Fribourg: Messe en rite guèze avec les Erythréens de Suisse
Un petit coin d’Afrique à l’église St-Pierre
Fribourg, mai 2011 (Apic) L’imposant bâtiment de l’église St-Pierre de Fribourg, œuvre de l’architecte Fernand Dumas, de Romont, ressemble en ce samedi 26 mars à un petit coin d’Afrique. De longues mélopées émanent de la foule rassemblée sagement devant l’église dans l’attente de l’arrivée de Mgr Menghisteab Tesfamariam, évêque de l’éparchie d’Asmara (*), la capitale de l’Erythrée. Ce n’est pas si souvent que les catholiques érythréens dispersés aux quatre coins de la Suisse peuvent assister à la messe en rite guèze (ge’ez), un rite oriental que l’on trouve également en Ethiopie.
Les catholiques de l’Eglise abyssinienne d’Erythrée et d’Ethiopie, qui seraient entre un et deux milliers en Suisse, ont un prêtre qui les visite seulement à l’occasion des grandes fêtes – Pâques, Noël, Nouvel An. Il s’agit souvent d’un universitaire en provenance d’Italie.
Ce jour-là, à Fribourg, venus de Genève, de Lausanne, de Lugano, de Zurich, de Saint-Gall ou de Bâle, ils sont plus de 200. Nombre de femmes sont vêtues de la «gabbi» ou de la «chama», la traditionnelle toge de cotonnade blanche qui leur couvre la tête. Les choristes ont revêtu des chasubles blanches, bleues et rouges, et font la haie devant le porche de l’église, un rameau à la main. Les servants de messe – filles et garçons – s’égaient sur la place dans l’attente de l’éparque coiffé d’une mitre blanche brodée d’or de style byzantin.
Le spectateur occidental est soudain transporté en rêve sur la mystérieuse Corne de l’Afrique. Son voisin le ramène brusquement sur terre: il veut lui présenter un jeune homme tout frais arrivé d’une Libye où la guerre venait de commencer. Le réfugié est passé par l’île de Lampedusa et a débarqué la veille en Suisse. En mars, 268 nouvelles demandes d’asile ont ainsi été déposées par des Erythréens, deux de plus qu’en février.
Une foi passée à travers les siècles par l’épreuve des persécutions
D’autres, fuyant aujourd’hui la Libye, devraient encore rejoindre la diaspora des quelque 10’000 compatriotes installés en Suisse depuis plusieurs années. Certains fidèles se rappellent soudain les années de guerre avec le voisin éthiopien, les privations, le passage par le Soudan, la dure traversée du Sahara, la faim, la soif… Et enfin le havre de paix en Suisse, où la plupart sont venus retrouver qui un frère, qui un cousin, qui une connaissance. Ils devraient pouvoir y trouver, si ce n’est l’asile – que la majorité a obtenu en 2010 – au moins un refuge temporaire, la Suisse considérant que l’Erythrée n’est pas un pays sûr.
Mais la messe commence, et elle va durer près de deux heures. Les familles sont venues nombreuses. Les enfants courent de temps en temps dans les travées, les plus petits somnolent dans leur poussette.
Pendant la longue homélie de l’évêque, en tigrinya – une langue également parlée dans la région du Tigré, au nord de l’Ethiopie – ma voisine, tout naturellement, nourrit son enfant au sein. Les fidèles sont très concentrés, et l’on sent que leur foi, qui est passée à travers les siècles par l’épreuve des persécutions dans cette région troublée de l’Afrique, imprègne fortement leur vie quotidienne et leur culture. C’est à l’évidence un peu de leur patrie qui remonte à l’instant.
D’ailleurs les Erythréens, tout comme les Ethiopiens vivant en Suisse, ont très à coeur de transmettre à leurs enfants la tradition de leur liturgie en guèze – variante du rite copte, elle compte parmi les plus anciennes liturgies chrétiennes – et de les familiariser avec les fêtes de leur calendrier liturgique. A l’église St-Pierre, ce jour-là, il n’y avait pas, comme au pays, un sanctuaire abritant précieusement le «tabot», cette planchette sacrée qui représente les tables de la Loi. Les traditionnels tambours et les cistres sont remplacés par trois orgues électroniques de marque Yamaha… Nous sommes à Fribourg, dans un édifice de rite latin, et l’on sent bien qu’il manque l’ambiance festive et colorée de Keren ou d’Asmara… Mais en fermant les yeux, le fidèle peut s’y transporter, les oreilles bercées par une longue suite d’anaphores, les traditionnelles prières eucharistiques.
La liturgie est suivie avec attention par des fidèles à la fois recueillis et joyeux de se retrouver pour partager, à la fin de la messe, à la salle de la paroisse, l’injera, la traditionnelle crêpe que l’on trouve aussi en Ethiopie ou en Somalie. La foule, dans une ambiance animée, se presse devant les tables. Tous vont remplir leur assiette de légumes qui seront ensuite enveloppés dans cette crêpe ronde fermentée, au goût acide, fabriquée à partir du teff, une sorte de mil.
Sur scène, des enfants déclinent des poèmes en l’honneur de leur hôte illustre, Mgr Menghisteab Tesfamariam, tout sourire. Pour le moment, les catholiques érythréens n’ont pas de pasteur à demeure, mais un prêtre devrait bientôt venir faire un doctorat à l’Université de Fribourg: il pourrait ainsi s’occuper de la diaspora catholique érythréenne et éthiopienne en Suisse. Les Erythréens et Ethiopiens de Suisse ont déjà commencé à récolter de l’argent pour ce projet (**) grâce à des ventes organisées à l’occasion de manifestations paroissiales.
Encadré
Les chrétiens forment, à égalité avec les musulmans, la grande majorité des quelque 4,5 millions d’Erythréens. Au sein de la population, les catholiques ne sont qu’une minorité de quelque 3,5%, auxquels il faut ajouter un petit pourcentage de fidèles de l’Eglise évangélique luthérienne et d’autres obédiences protestantes. L’éparchie d’Asmara – de rite guèze – compte des prêtres mariés, qui viennent essentiellement de l’Eglise orthodoxe. Les deux autres éparchies (*) n’ont que des prêtres célibataires.
L’Eglise catholique érythréenne dispose d’une centaine de prêtres diocésains et quelque 300 prêtres religieux. Outre les 3 petits séminaires, elle gère un grand séminaire à Asmara, qui reçoit une cinquantaine de séminaristes. «Il y a beaucoup de vocations, le pays ne manque pas de prêtres, mais les petites paroisses sont trop nombreuses», note un responsable religieux.
Administrant plus de 50 écoles primaires et moyennes, 2 écoles techniques, 3 écoles secondaires et une cinquantaine de jardins d’enfants, l’Eglise catholique résiste encore aux pressions. Elle refuse pour le moment le contrôle que l’Etat tente de lui imposer. Alors que le patriarche orthodoxe Abouna Antonios se trouve en résidence surveillée depuis 2005, l’Eglise orthodoxe érythréenne est dirigée depuis mai 2007 par un patriarche approuvé par le gouvernement, Abouna Dioskoros, quatrième patriarche d’Erythrée. Il n’est pas reconnu par la majorité du clergé et des fidèles érythréens. La division des orthodoxes se répercute aussi dans la diaspora.
«Il n’y a pas de persécution réelle contre les catholiques dans le pays, mais certainement une volonté de les affaiblir», note un responsable de la communauté réfugié en Suisse. Les autorités à Asmara aimeraient réduire l’Eglise catholique à une Eglise nationale, sous leur contrôle, et sans relations avec l’étranger. «On n’expulse pas directement les missionnaires étrangers, mais on ne renouvelle pas leur permis de séjour». Les autorités, cependant, envoient leurs enfants étudier dans les écoles catholiques, «mais quand on passe au niveau politique, les dirigeants tiennent un tout autre discours… Ils aimeraient nous réduire comme ils l’ont fait avec les orthodoxes, envoyer nos jeunes prêtres au service militaire, qui dure des années, pour nous priver de nos forces vives».
Encadré
S’ils sont venus en plusieurs vagues depuis l’accession à l’indépendance et la séparation avec l’Ethiopie en 1993, la guerre sporadique avec le puissant voisin a poussé de nombreux Erythréens sur les périlleuses routes de l’exil. De nombreux jeunes tentent de déserter ou de fuir l’enrôlement des années durant dans les rangs de l’armée et d’un service civil obligatoire, sans parler de la dictature du président Issayas Afeworki.
«Issayas Afeworki ? Il reste fidèle aux schémas communistes, son modèle, c’est Kadhafi», nous déclare un réfugié en Suisse qui veut garder l’anonymat: il craint les représailles contre sa famille restée au pays. «Les gouvernants érythréens aimeraient confisquer les écoles et les hôpitaux gérés par l’Eglise catholique, même si les enfants des cadres fréquentent nos écoles et si tous viennent se faire soigner dans nos hôpitaux. Nous résistons à cette mainmise, mais le pouvoir préférerait finalement qu’ils soient fermés, faute de pouvoir les contrôler!».
(*) L’Erythrée compte les trois éparchies (diocèses de rite oriental) d’Asmara, la capitale, de Barentu et de Keren.
(**) Marco Schmid, directeur national de migratio, la Commission de la Conférence des évêques suisses (CES) pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, a lancé le projet «Pastorale des réfugiés érythréens et éthiopiens» pour financer un poste de prêtre pour les Erythréens et les Ethiopiens catholiques en Suisse. Migratio est en effet souvent contactée pour ce fait par des Erythréens et des Ethiopiens catholiques vivant dans des paroisses suisses. Cependant migratio n’est pas à même – pour le moment – de financer un tel poste par ses propres moyens, raison pour laquelle elle recherche des donations pour cette pastorale.
Cf. www.kath.ch/migratio/migratiofr/pfarrei/Fundraising_fr_10.pdf (apic/be)