’ils sont sur «la Voie des Français». Clin d’œil de l’histoire.
Martigny s’annonce. A la sortie de Vernayaz, l’usine hydro-électrique reliée aux eaux du lac d’Emosson. La montagne nous envoie son eau et les hommes en font du courant…
La Bâtiaz
Le pas s’active car j’ai rendez-vous à Martigny. Avec des spécialistes de la Via Francigena, proches de Joseph Roduit, l’ancien Père-Abbé de Saint-Maurice, décédé en 2015. Son cousin, Willy Fellay, toujours actif dans la randonnée en Valais. Mgr Roduit et lui ont fait la Via dans les deux sens, avec Saint-Maurice comme pôle central. De 2001 à 2006 vers Rome, puis de 2007 à 2012 vers Canterbury. Un vrai pionnier de la Via (article à paraître le 30 août).
Vers Martigny, le parcours, entre espaces industriels et entrée de ville, s’agrémente des gorges du Trient, joyau touristique de la région. Pas le temps de grimper le long de ces falaises rocheuses. Et voici déjà le Château de la Bâtiaz, vigilante sentinelle de l’entrée de la vallée, vers le Grand-St-Bernard. La Via Francigena arrive à Martigny, par un vieux pont en bois.
Le temps a passé vite: 4h25, le timing était exact. En l’an 990, l’archevêque de Cantorbéry Sigéric n’a pas connu le bitume et le Café des Copains. Mais il nous a donné l’ossature de la balade. Nous y avons mis la chair.