Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion | © Bernard Hallet
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«Une enquête canonique peut aller plus loin qu'une enquête civile» 3/3

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Les mesures canoniques ne remplacent jamais celles de la justice civile, rappelle le vicaire général du diocèse de Sion Pierre-Yves Maillard. «Par contre, si une enquête civile est classée, une enquête canonique peut aller plus loin.»

Le récent rapport d’audit sur le traitement des abus sexuels présenté le 11 juin 2024 par le diocèse de Sion apporte un précieux éclairage sur la problématique des abus en Eglise. Il décortique avec précision des mécanismes souvent complexes, parfois kafkaïens auxquels sont confrontés les victimes. Le vicaire général du diocèse de Sion, Pierre-Yves Maillard a accepté de revenir pour cath.ch sur une des plus récentes affaires qui a secoué le Valais.

Risque de récidive ou de scandale

En Valais, les victimes peuvent s’adresser à la commission diocésaine ASCE (abus sexuels dans le contexte ecclésial) qui est indépendante et neutre. Même si elle est nommée par l’évêque, aucun agent pastoral ni employé d’Eglise n’y siège depuis janvier 2022. Les personnes concernées peuvent aussi s’adresser à d’autres instances comme le groupe SAPEC ou la CECAR.

«Il faut pondérer les intérêts entre le droit à l’information et la protection de la personnalité.»

La commission commence par étudier la plausibilité et transmet son rapport à l’évêque qui décide de l’ouverture d’une enquête canonique préliminaire. L’évêque nomme un enquêteur qu’il choisira généralement hors du diocèse. Dès qu’il a connaissance du cas, il effectue également le signalement auprès du ministère public et à Rome.

L’évêque peut alors prendre des mesures provisionnelles pour deux raisons: s’il y a risque de récidive, ou de scandale. «Ces questions sont traitées au Conseil épiscopal, précise Pierre-Yves Maillard. Il faut cependant éviter d’interférer dans l’enquête par exemple pour empêcher la suppression ou la dissimulation de preuves par l’auteur des abus.»  

Communiquer, quand et comment?

Pour le vicaire général, la communication de ces mesures est une question délicate, il faut pondérer les intérêts entre le droit à l’information et la protection de la personnalité. «Nous avons une cellule de communication de crise avec un avocat qui nous conseille.»

Le diocèse de Sion en a fait l’expérience dans l›affaire de l’abbé A qui a défrayé la chronique en Valais et au-delà. Soupçonné à la fin des années 2010 de viols répétés sur des enfants, commis dans les années 1980, le prêtre a été immédiatement soumis à des restrictions de ministère par Mgr Jean-Marie Lovey. Mais, à ce moment-là, il n’y a pas eu de communication publique.

Suite à la dénonciation par Mgr Lovey, le ministère public valaisan a produit son rapport, mais l’accusation n’a pas pu aller plus loin. Les crimes remontant à plus de 30 ans étant prescrits, la justice valaisanne a classé l’affaire en 2021. 

Enquête et procès canoniques

De son côté, l’évêque a ouvert une enquête canonique préliminaire et le dossier a été transmis à Rome qui a ordonné la tenue d’un procès. Le procès canonique extrajudiciaire, sous la présidence d’un juge ecclésiastique externe au diocèse, a prononcé une demande de renvoi de l’état clérical contre laquelle le prêtre a fait recours.

«Je peux comprendre et j’accueille la critique, qui nous a fait prendre conscience de nouveaux éléments à considérer, comme la situation des victimes indirectes.»

«Nous en avons parlé plusieurs fois à la cellule de communication de crise, note Pierre-Yves Maillard. L’avocat nous a conseillé de rester prudents tant que l’affaire n’était pas close et qu’un recours était pendant. Nous avons communiqué une première fois en automne 2022, mais sans nommer la personne, en indiquant qu’un procès avait été ouvert contre un prêtre qui avait déposé recours contre sa condamnation.»

Les mesures provisionnelles

Les mesures provisionnelles ordonnées par Mgr Lovey portaient sur l’interdiction de célébrer et lui demandaient de se retirer de tout événement ou mouvement ecclésial. «Pendant plusieurs mois, nous n’avons pas eu connaissance que le prêtre avait transgressé ces injonctions. Il a toujours observé l’interdiction de célébrer, de même il s’est retiré des comités et des groupements, par contre il a participé à divers événements dont une conférence et un concert dans une église.»

«Un concert est-il un événement ecclésial?» interroge le vicaire général. «Cela peut se discuter. Il a participé également à une sortie d’un groupe amical de prêtres, mais là encore, ces rencontres d’ordre privé étaient-elles des événements ecclésiaux?»

«Je comprends cependant que les victimes aient pu être choquées quand elles l’ont appris, poursuit Pierre-Yves Maillard. Quand nous en avons été informés à l’évêché, à la fin du printemps 2023, l’évêque a écrit à l’abbé A lui ordonnant de respecter scrupuleusement les mesures provisionnelles, faute de quoi son nom serait rendu public. Quelques temps plus tard, il a été vu comme fidèle dans une assemblée et l’évêque a décidé de communiquer son identité aux prêtres du diocèse.»

Pendant toute cette période, son recours était pendant à Rome. Il faut rappeler ici qu’en droit canon ce recours a un effet suspensif. Finalement, Rome a confirmé en octobre 2023 les résultats du jugement du tribunal ecclésiastique et prononcé son renvoi de l’état clérical.

«Je peux comprendre et j’accueille la critique, qui nous a fait prendre conscience de nouveaux éléments à considérer, comme la situation des victimes indirectes, et nous a aidés à clarifier les procédures à l’avenir», reconnaît Pierre-Yves Maillard. On ne peut pas parler de dissimulation ou de laxisme. Il n’y a pas de règle absolue en matière de communication, il y a une marge d’appréciation. Cela n’est pas facile.» (cath.ch/mp)

Approches distinctes
Le cas du curé de St-Maurice illustre une autre difficulté fréquemment rencontrée dans des affaires d’abus ou de soupçons d’abus. C’est celle de la répartition des compétences de diverses instances.
En tant que chanoine, le prêtre dépend de l’Abbaye et de son supérieur, actuellement l’administrateur apostolique, Mgr Jean-Michel Girard. En tant que curé, il dépend du diocèse de Sion puisque certaines des paroisses du secteur relèvent du diocèse.
Mis en cause en novembre 2023 dans une émission de télévision, le chanoine a été mis en retrait de son poste. Proclamant avec force son innocence, il a constamment réclamé sa réintégration et l’a finalement obtenue en mai 2024, après trois jours de grève de la faim.
«Ce cas a effectivement montré des approches distinctes entre le diocèse de Sion et l’Abbaye de St-Maurice, admet PierreYves Maillard. Le diocèse attendait des éclaircissements et des recherches complémentaires, tandis que l’Abbaye avait une approche plus juridique se basant sur la décision de non-lieu de la justice civile prononcée en 2005 pour ne pas vouloir aller plus loin.»
Sous pression, l’évêque a finalement accepté le retour du curé et a n’a pas voulu maintenir une situation qui devenait toujours plus explosive.
«Nous restons néanmoins en contact régulier avec l’Abbaye », conclut Pierre-Yves Maillard. MP

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Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion | © Bernard Hallet
2 juillet 2024 | 16:00
par Maurice Page

Les nombreuses interrogations et polémiques autour du traitement des affaires d’abus sexuels dans l’Eglise en Suisse donnent à penser que les responsables d’Eglise naviguent à vue, poussés par le vent des médias ou pire: manipulées par les auteurs d’abus. Avec une communication souvent hasardeuse et à contretemps.

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