Un tournant dans les relations entre l’Eglise et le Vietnam
Les relations entre l’Église catholique et l’État vietnamien marquent un nouveau tournant, estime Claire Tran Thi Lien, spécialiste de l’histoire de l’Asie du Sud-Est. Alors que le Vietnam cherche à équilibrer ses relations avec le monde face à la puissance chinoise, la politique de l’État communiste vis-à-vis de l’Église fait partie de ce changement.
«La légitimité du Parti, c’est le développement économique ; et le développement, c’est l’intégration avec le monde. L’ouverture sur les religions fait partie de cette intégration», a expliqué Claire Tran Thi Lien à Églises d’Asie. « Si un mot devait caractériser les religions au Vietnam, ce serait celui de diversité . On compte des religions de toutes sortes en Asie du Sud-Est, dans toute la région. Il y a d’ailleurs même des musulmans, des protestants, des bouddhistes… »
C’est une réalité à prendre en compte pour le pouvoir communiste, qui s’est inspiré du système confucéen vietnamien, inspiré lui-même du chinois au sein duquel il y avait un «Bureau des rites». Le souverain contrôlait les religions et validait lesquelles pouvaient être acceptables. Les religions pouvaient être une contestation pour le pouvoir, raison pour laquelle le Bureau des rites contrôlait et donnait son accord. « Aujourd’hui, le Parti communiste fait de même et tolère à condition de pouvoir contrôler. À ce niveau-là, je dirais que le niveau de dialogue avec les catholiques est parmi les meilleurs. Car il y a une autorité, le Vatican; il y a deux structures hiérarchiques, et finalement, c’est plus facile », estime Claire Tran Thi Lien.
Une liberté religieuse toujours sous contrôle
La liberté religieuse n’est donc pas sans conditions au Vietnam, même si la situation s’améliore depuis les 25 dernières années. «Au départ, les activités se concentraient uniquement sur la pratique religieuse, puis l’action sociale s’est développée. Quand j’ai rencontré Mgr Zalewski [nonce apostolique à Singapour et alors représentant non-résident du Vietnam], il m’a parlé du rôle de l’Église durant le Covid-19 qui a été très important, et le gouvernement accepte ce rôle social, mais il n’accepte aucune critique», assure-t-elle.
Du point de vue politique, on est dans un régime communiste à parti unique, et il n’y a pas de place pour une opposition politique, rappelle la chercheuse et cela, c’est pour les catholiques et pour toutes les autres religions, pour tous les Vietnamiens. Il y a donc un certain nombre de condamnations, non seulement des catholiques mais aussi des militants écologistes par exemple qui ont protesté contre la politique du gouvernement. Notamment dans le cadre de l’affaire Formosa, une aciérie taïwanaise responsable de graves pollutions qui ont atteint toutes les communautés de pêcheurs dans le centre du Vietnam en 2016. «L’Église a été très critique face à cette catastrophe», explique-t-elle.
«Le Vietnam cherche à équilibrer ses relations face à la Chine»
Aujourd’hui, selon elle, la légitimité du régime communiste est surtout économique. Le Parti ne se maintient plus que parce qu’il a ouvert le pays et garantit une croissance : « Le pays est arrivé au communisme par nationalisme, pour être indépendant. Beaucoup de gens sont membres du Parti parce qu’il faut l’être dans toute administration, sinon c’est compliqué. »
Face à la question de la politique religieuse du gouvernement vietnamien, elle suggère une approche plus large, en rapport avec l’évolution des relations du pays avec le monde : « La question, c’est que le Vietnam a toujours eu des relations très compliquées avec la Chine, à la fois alliée et impérialiste. Le Vietnam cherche donc à équilibrer ses relations face à la Chine, notamment avec le problème du contrôle territorial en mer de Chine du Sud, appelée mer de l’Est par le Vietnam ».
Pour Claire Tran, l’ouverture sur les religions fait partie de cette intégration : « Pour le Vietnam, le fait d’avoir le bureau d’un représentant du Vatican avant la Chine est extrêmement important, car cela montre qu’il y a une politique indépendante et qu’il est parvenu à ce dialogue.» (cath.ch/eda/mp)