Une rencontre Al-Tayyeb-Al-Sistani inspirée par François?
Pour le Père Christopher Clohessy, docteur à l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI), le pape François a pu, avec son voyage en Irak et sa rencontre avec le dirigeant chiite Ali Al-Sistani, en mars 2021, faire bouger des lignes. Un an après la signature de l’encyclique Fratelli tutti, le Père Clohessy décrypte les effets du texte sur les relations entre l’Église catholique et le monde chiite.
Fratelli tutti a-t-elle eu des répercussions dans les relations entre l’Église catholique et l’islam chiite?
Une encyclique est, en général, un document assez dense qui doit être décortiqué avec soin et précision théologique. Les relations entre l’Église catholique et l’islam chiite se poursuivent depuis des années, et je ne suis pas convaincu que ce document ait apporté beaucoup de choses. Il contient des concepts bien connus dans le monde non islamique; mais ils apparaissent comme étrangers dans un contexte islamique où il existe une conception parfois très différente des droits, des devoirs, de la nature de la fraternité et des questions de genre.
Je sais qu’un groupe chiite a étudié attentivement le Document sur la fraternité humaine – dans une perspective théologique particulière. Mais Fratelli tutti me semble être un texte qui n’a pas eu d’impact significatif. En général, les encycliques, de par leur nature même, mettent des années à le faire.
La rencontre entre le pape François et l’ayatollah Al-Sistani, en mars dernier, porte-t-elle déjà des fruits?
Je pourrais dire qu’il en est de même pour les fruits de la visite papale en Irak, notamment en raison de la complexité des problèmes socio-économiques et religieux qui assaillent le pays. Il ne fait aucun doute que la visite de François marque un point culminant dans son pontificat; ce fut un «sans faute», dans son «timing», ses mots et ses gestes. Au-delà de tous les mots qui ont été prononcés, ou des déclarations qui ont été faites, la visite en Irak en général et dans les villes de Najaf et d’Ur en particulier sont des gestes extrêmement symboliques à bien des égards.
«Toute rencontre entre les hauts dirigeants de ces deux familles islamiques, si elle est authentique et inspirée par de bonnes intentions, serait déterminante»
Outre ses paroles de consolation et d’espoir pour la petite minorité chrétienne d’Irak – une communauté qui, avec l’ensemble du peuple irakien, a souffert de manière indicible pendant tant d’années -, sa conversation avec Al-Sistani était un défi subtil mais clair pour le gouvernement irakien.
Les responsables irakiens doivent entamer une conversation qui pourrait ne pas être confortable, sur la question de savoir s’ils seraient prêts à adhérer aux principes énoncés dans le Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune. Un document qui, après tout, est une déclaration conjointe des chrétiens et des musulmans.
Il ne s’agit pas seulement de se dire tolérant, mais se pose désormais la question de l’acceptation de l’autre, une acceptation dont ce voyage papal était un geste significatif. A été mise en avant la nécessité de la liberté de culte et de l’égalité des droits et du partage des ressources, sans oublier les besoins d’autres groupes minoritaires comme les Kurdes et les Yézidis.
On parle d’une possible rencontre entre le sunnite Ahmed Al-Tayyeb de l’Université d’Al-Azhar (Le Caire) et le grand leader chiite Ali Al-Sistani. Quelle importance aurait-elle?
Si Ahmed Al-Tayyeb, qui a signé la déclaration, rencontre effectivement Al-Sistani, il s’agirait d’une autre rencontre de grande importance. Je suis prêt à aller jusqu’à dire qu’une telle rencontre serait – même en partie – inspirée par François.
Les chiites et les sunnites ne sont pas deux communautés monolithiques; chacune est divisée en son sein par la langue, la classe sociale, la géographie et l’ethnicité. Il y a au sein de chacune des désaccords majeurs sur le droit, la théologie, la politique et des divisions entre les pratiquants, les non-pratiquants et les sécularisés. Il existe et a toujours existé une sous-structure sectaire qui imprègne toute la politique du Moyen-Orient.
Mais alors que des périodes de violence entre chiites et sunnites ont été nombreuses – parfois si graves que certaines communautés minoritaires chiites parlent d’un «génocide chiite»-, il y a également eu de longues périodes d’harmonie. Les chercheurs contemporains décrivent des moments, non seulement d’harmonie, mais aussi de coopération active, de sorte que nous avons une image de l’interaction entre chiites et sunnites qui oscille entre l’inimitié et la coopération, l’harmonie et la collision.
Toute rencontre entre les hauts dirigeants de ces deux familles islamiques, si elle est authentique et inspirée par de bonnes intentions, serait déterminante. (cath.ch/imedia/hl/rz)