Vers un financement des Eglises par l’Etat en Valais?
La question des relations Eglises-Etat constitue l’un des chapitres du projet de nouvelle Constitution cantonale valaisanne qui devrait être soumise au peuple dans un an. Dans ce canton assez majoritairement catholique, les enjeux restent importants. Notamment celui du financement des Eglises.
«Globalement nous sommes satisfaits de la proposition 2 bis» a expliqué à cath.ch l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion. «Les discussions entre les Eglises et avec les constituants, menées depuis maintenant plusieurs années, ont été fructueuses. Même si diverses questions restent ouvertes, les bases constitutionnelles sont solidement posées.»
L’Eglise s’est intéressée à trois domaines spécifiques de la nouvelle Constitution: les droits fondamentaux, le préambule et les relations Eglises-Etat. Parmi les droits fondamentaux on peut relever le droit à la vie et la protection de la maternité. «Nous sommes cependant plus inquiets de l’introduction de la notion de ‘fin de vie digne librement choisie’, introduite dans le texte».
Autre élément de satisfaction, l’art. 195 qui dit : ” 1. L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine. 1 bis. Il reconnaît la contribution des Églises et des communautés religieuses au lien social et au bien commun.»
Le Préambule, de portée surtout symbolique, a maintenu l’invocation au Dieu Tout-puissant. Il se base ensuite sur la dignité humaine et la liberté. Ce qui convient aux Eglises.
L’Etat devrait financer les Eglises
La question des rapports Eglises-Etat était un autre point décisif. Trois pistes étaient possibles. Le statu quo, souhaité par certains, ne semblait pas très viable à moyen-long terme. Une séparation Eglise-Etat explicite, comme elle existe à Neuchâtel ou à Genève, n’allait pas dans le sens souhaité par la majorité des Valaisans. «Même chez certains partisans d’une forte autonomie du temporel, l’attachement à l’histoire et à la tradition catholique du Valais a prévalu», note Pierre-Yves Maillard. La solution adoptée se trouve entre les deux. Elle apporte néanmoins des changements assez significatifs.
Elle confirme le statut de droit public pour les Églises catholique et réformée et offre la possibilité aux autres communautés d’obtenir une reconnaissance d’intérêt public.
Les communes ne financeront plus les paroisses
Le changement principal est que «l’État leur assure les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches au service de la population sur la base d’un contrat de prestations.» (art 196, 3)
La dernière version prévoit ainsi que seul l’Etat assure les moyens des Églises, et non plus les communes qui jusqu’à présent couvrent le déficit des paroisses. «Ce financement par les communes rencontre parfois des difficultés et montre quelques signes d’essoufflement», relève le vicaire général. Pour lui, cette disposition est intéressante car elle permet de corriger les inégalités entre communes et paroisses riches et pauvres.
Un financement assuré pour les tâches diocésaines et suisses
Le changement du mode de financement doit en outre permettre d’assurer au diocèse les moyens de son fonctionnement et de la pastorale régionale et diocésaine, qu’il faut aujourd’hui ‘mendier’ à gauche et à droite, notamment par la quête de la Toussaint.
«La Mission intérieure suisse, qui fournit une contribution au diocèse de Sion pour son fonctionnement, remet aussi en question la pérennité de son aide. Dans un canton majoritairement catholique, l’Eglise du Valais doit être en mesure d’assumer elle-même ses charges», explique le vicaire général.
De même, la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) déplore que le diocèse de Sion n’ait pas actuellement la capacité de contribuer aux tâches de l’Eglise suisse à la hauteur qui devrait lui revenir, comme le font pratiquement tous les cantons.
Pas de mainmise de l’Etat
L’idée que l’Eglise puisse dépendre d’un contrat de prestations, telle qu’exprimé dans le projet, a interpellé certaines personnes qui craignent une mainmise de l’autorité civile, qui pourrait ainsi lui dicter ses activités. «Les constituants se montrent rassurants là-dessus puisque l’article 198 prévoit que les Eglises s’organisent en toute indépendance», rappelle Pierre-Yves Maillard.
30 à 35 millions de francs par an
L’ordre de grandeur de la contribution de l’Etat devrait être de 30 à 35 millions de francs par an, ce qui correspond à ce que paient aujourd’hui les communes, «mais les montants resteront à déterminer».
La question du mode de financement a été longuement discutée. On a évoqué l’introduction d’un impôt ecclésiastique, comme il existe dans une majorité de cantons suisses et dans trois communes valaisannes.
Finalement les constituants ont adopté le ‘modèle vaudois’ avec une contribution directe de l’Etat, prise sur son budget de fonctionnement. «C’est probablement le modèle le plus favorable à moyen et long terme pour les Églises, puisqu’il ne dépend pas directement du nombre de membres, ni des éventuelles sorties d’Eglise qui sont peu nombreuses en Valais», relève Pierre-Yves Maillard.
Ce système ne prévoit pas d’inscrire dans la Constitution le principe d’une possible exonération pour les personnes sans confession. Les constituants ont mis en avant le principe de l’universalité de l’impôt. Dans la mesure où le soutien aux Églises fait partie des tâches de l’Etat au même titre que les routes ou les écoles, il n’existe pas de raison d’en exonérer les personnes.
Une indépendance garantie
L’article 198, 2 du projet de Constitution, qui veut que «les Églises reconnues de droit public et les communautés religieuses s’organisent en toute indépendance, dans les limites de l’ordre juridique et dans le strict respect de la paix confessionnelle», satisfait aussi Pierre-Yves Maillard. «Nous sommes ainsi libres de réfléchir à notre organisation future.»
En effet, contrairement à d’autres cantons, comme Fribourg ou le Jura, le projet n’inclut pas la création de corporations ecclésiastiques de droit civil, au plan paroissial ou cantonal.
La contribution de l’Etat pourrait revenir directement au diocèse, charge à lui de l’administrer et de la distribuer aux paroisses. Elle pourrait aussi être attribuée à une nouvelle instance à créer qui pourrait être une fédération de paroisses, là encore à la mode vaudoise. «Mais il faut voir qu’une nouvelle structure représente aussi des coûts de fonctionnement supplémentaires.»
Quelle autonomie pour les paroisses?
«Les visites pastorales nous montrent que les paroisses restent attachées à leurs prérogatives locales», explique Pierre-Yves Maillard. Mais elles sont aussi confrontées au manque de relève et à la complexité grandissante des tâches. Un allègement devrait être bienvenu.
En Valais, les paroisses sont propriétaires des églises et lieux de culte. Le projet de constitution stipule que l’Etat «veille à la préservation du patrimoine religieux selon ses moyens.(art.195,2)». Là encore une future loi devra préciser les choses.
Quel statut pour les agents pastoraux?
Une des autres choses à démêler sera la question de l’engagement des agents pastoraux. Actuellement il y a une double dépendance. L’évêque donne la mission pastorale canonique, et la paroisse est l’employeur qui salarie la personne. «Les laïcs ont un contrat de travail qui les lie à la paroisse, tandis que les prêtres sont au bénéfice de la nomination par l’évêque », précise Pierre-Yves Maillard. «Mais pour l’heure, nous n’avons pas encore débattu de la question.»
Les prochaines étapes
Le projet de Constitution 2 bis sera d’abord soumis au vote final de l’assemblée constituante le 25 avril prochain. La votation populaire devrait être agendée au printemps 2024. «L’Eglise n’a pas encore arrêté sa position, mais elle ne s’engagera vraisemblablement pas dans la campagne», avertit Pierre-Yves Maillard. «Il s’agit en fin de compte d’une décision politique qui appartient aux Valaisannes et aux Valaisans en citoyens.» (cath.ch/mp)
Etat du Valais
Projet de Constitution après la deuxième lecture bis (février 2023)
ÉGLISES ET COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES
Art. 195 Églises et communautés religieuses
1 L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine.
1 bis Il reconnaît la contribution des Églises et des communautés religieuses au lien social et au bien commun.
2 Il veille à la préservation du patrimoine religieux selon ses moyens.
Art. 196 Églises reconnues de droit public
1 L’Église catholique romaine et l’Église réformée-évangélique sont reconnues comme personnes juridiques de droit public.
2 L’État leur assure les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches au service de la population sur la base d’un contrat de prestations.
3 L’État contrôle l’exactitude et la transparence des budgets, des comptes ainsi que la gestion du patrimoine des Églises et des paroisses bénéficiant de l’aide publique.
4 La loi fixe les prestations de l’État.
Art. 197 Communautés religieuses
1 Les communautés religieuses sont soumises au droit privé.
2 A leur demande, l’État peut leur conférer le statut d’intérêt public
3 Leur reconnaissance est liée notamment à leur importance, à la durée de leur implantation et à un fonctionnement respectueux de l’ordre juridique et des règles de la transparence.
Art. 198 Organisation et autonomie
1 Chaque Église de droit public ou chaque communauté religieuse d’intérêt public fait l’objet d’une loi.
2 Les Églises reconnues de droit public et les communautés religieuses s’organisent en toute indépendance, dans les limites de l’ordre juridique et dans le strict respect de la paix confessionnelle. MP
Constituante et groupe de travail des Eglises
Les Églises actuellement reconnues de droit public en Valais, soit l’Église catholique romaine (diocèse de Sion et abbaye de Saint-Maurice) et l’Église réformée évangélique du Valais, ont tenu à apporter leur contribution à la réflexion concernant la future Constitution.
Un groupe de réflexion composé de représentants des diverses instances et de quelques conseillers externes s’est penché sur le projet de Constitution. Ce groupe a fait part de ses remarques dans deux brochures et un courrier à l’attention des membres de l’assemblée constituante et du public. MP