Soeur Véronique Margron, présidente de la CORREF  | © Pierre Pistoletti
Suisse

Véronique Margron: «La vocation, un bonheur possible à travers le chaos»

Fribourg, 26 mars 2015 (Apic) La vocation humaine n’est pas d’abord un choix de vie. Le regard de Véronique Margron va plus loin: selon la professeure d’éthique à la Faculté de théologie d’Angers, la question de la vocation s’identifie à celle de la «vie bonne», une vie qui assume sa part d’ombre et ne désespère pas de trouver du sens au milieu du chaos.

Véronique Margron, qu’est-ce que la vocation?

C’est essayer de vivre le plus pleinement possible son humanité. A mes yeux la vocation, avant d’être un choix, consiste d’abord dans une conduite. Avant d’aller à tel ou tel endroit, dans tel type de choix de vie, c’est une manière de se tenir dans l’existence – et à fortiori dans l’existence chrétienne.

Et quelle est cette manière de se tenir dans l’existence?

C’est une implication dans le monde, sans en être spectateur, le regarder passer ou le juger de haut. On s’y engage comme homme ou comme femme, avant tout, en cherchant à être solidaire de celles et ceux qui nous entourent. Pour moi, la vie chrétienne se situe là et nulle part ailleurs. La condition chrétienne n’est pas une condition par-dessus la condition humaine, elle n’est pas une sorte d’état supérieur. Elle se situe dans la vérité de la vie humaine si, en fin de compte, la vie humaine c’est essayer de se donner plutôt que de se garder, de s’ouvrir plutôt que de se fermer.

Cet antagonisme va donc déterminer toute vocation?

Oui, sans doute. La vocation est une sorte de mouvement de donation qui n’est pas un sacrifice mais, en définitive, une joie. Car c’est de joie dont il s’agit. La vocation c’est croire qu’à travers tout le fatras que je porte, il est possible d’être heureux, non pas pleinement heureux – je ne sais pas ce que ça veut dire –, mais goûter à suffisamment de bonheur pour pouvoir continuer à vivre. La vie réclame toujours du courage dans les heures sombres et il faut que ce courage soit porté par un certain «goût».

Comment est-ce possible de trouver de la joie dans ces «heures sombres»?

Si on savait, on se porterait mieux! Je ne sais pas si on peut trouver du goût dans les heures sombres sans les autres. Pour moi, c’est une vraie question. S’il n’y a pas de l’autrui qui m’estime, qui me respecte, qui m’aime et qui croit en moi, je crois que c’est impossible, y compris du sein de la foi. Je crains que la prière ne soit pas suffisante s’il n’y a pas des visages qui nous tirent, qui nous disent qu’il est possible de sortir de nos enfers au moment où je n’y crois plus. Ils espèrent en quelque sorte pour moi.

Dans le déploiement de nos vocations, ces épreuves sont-elles providentielles?

Ah non, vraiment, non! Les heures sombres sont d’abord des heures dangereuses et, dans le danger, on peut mourir, non seulement physiquement, mais aussi psychiquement, spirituellement ou socialement. Je me garderais donc bien de dire que c’est une grâce ou quelque chose de providentiel. Parfois, nous pouvons le dire longtemps après et parce qu’on en est sorti, mais en tant que telles, les épreuves ne peuvent en aucun cas être considérées comme bonnes ou essentielles.

Reste que la souffrance fait partie de la vie. Le problème, si je puis dire, ce n’est pas de lui trouver un sens, mais de chercher un sens à la vie dans l’épreuve car c’est toujours la vie qui a du sens, jamais la souffrance ou le malheur. Et l’humain n’a pas besoin de se croire fort comme un roc, ni un surhomme ou une surfemme, pour pouvoir traverser la souffrance.

La souffrance et l’échec n’épuiseraient donc pas totalement le sens de la vie…

Non, elles ne l’épuisent pas totalement et on peut s’inquiéter d’une société qui met autant au pinacle la réussite et la performance. Ce n’est tout de même pas cela la réalité humaine. Nous souhaitons tous réussir, être performants, en bonne santé. En même temps, toute vie expérimente qu’elle est traversée par bien d’autres choses. Cette injonction permanente de la vie réussie me semble en fin de compte très inhumaine. Je pense qu’il faudrait pouvoir réhabiliter non pas l’échec comme tel, mais le fait que la vie épouse plusieurs formes. Tant mieux si elle épouse celle de la réussite, de l’utilité et de la performance un certain moment, mais la joie dont nous parle l’Evangile implique le tout de l’existence, y compris ses limites. Et c’est avec ce «tout» qu’il faut avancer.

Dès lors, qu’est-ce qu’une vie bonne?

On peut dire de notre vie qu’elle est bonne lorsque, grosso modo, elle se tient orientée au milieu du chaos qui nous est propre. Elle se tient avec des événements que je n’ai pas choisis et avec lesquels il a fallu faire quelque chose. Elle est bonne dans la mesure où j’ai tenté, bon an, mal an, de l’orienter, de ne pas la laisser balloter à tout vent et à tout flot.

Dans cette perspective, la vie chrétienne annonce qu’il n’y a pas de fatalité dans la vie humaine. Il y a des drames, c’est indéniable, mais il n’y a pas de fatalité. Nous ne sommes pas des jouets dans les mains de je ne sais quel démiurge. Les malheurs peuvent être tels qu’il arrive que nous ayons le sentiment d’une fatalité. J’ai pour grand ami le livre de Job. Tant d’histoires ressemblent de près ou de loin à ce livre. Il nous redit qu’il est possible de nous arracher à nos tombeaux alors même que nous croyons qu’ils sont là pour toujours.

S’il y a des échecs que nous subissons, il y en a d’autres dont nous sommes responsables. Ces actes sont-ils irrévocables? Nous empêchent-ils de recommencer une nouvelle histoire?

Oui, nos actes sont irrévocables. Mais on peut avancer. On porte notre histoire sur notre dos, un peu comme des tortues. Je ne crois pas que l’on puisse si facilement «tourner la page» ou «passer à un autre chapitre». Je pense plutôt que l’on peut réécrire sa vie et c’est cela recommencer.

Ce qui a été vécu est irrévocable, l’enjeu c’est de pouvoir y consentir – et Dieu sait si c’est parfois difficile. Y consentir, c’est croire que la vie peut toujours se «ré-ouvrir». Il y a toujours du possible dans nos vies, quelle que soit son heure, mais le possible ce n’est pas tout et n’importe quoi.

Je suis frappée par les premières paroles que Dieu adresse à l’homme dans la Genèse. Il lui dit: «Tu pourras manger à tous les arbres, mais pas à celui qui est au milieu du jardin». L’humain a quasi tout à sa disposition. Il a tout, moins une chose. On peut alors se dire que puisque j’ai presque tout, je dois avoir suffisamment pour pouvoir faire ma vie; ou on peut se dire, au contraire, que parce qu’une chose me manque, c’est comme si je n’avais rien. Je pense qu’il y a quelque chose de cela dans le combat qu’il nous faut mener: tout n’est pas possible – je ne peux pas devenir noir, rouge ou jaune –, mais il y a du possible et ce possible là, il n’est pas tout cuit devant moi, il faut que je l’ouvre. «Il est toujours un chemin non tracé», selon le mot de Jean de la Croix. A l’homme de le tracer.


Encadré: Véronique Margron

Véronique Margron est une religieuse dominicaine, professeure de théologie morale à la Faculté de théologie de l’Université catholique de l’Ouest à Angers et prieure provinciale de France des Dominicaines de la Présentation. Elle anime des séminaires et des sessions dans toute la France et au-delà. Elle est également connue pour ses chroniques régulières dans le quotidien La Croix, l’hebdomadaire La Vie ou le mensuel Panorama.


Encadré: La 8e journée d’études bilingue CCRFE – Faculté de Théologie

Véronique Margron intervenait au centre Sainte-Ursule de Fribourg le 24 mars dernier dans le cadre de la journée d’étude «Accompagner la vie pour accompagner les vocations» organisée conjointement par la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg et le Centre Catholique Romand de Formation en Eglise (CCRFE). Environ 150 personnes ont suivi cette journée. Dans le cadre de l’année de la vie consacrée, les différents intervenants se sont penchés sur la manière de «promouvoir et d’accompagner la vie comme vocation, afin de promouvoir et accompagner toutes les vocations» (religieuses, ordonnées ou laïques). (apic/pp)

Soeur Véronique Margron, présidente de la CORREF | © Pierre Pistoletti
26 mars 2015 | 14:31
par Pierre Pistoletti
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