Vatican II avec l’abbé Joseph Ratzinger
Le jeune prêtre Ratzinger a participé, à Rome, au concile Vatican II (1962-1965) aux côtés du cardinal Frings. Il va même en donner certaines inflexions, allant jusqu’à rédiger des articles de Constitutions et réformer le Saint-Office dont il assumera plus tard la responsabilité. Pour le futur pape, c’est dans la continuité de l’Eglise que doit s’inscrire le dernier concile.
Grégory Roth
En janvier 1959, lorsque le pape Jean XXIII annonce la tenue du concile Vatican II, il nomme une Commission centrale préparatoire, ou présidium, de dix cardinaux. Les prélats sélectionnés ont pour tâche de préparer et d’organiser le travail d’aggiornamento que les quelque 2’500 évêques du monde entier devront ratifier.
Parmi les dix cardinaux figure l’archevêque de Cologne, Mgr Joseph Frings. Un Allemand que ses précédentes prises de position contre le régime nazi, ainsi que sa fibre sociale, ont rendu populaire. Il avait notamment cofondé l’œuvre de bienfaisance Misereor en 1958 et inspirera plus tard la création d’Adveniat, autre œuvre d’entraide.
«Joseph Ratzinger donne une conférence sur la ‘théologie conciliaire’ et attire l’attention du cardinal de Cologne»
Le nom de Frings provient du verbe fringsen, qui signifie: voler en cas de nécessité. Le prélat évoquera cette étymologie lors d’un sermon, à la Saint-Sylvestre 1946 – dans un contexte d’après-guerre. Pour lui, le vol de charbon, en cas de nécessité, est un droit pour la population, afin de pouvoir se réchauffer.
La rencontre
Mgr Frings entre en contact en 1959 avec l’abbé Ratzinger. Ce dernier, un des plus jeunes théologiens allemands à l’époque, est nommé professeur de théologie à l’Université de Bonn, à quelques dizaines de kilomètres de l’archevêché de Cologne. Alors que Ratzinger donne une conférence sur la ‘théologie conciliaire’, il attire l’attention du cardinal.
Une première conversation donne naissance à une longue collaboration entre les deux hommes, rapporte Joseph Ratzinger des années plus tard dans une autobiographie. Le jeune professeur devient le conseiller théologique du cardinal, bien avant le début du Concile.
L’apport de Joseph Ratzinger
Dans un premier temps, le trentenaire a accès aux projets de textes soumis ultérieurement aux Pères conciliaires. Le cardinal, en tant que membre de la Commission préparatoire, lui adresse régulièrement des textes pour commentaires et suggestions. Et comme Frings est pratiquement aveugle, il a besoin d’un auxiliaire. Il songe assez tôt à emmener son nouveau protégé avec lui à Rome, pour l’assemblée conciliaire.
Certains vont ensuite reconnaître le style de Ratzinger dans le texte du discours assez critique que le cardinal Frings prononce à Gênes, en novembre 1961. Le cardinal insiste sur le fait que le monde a passablement changé depuis le concile Vatican I, en 1870. En conséquence, le concile à venir doit aussi débattre des sujets brûlant de l’actualité. Pour le futur Benoît XVI, il faut renouveler la prédication de la doctrine chrétienne.
«Le jeune Ratzinger fait sensation en rédigeant un discours prononcé par le cardinal Frings pour dénoncer le fonctionnement du Saint-Office»
En écho au motu proprio de Jean XXIII en 1959, dans lequel le «bon pape» souhaite que l’Eglise redise les choses anciennes dans un langage nouveau, adapté au monde contemporain.
Lors de la séance d’ouverture de Vatican II, le cardinal Frings prononce un discours en latin. Appuyant la demande des cardinaux de Lille et Utrecht, il réclame un délai pour que les pères conciliaires puissent faire connaissance entre eux, avant de prendre des décisions sur la composition des commissions. Ratzinger se rappelle que cette motion a fait grand bruit, car elle empêche alors que le concile se déroule d’après l’ordre du jour prévu par la Curie. Mais le futur pape a toujours nié son implication dans cette intervention.
Frings critique le Saint-Office
Là où le jeune prêtre fait sensation – et le place dans le camp des réformateurs de l’époque – c’est sa rédaction d’un discours prononcé par le cardinal de Cologne afin de dénoncer le fonctionnement trop conservateur du Saint-Office et de son secrétaire, le cardinal Alfredo Ottaviani, qui préside par ailleurs la Commission théologique du concile. Une prise de parole qui va aboutir à la transformation radicale de ce qui va devenir la Congrégation pour la doctrine de la foi.
L’adaptation au monde contemporain, c’est le style que va adopter le Concile. Contrairement à tous les précédents, Vatican II ne comporte pas de nouveaux dogmes ou de condamnation de doctrines (anathèmes). Ce qui va toutefois rendre son interprétation plus large, balancée entre une herméneutique de la discontinuité ou de la rupture par ceux qui le reçoivent.
La réforme de la liturgie
Rupture dommageable pour certains, notamment par la réforme liturgique: la grande nouveauté initiée par le Concile. Pour beaucoup de catholiques, l’Eglise se résume à la messe du dimanche: changer la liturgie revient donc à changer la religion.
«Si l’abbé Ratzinger milite pour le langage vernaculaire pendant le Concile, il ne souhaite pas pour autant voir disparaître le latin»
Si Joseph Ratzinger milite pour le langage vernaculaire pendant le Concile, il ne souhaite pas pour autant voir disparaître le latin ainsi que l’ancien missel, dans lequel certaines richesses musicales n’ont jamais été retrouvées dans le nouveau. Il se distanciera aussi de certaines options prises lors de mise en œuvre de la réforme liturgique. Et rappellera à plusieurs reprises l’importance du latin, notamment pour marquer des célébrations solennelles. Des prises de positions de sa part qui seront perçues comme un rétropédalage par ses opposants.
Rapport au monde et œcuménisme
Autre chantier du Concile: le rapport de l’Eglise au monde, qui va modifier la position des catholiques par rapport à leurs contemporains. Vouloir réconcilier l’Eglise avec le monde, ce n’est pas pour autant gommer tout ce qui dans le christianisme pourrait déranger et fâcher. Le christianisme reste un scandale pour l’homme moderne et le Concile n’a pas supprimé le scandale de la croix, déclare en substance le docteur Ratzinger, en 1966, alors professeur à l’Université de Tübingen.
Et l’ouverture à l’œcuménisme, avec la célèbre accolade entre Paul VI et Athénagoras Ier en 1964 à Jérusalem, Benoît XVI l’accueille positivement, bien qu’il mette en garde contre le manque de patience en termes de pratiques œcuméniques, qui risque de mettre à mal l’identité de l’Eglise catholique.
Entre rupture et discontinuité
«Le Concile n’est toujours pas reçu», déclarera Benoît XVI à la Curie, en décembre 2005, soit 40 ans après la fin de l’événement. Le nouveau pape va faire de l’interprétation du Concile un des piliers de son pontificat. Il n’a de cesse de répéter qu’il s’inscrit dans une herméneutique de la continuité. Non dans un esprit de rupture – que dénonce le camp conservateur –, non dans un esprit de réforme inachevée – que souhaite voir poursuivre le camp progressiste.
Cette herméneutique de la continuité de Benoît XVI sera incomprise à bien des égards, notamment par le mécontentement des deux camps précités. Pour les uns, Vatican II est allé trop loin. Pour d’autres, le Concile, à peine terminé, était déjà en retard sur son temps. (cath.ch/gr)
Benoît XVI s'est éteint le 31 décembre 2022 à l'âge de 95 ans. Celui qui fut plus longtemps pape émérite que régnant a été marqué par son milieu d’origine, ancré dans la tradition catholique et hostile aux idéologies politiques extrêmes. Joseph Ratzinger a ainsi forgé sa carrière au sein de l'Eglise comme une "armure" contre les influences néfastes du monde extérieur.