Le mode d’expression utilisé par le pape François pour fustiger la pédophilie dans l’Eglise est rare | © Flickr/catholicism/CC BY-NC-SA 2.0
Vatican

Une «lettre au peuple de Dieu»: un mode d’expression rare pour un changement de cap

Une «lettre au peuple de Dieu». Le mode d’expression utilisé par le pape François pour fustiger la pédophilie dans l’Eglise est rare. Il traduit une prise de conscience de la gravité de la situation et une volonté de réforme dans les plus hautes sphères catholiques.

«Nous avons négligé et abandonné les petits», se repent le pape François dans sa lettre au peuple de Dieu, publiée six jours après le rapport de la justice américaine sur soixante ans d’agressions et de viols commis dans six diocèses de Pennsylvanie. Le document est original quant à son contenu – il réunit dans la même condamnation l’agresseur et le membre de la hiérarchie qui ferme les yeux. Il l’est aussi dans son mode d’expression «peu habituel», rappelle le professeur de théologie François-Xavier Amherdt.

Evêques court-circuités

«Le pape a plusieurs manières d’exprimer sa réflexion, décrypte le théologien Alain Viret. L’encyclique reste le mode d’expression habituel. C’est un document préparé à l’avance grâce à toute une série de consultations préalables. Elle est adressée aux évêques, chargés ensuite de la transmettre au peuple de Dieu. Ici le pape a d’une certaine manière choisi de les ›court-circuiter’ «.

Le pape François utilise avec parcimonie ce mode d’expression. Ce n’est que la deuxième fois qu’il s’adresse de la sorte au peuple de Dieu. La première fois, c’était en mai dernier pour atteindre les catholiques du Chili, où de nombreux évêques sont accusés d’avoir dissimulés des violences commises par des clercs. «Cela permet au pape de réagir plus rapidement, analyse Alain Viret. C’est en même temps une manière de procéder liée à un contexte particulier où les évêques eux-mêmes sont mis en cause».

Crédibilité de l’Eglise en jeu

Pour François-Xavier Amherdt, ce mode d’expression peu habituel «souligne la gravité de la situation». L’enjeu est de taille, selon le professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg: «Il en va de la crédibilité du témoignage de l’Eglise au cœur du monde.»

La forme solennelle de communication manifeste par ailleurs «l’urgence de la réaction nécessaire», ajoute-t-il. «Les annonces de scandales se sont multipliées ces dernières années, nous ne pouvons plus attendre!» Dans cette situation, le pape a choisi de s’adresser à l’ensemble du peuple de Dieu – c’est-à-dire à l’ensemble des baptisés – parce que les abus sexuels concernent l’Eglise dans le monde entier.

Et dans ce contexte, la réforme n’est pas la prérogative du clergé, mais bien la mission de chaque baptisé. «Le peuple de Dieu est invité solennellement par le successeur de Pierre à susciter et éveiller des ›vocations saines et saintes’, poursuit François-Xavier Amherdt. A les accompagner durant leur formation et à interpeller sans cesse les supérieurs de séminaires et d’instituts ainsi que les évêques pour qu’ils fassent correctement leur travail, se donnent les moyens psychologiques et spirituels d’opérer un discernement éclairé, tout en accompagnant les prêtres sans cacher leurs errances».

Les mots suffisent-ils?

Le pape utilise un vocabulaire fort, destiné à montrer que le Saint-Siège a pris la mesure de la souffrance des victimes. François parle «d’atrocités», de «culture de la mort», «de blessures qui ne connaissent jamais de prescription» et de «culture de l’abus». «L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire», écrit le pape. Avec peu de décisions engageantes, si ce n’est un appel à la prière et au jeûne, regrettent les associations de victimes.

«Le pape et le Vatican devraient arrêter de nous dire à quel point les abus sont terribles et que tout le monde doit rendre des comptes. Dites-nous plutôt ce que vous faîtes pour leur demander des comptes. C’est ce que nous voulons entendre», a twitté lundi Marie Collins, victime irlandaise. En mars 2017, elle avait quitté la Commission pontificale pour la protection des mineurs. Un geste fort qui visait à dénoncer les résistances au sein de la curie romaine.

Dans une interview accordée à kath.ch, Jacques Nuoffer, président de l’association de victimes suisse SAPEC reconnaît «le petit pas en avant» que représente cette lettre du pape. Mais appelle lui aussi à des actions concrètes: l’abolition des délais de prescriptions canoniques – 20 ans actuellement –, par exemple, ou une dénonciation pénale rendue obligatoire en cas de soupçon d’abus sexuels «pour tous les évêques et les supérieurs religieux.» (cath.ch/lemonde/kath.ch/pp)


Le mode d’expression utilisé par le pape François pour fustiger la pédophilie dans l’Eglise est rare | © Flickr/catholicism/CC BY-NC-SA 2.0
22 août 2018 | 16:21
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 3  min.
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