Une calotte d’évêque pour promouvoir le Festival de Lucerne
«Macht – Pouvoir»: le Festival de musique de Lucerne (16 août-15 septembre 2019) se place sous le signe des pouvoirs. Et une tête portant une calotte violette – symbole du pouvoir clérical – fait débat. La rédaction de kath.ch a mené l’enquête.
La tête d’un évêque surmontée du mot Macht, Pouvoir. Elle figure sur les affiches actuellement placardées en ville de Lucerne. Il s’agit de promouvoir le Festival de Lucerne 2019 – un festival de musique classique renommé qui a lieu chaque été au Centre de la Culture et des Congrès de Lucerne (KKL), œuvre de l’architecte français Jean Nouvel, situé entre le Lac des Quatre-Cantons et la gare centrale.
Dans le contexte de la crise actuelle de l’Église catholique, difficile de ne pas penser aux abus dont certains clercs se sont fait les auteurs. Cette impression s’atténue cependant lorsqu’on met l’image en lien avec les deux autres sujets de l’affiche: une tête de femme portant une couronne et une tête d’homme arborant une casquette militaire.
Le pouvoir en lien avec les compositeurs
«Les trois images représentent les classes sociales possédant le pouvoir», indique le communiqué de presse du Festival de Lucerne 2019, à savoir le clergé, le politique et l’aristocratie. Le Festival veut ainsi soulever diverses questions relatives au pouvoir, comme la manière dont ses détenteurs ont influencé le destin et l’œuvre de compositeurs.
«Les compositeurs ont souvent été en contact avec les dirigeants, indique Bettina Jaggi, responsable du marketing du Festival, à kath.ch. Des aristocrates et des représentants de l’Église commandaient des œuvres. C’est leur puissance qui, en premier lieu, a rendu possible la création de ces œuvres musicales. Mais ils avaient également le pouvoir de restreindre les artistes.»
L’association entre le cléricalisme et l’abus de pouvoir n’est nullement voulue, note Bettina Jaggi. Le choix des sujets d’illustration a été fait à l’été 2018, c’est-à-dire avant que les cas d’abus en Allemagne et en Pennsylvanie ne soient connus. Cependant, elle relève que l’image de la calotte pourrait, évidemment, être lue en référence à l’actualité.
L’évêque de dos
Tanja Maier, spécialiste des médias, jette un autre œil sur cette photo. Professeure de l’Université de Brême et de l’Université libre de Berlin, elle a examiné la transformation du répertoire de l’image chrétienne dans la culture visuelle de 1949 à nos jours.
Pour elle, l’effet d’une image est influencé par des facteurs divers, tels que le contexte de la production, la tradition picturale, le genre de la publication et, enfin et surtout, les connaissances du spectateur. «Beaucoup reconnaîtront à peine qu’il s’agit d’un évêque parce qu’ils ne sont pas socialisés comme catholiques», estime Tanja Maier.
Sur le fond de tradition picturale et des conventions relatives à l’image, elle note néanmoins que, contrairement aux deux autres, l’évêque est représenté de dos. «Cela traduit une attitude de retrait face au monde. Depuis les années 1990, il s’agit d’une représentation classique de l’Église, résume l’enseignante allemande. Inconsciemment cela pourrait se produire précisément parce que, ces derniers temps, on montrait par convention que l’Église était détachée du monde.»
Pouvoir de l’Église réduit
Selon Tanja Maier, le fait que seul l’évêque soit représenté de dos est lié au type de coiffure: «La couronne et le chapeau militaire ne sont pas suffisamment reconnaissables de l’arrière, alors que c’est le cas avec la calotte d’un évêque».
Tanja Maier commente également la composition de l’image et la disposition des éléments. «Les représentations classiques des ecclésiastiques les montrent au centre de l’image ou dans le tiers supérieur d’une image. Cela exprime le fait que cette personne a beaucoup de pouvoir.»
Ici en revanche, la représentation au bord de l’image est associée à une perte de puissance. «Le pouvoir de l’Église est réduit sur cette photo», précise Tanja Maier. Dans le contexte des trois représentations, il pourrait s’agir de la tension entre le pouvoir et la perte du pouvoir.
Pas la calotte du pape
En résumé, cette image d’un évêque correspond à l’image de l’Église, comme la figurent les magazines germanophones dans les dernières décennies, à savoir une institution éloignée du monde et associée à une perte d’influence. Cependant, Tanja Maier évoque une «culture de superposition» selon laquelle les opinions sur la religion sont diversifiées.
Bettina Jaggi cautionne le fait que ces opinions différentes jouent un rôle dans le choix du sujet: «Nous voulions aussi transmettre quelque chose de politique, mais cela ne devait pas être trop politique. On avait pensé à la puissance des émotions ou à la puissance des gestes, puis on est tombé sur les symboles comme les bijoux et les couronnes posés sur les têtes. Mais, une fois encore, on ne voulait pas être trop concret. C’est pourquoi la calotte épiscopale n’est pas blanche, parce que ça aurait fait penser à une personne concrète, le pape. Et la couleur pourpre de l’évêque était plus belle que le rouge du cardinal.»
Pourtant, les organisateurs du Festival étaient conscients que la calotte d’un évêque pouvait déclencher des réactions mitigées. Mais même à Lucerne la catholique, ils n’auraient reçu jusqu’à présent que trois réactions critiques après avoir diffusé 50’000 programmes. Un nombre minime, selon la chargée du marketing. (kath.ch/sys/bl)