Une mort sur mesure
Les funérailles laïques ont la cote, alors même que le nombre de services funèbres réalisés par les ministres de l’Eglise réformée vaudoise baisse sensiblement. Regards croisés entre une célébrante laïque et un pasteur de l’Eglise vaudoise.
Chaque année, près de 5’000 personnes décèdent dans le canton de Vaud. L’an passé, le service funèbre de 2’000 d’entre elles a été célébré par un ministre de l’Eglise réformée vaudoise (EERV). Le nombre de services funèbres religieux est pourtant en baisse. En 2010, l’Eglise vaudoise en comptabilisait pas moins de 2’724. Aujourd’hui, de nouveaux rites émergent autour de la mort. Et les cérémonies laïques sont en plein essor. Elles concernent un décès sur deux, selon le directeur des Pompes funèbres générales, Edmont Pittet.
Celui-ci voit une différence de forme: la durée des cérémonies laïques est multipliée par deux. Mais c’est sur le fond qu’il s’interroge. Avec 40 ans de métier, il a tout vu, jusqu’à des cérémonies durant lesquelles ne règne parfois que le silence ou la musique. «Face au besoin d’une présence, d’un accompagnement, d’un récit de l’existence du défunt, n’a-t-on pas besoin d’une parole pour renouer avec la vie et entrer dans le processus de deuil?», questionne Edmont Pittet.
Du côté de l’Eglise réformée et de l’Eglise catholique, on est conscient de l’engouement laïque. Alors, pour rappeler que l’utilisation des lieux de culte est réservée aux célébrations religieuses, elles ont envoyé, en février 2015, un courrier aux conseils de paroisse, communes et entreprises de pompes funèbres spécifiant que, selon la loi, la double autorisation de la commune et du conseil de paroisse était nécessaire pour qu’une célébration laïque se tienne dans une église du canton. Célébrants laïques et ministres réformés font le même constat: il y a un besoin humain et universel d’avoir un rite rattaché à la mort. Reste qu’au-delà des pratiques, c’est bien l’enjeu du sens qui diffère.
Une cérémonie sur mesure
Des cérémonies sur mesure pour permettre aux endeuillés de se séparer, de se souvenir du défunt, et de trouver des forces pour continuer dans la vie: c’est ainsi que Christine Behrend définit son métier de célébrante laïque. Elle le pratique en parallèle de son activité de chargée d’étude de marché. Elle y a développé une forte capacité d’écoute, d’empathie, d’analyse et de synthèse. Elle avoue ne pas être si éloignée du service religieux, dans l’objectif en tout cas. Car dans la pratique, elle ne touche pas au religieux.
Elle exerce au sein de «l’Association des célébrant(e)s professionnel(le)s de Suisse romande» depuis 2015. Après avoir elle-même improvisé une cérémonie pour son conjoint en 2005, elle se forme en 2013 auprès de la pionnière du genre en Suisse romande, Jeltje Gordon-Lennox, théologienne et psychothérapeute. La structure de la cérémonie funéraire est centrale. «Nous partons d’une page blanche. Avec les proches, nous retraçons la vie de la personne – son parcours, sa personnalité, ses valeurs. Au début de la cérémonie, nous rendons hommage au défunt. Il faut ensuite prendre acte de la perte et de la séparation pour se tourner vers la vie. Le rôle du célébrant est d’être très présent sans être le centre de l’attention», commente Christine Behrend. Durant sa formation, elle a aussi réalisé des «cérémonies à blanc» sous l’œil attentif de professionnels de la branche et du théâtre. Aujourd’hui, pour chaque préparation avec les proches, Christine Behrend sort sa «check-list» pour ne rien oublier: choix des textes, musique, l’entrée et la sortie de la cérémonie, le moment de l’inhumation ou de la crémation.
Quant au choix du lieu, «il peut aller du centre funéraire à une forêt ou un hôtel affectionné par le défunt», liste la célébrante. Des demandes originales toujours plus difficiles à réaliser en présence du cercueil. Christine Behrend ne s’oppose à aucune requête, ce serait contraire à sa philosophie. «Chaque demande est légitime, car elle est faite en fonction d’un besoin, d’un vécu». Pas de ligne directrice non plus.
Pistes d’exploration
Et le sens dans tout ça? «Il est donné par la famille, par la gratitude qu’elle exprime à l’égard du défunt, autant que le souvenir de la relation d’amour et de partage vécue. Ressentir la finitude de la vie permet d’entamer le chemin du deuil et d’intégrer le fait que la relation va se métamorphoser. C’est ainsi qu’on revient à la vie», note la célébrante. Le sens est aussi donné par des gestes symboliques.
«Dans les cérémonies sans cercueil ni urne, on peut symboliser la personne décédée par un objet, une photo. Je me souviens d’une femme dont la flûte et l’appareil photo étaient placés à côté de sa photo pendant la cérémonie. A la fin, les enfants sont venus les chercher, pour marquer la transmission». Dans ses cérémonies laïques, Christine Behrend n’oublie pas que les confessions religieuses sont multiples dans l’assemblée et garde un moment de silence propice à la prière.
Un vocabulaire à trouver
«Le pasteur comme le célébrant laïque peuvent assumer un certain nombre de pratiques communes. Parler du mort, rassembler la communauté. Mais il s’agit là d’une dimension horizontale», estime Jean-Marie Thévoz, pasteur de la paroisse de Saint-Jean à Lausanne. Pour lui, le christianisme apporte une forme de transcendance. «Le pasteur se place devant le mystère de la mort. Il n’esquive pas ce scandale, mais peut y mettre du sens. Là où tout paraît absurde», explique-t-il.
«Là où les célébrants laïques ont une carte à jouer, reconnaît Jean-Marie Thévoz, c’est bien dans l’imagination qu’ils peuvent mettre dans la forme du rite et la possibilité de faire participer activement les proches à la cérémonie.» Le pasteur pense par exemple à la pratique oubliée du cercueil porté par les hommes de la famille. Il avoue que les pasteurs ne stimulent pas ces gestes. Aujourd’hui, face au nombre relativement stable de services funèbres religieux, Jean-Marie Thévoz se réjouit de voir que «la spiritualité a encore beaucoup d’importance. Elle est comme une oasis à travers les étapes de la vie, et les valeurs du christianisme ont toujours du poids».
L’Eglise vaudoise doit pourtant s’adapter à notre société. Jean-Marie Thévoz, comme d’autres de ses collègues, le fait surtout par un dépoussiérage du vocabulaire utilisé. «Les gens n’ont plus les codes pour comprendre les textes bibliques. Les termes ›résurrection’ ou ›Jésus est la vie’ doivent être expliqués.» Au service des gens, il s’imprègne des propos et des ressentis des proches auxquels il amène une parole réformée, pour parfaire la scénographie du service funèbre. (cath.ch/ref/md/rz)
Le Toussaint’s Festival
Pour sa deuxième édition, le «Toussaint’s Festival» se penche sur le rite de l’enterrement, du 30 octobre au 5 novembre à Lausanne. La parole est donnée aux professionnels de la branche qui questionnent le sens de ce rituel universel et proposent des pistes et des outils pratiques. En une semaine, à travers des débats, conférences, ateliers et spectacles, vous découvrirez notamment les métiers intrigants de la mort, l’essor des nouveaux rites, les récits d’endeuillés, le rapport au corps dans notre société. Un événement destiné aux adultes et aux enfants, organisé par la conteuse et thanatologue Alix Noble Burnand, l’Espace culturel des Terreaux et Saint-Laurent-Eglise.