Uri Avnery: L'Etat hébreu est en train de disparaître, remplacé par l'Etat juif

Tel Aviv, 14.08.2015 (cath.ch-apic) L’Etat hébreu est en train de disparaître, l’Etat juif prend le relais, avec l’émergence d’un judaïsme «fanatique, violent et désormais meurtrier», déplore l’écrivain et militant pacifiste israélien Uri Avnery, dans une contribution au quotidien israélien «Haaretz».

«Nous assistons à une mutation du judaïsme, un nouveau judaïsme… Et ce n’est pas le judaïsme qui a surgi pendant les 2000 années d’exil – le judaïsme de Rabbi Yohanna Ben Zakkaï, le judaïsme d’une communauté dispersée qui détestait la violence. Il est à même d’enterrer l’Etat, tout comme il a enterré le Second Temple», estime cette figure historique de la gauche radicale israélienne.

Au début était l’Israël laïc et national

Uri Avnery relève qu’après la Seconde guerre mondiale, il a participé à de nombreuses manifestations contre la présence britannique en Palestine, réclamant la liberté pour les juifs d’immigrer en Palestine et l’établissement d’un «Etat hébreu». «Je ne peux pas me souvenir d’une seule manifestation où les gens lançaient le slogan: «Un Etat juif»!

Car, écrit-il, le terme «juif» n’apparaissait nulle part dans les journaux avant la création de l’Etat d’Israël en 1948. C’est dès cette époque qu’on parla d”Etat juif’. «Avant, le terme ‘juif’  appliqué aux choses créées dans ce pays était pratiquement inexistant (…) Nous étions une vieille – nouvelle nation ‘hébraïque’ qui avait sauté par-dessus plus de 2000 ans d’histoire de la diaspora juive».

Le sionisme avait remplacé la religion

A l’époque, la religion juive en Israël était à son point le plus bas dans le pays, avance-t-il. «Le sentiment général était que le judaïsme comme religion dans ce pays était en train de mourir pour de bon quand les vieillards et les femmes qui tenaient encore à elle seraient décédés. Le sionisme, pensions-nous, avait remplacé la religion». David Ben Gourion, le tout premier Premier ministre d’Israël, pensait de même.

«Sinon, il ne lui serait jamais venu à l’idée d’exempter les étudiants des yeshivahs (les centres d’étude de la Torah et du Talmud, ndlr) de faire leur service militaire, qu’il considérait comme un devoir sacré. L’exemption de quelques centaines d’étudiants était, pour lui, un bon moyen de résoudre ses problèmes de coalition (avec le Front religieux uni, une alliance des quatre plus grands partis religieux israéliens de l’époque, ndlr). Pour la même raison, il a permis la mise en place du système des écoles religieuses de l’Etat (…) Il était convaincu que la religion allait mourir et qu’elle ne constituait pas une menace».

Les communautés religieuses et ultra-orthodoxes prennent l’ascendant

Mais c’est vers la fin des années 1950 que la roue commença à tourner. Le taux de fécondité élevé dans les communautés religieuses et ultra-orthodoxes a progressivement changé la situation démographique en Israël. Et au lieu de le voir s’amoindrir, comme Ben Gourion l’avait espéré, le système des écoles religieuses et ultra-orthodoxes a progressé à pas de géant. «Le tournant dramatique, cependant, a été la Guerre des Six Jours de 1967».

La victoire éclatante de l’armée israélienne laïque s’est transformée en une célébration religieuse: «’Le Mur occidental est entre nos mains’ est devenu le cri de guerre des fanatiques religieux».

«Le public religieux juif, qui jusque-là avait été humble et était rabaissé, est soudainement devenu agressif et exigeant. Le Parti National Religieux, qui jusque-là avait été le parti le plus modéré au sein du gouvernement, a changé de position et est passé du côté du nationalisme radical». La jeunesse de ce parti, produit du système d’écoles religieuses de l’Etat, et le mouvement de jeunesse sioniste religieux Bnei Akiva, «ont donné naissance aux colonies extrémistes».

Les jeunes radicalisés, une menace extrême et immédiate

«Récemment, poursuit-il, nous avons assisté à un phénomène nouveau. Dans le passé, un gouffre béant de haine séparait la jeunesse religieuse nationale de ses homologues ultra-orthodoxes. Maintenant, ils ont commencé à se rapprocher. Les nationaux-religieux sont devenus de plus en plus religieusement ultra-orthodoxes, tandis que les ultra-orthodoxes sont de plus en plus des nationalistes fanatiques».

Et Uri Avnery de pointer les récentes atrocités perpétrées par les «jeunes des collines» issus des milieux nationaux-religieux et des étudiants de yeshivahs ultra-orthodoxes. Les jeunes des colonies de peuplement, de concert avec des gens perturbés qui sont retournés à la religion, sont imprégnés d’incomparablement plus de zèle que les jeunes de la «bulle de Tel Aviv» et le reste du public laïc, déplore le vieux militant de la coexistence israélo-palestinienne.

A ses yeux, les colons ne sont ni de «mauvaises herbes sauvages» ni des jeunes marginaux. «Ils constituent une menace extrême et immédiate pour tout ce qui a été construit dans ce pays par les générations précédentes. L’Etat hébreu est en train de disparaître pour voir apparaître l’Etat juif à sa place. L’Etat peut encore être sauvé. Mais pour ce faire, le vrai Israël – l’Israël laïc, national – doit se réveiller. Nous devons avoir le courage de changer avant la catastrophe!». (apic/haar/com/be)


Encadré

Uri Avnery, de son nom de naissance Helmut Ostermann, est un écrivain et journaliste israélien né le 10 septembre 1923 dans la ville allemande de Beckum, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Surtout connu pour être un défenseur des droits des palestiniens et un pacifiste convaincu, ce militant d’extrême gauche avait rejoint dans sa jeunesse, en 1938, l’organisation terroriste juive Irgoun Tzvaï Leoumi (Organisation militaire nationale) qui combattait les troupes du Mandat britannique en Palestine. Il la quitta trois ans plus tard en raison de son attitude anti-arabe et antisociale, et ses méthodes terroristes. Lors de la guerre israélo-arabe, il combattit dans une unité de commando sur le front égyptien et fut grièvement blessé. Dès les années 50, il se fit l’avocat de la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël et soutint les luttes pour l’indépendance des pays arabes encore sous domination coloniale. Il fut député à la Knesset, le parlement israélien.

Uri Avnery avec Yasser Arafat en 1982 durant le siège de Beyrouth
14 août 2015 | 09:03
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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