Le port du voile à l'école publique  fait débat | Photo d'illustration © Michael Coghlan/Flickr/CC BY-SA 2.0
Suisse

Valais: Une initiative anti-voile «à contre-courant du vivre ensemble»

L’initiative «anti-voile” de l’UDC valaisanne va «à contre-courant du vivre-ensemble», affirme Abdullah Mala. Le président de l’espace de rencontre musulman «De la lumière à l’excellence» (DLAE), à Martigny, confie à cath.ch son inquiétude après le dépôt, le 22 février 2016, par l’UDC valaisanne, d’une initiative populaire intitulée «Pour des élèves tête nue dans les écoles publiques».

Abdullah Mala s’inquiète, en règle générale, de la stigmatisation de la communauté musulmane causée par «l’acharnement» de l’Union démocratique du centre (UDC).

Le parti agrarien valaisan a déposé 4’385 signatures validées par les communes à l’appui de son initiative demandant l’interdiction de toute forme de couvre-chef dans les établissements scolaires du canton. Le Conseil d’Etat et le Grand Conseil disposent dès lors d’un délai de trois ans pour élaborer une loi en ce sens, à défaut de quoi, le peuple devra trancher.

Même si le texte ne vise pas uniquement le voile islamique, l’UDC ne cache cependant pas qu’il s’agit de l’enjeu de sa démarche. Le parti conservateur souligne ainsi sur son site internet que l’objectif de l’initiative est de «marquer une limite [au port du voile] alors que contrairement à la France et à la Belgique par exemple, nous n’avons pas encore perdu le contrôle de la situation dans notre pays».

Créer des problèmes

Abdullah Mala souligne de son côté que le port du voile est un phénomène très marginal en Valais, qui n’a jamais causé de tensions. L’initiative «va juste créer des problèmes qui n’existaient pas auparavant», martèle-t-il. Il met en garde contre la frustration des membres de sa communauté face à la ligne du parti populiste qui cherche à «créer des amalgames».

Une véritable musulmane ne portera pas le voile pour les hommes mais pour Dieu

«Nous souffrons du fait que ces personnes tentent de faire croire que nous sommes Daech [acronyme arabe du groupe djihadiste Etat islamique (EI), ndlr.], alors que nous nous désolidarisons totalement de ce genre d’idéologies», tonne le responsable musulman.

Le voile, religieux ou politique?

L’UDC soutient, sur son site internet, que «le voile islamique est d’abord et principalement un signe non pas religieux, mais politique. Imposé aux jeunes musulmanes par un entourage évidemment masculin, il marque la soumission de la femme (…)». Des affirmations fortement rejetées par le président de DLAE, qui dément que le voile soit un signe politique. Il assure au contraire que toutes les musulmanes du Valais qui portent le voile le font non contraintes et par pure conviction religieuse.

Il s’insurge également contre les interprétations péremptoires faites par l’UDC de la religion musulmane, soulignant n’avoir jamais vu aucun dirigeant du parti aux journées portes ouvertes organisées par son association. «Ils se permettent d’énoncer des jugements absolus mais ne cherchent pas du tout le dialogue. Ils ne sont pas allé interroger les femmes de la communauté pour savoir pourquoi elles portaient le voile», déplore le Valaisan. Il précise que, selon le Coran, l’homme comme la femme ne sont soumis qu’à Dieu et qu’une véritable musulmane ne portera pas le voile pour les hommes mais pour Dieu.

Une autre image de l’islam

L’UDC parle d’une «progression, en terre ‘infidèle’, d’une religion politique avec en son cœur des principes archaïques (…)». Assurant visiter régulièrement de nombreuses mosquées de Suisse, Abdullah Mala dément un développement du fondamentalisme. Il affirme en tout cas n’avoir jamais vu de femmes en burqa dans les lieux de culte du pays. «Les seules que l’on peut voir dans ces habits sont des touristes saoudiennes à Genève. Mais cela ne dérange personne, parce qu’elles sont multimillionnaires», ajoute le responsable musulman.

Relevant qu’une conférence de presse des opposants au texte de l’UDC est prévue à Sion le 24 février, il souligne qu’avec son association, il s’efforcera d’unir les citoyens qui luttent pour donner une autre image de l’islam que celle véhiculée par le parti conservateur.


Une initiative vouée à l’échec?

La prochaine étape de vérification des signatures déposées par l’UDC pourrait bien n’être que le premier obstacle qui attend le texte de l’UDC valaisanne, note le quotidien romand 24 Heures. Le thème a déjà fait débat dans d’autres cantons, et le Tribunal fédéral (TF) a déjà débouté deux fois des partisans de l’interdiction du voile en milieu scolaire.

L’UDC valaisanne promet de retirer son texte si le gouvernement cantonal propose un projet satisfaisant. «Si d’aventure nous allons devant le peuple, et que celui-ci valide le texte, j’espère bien que sa décision aura plus de poids auprès du TF et qu’il reverra son jugement», affirme le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor.

Respecter les fondements de la démocratie

L’ancien juge fédéral Claude Rouiller tempère cependant cet optimisme. «Si un citoyen critique une loi devant le Tribunal fédéral au motif qu’elle serait contraire aux libertés du peuple et des citoyens, les juges vérifieront si cette critique est fondée. Si tel est le cas, il aura le devoir d’annuler cette norme». Partant de ce principe, l’ancien magistrat donne peu de chances au texte.

L’inscription d’une telle mesure dans une loi n’y changera rien: en cas de recours, le texte pourra être jugé anticonstitutionnel, qu’il ait été approuvé par une commune, un gouvernement ou le peuple. «Le parlement n’a pas plus que l’administration le droit de violer les droits fondamentaux. Le peuple lui-même doit respecter les fondements de notre ordre démocratique, poursuit le juriste. Le Tribunal fédéral a jugé que, s’il n’est pas établi que le port du foulard islamique ou celui de la kippa judaïque menace l’ordre public, son interdiction viole la liberté de religion. Cette motivation, débattue en public, est sans équivoque. Il serait donc irresponsable d’engager aujourd’hui le peuple du Valais dans une bataille inutile puisque vouée à une défaite pour le moins prévisible», déclare Claude Rouiller. (cath.ch-apic/24h/rz)

Le port du voile à l'école publique fait débat | Photo d'illustration © Michael Coghlan/Flickr/CC BY-SA 2.0
23 février 2016 | 17:01
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
Islam (393), UDC (73), Valais (195), Voile (17)
Partagez!